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par Conseil d’Orientation pour l’Emploi

COE

Le Conseil d’Orientation pour l’Emploi (COE) publie un rapport sur les réformes du marché du travail. Il dresse un panorama détaillé des réformes mises en œuvre en Europe ces dernières années, notamment dans dix pays : Allemagne, Autriche, Danemark, Espagne, Italie, Irlande, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni et Suède. Il tente pour chacun d’entre eux d’identifier le contexte et les enjeux propres et à recenser, quand cela est possible, les premiers retours d’expérience. Metis publie ici un extrait de l’analyse transversale produite par le COE. 

 

Avec la crise, des réformes beaucoup plus nombreuses

En se fondant sur les bases de données existantes (notamment celles de la Commission européenne et du Bureau international du travail), le Conseil a procédé à une première analyse de nature quantitative des réformes effectuées en Europe.
De par leur importance pour le fonctionnement de l’économie, leur rôle dans la vie sociale et du fait de l’ampleur des évolutions qui les touchent en permanence, les marchés du travail font continuellement l’objet de réformes pour assurer leur adaptation et améliorer leur efficacité. Il apparaît cependant que le nombre de réformes relatives au marché du travail, qui avait déjà sensiblement augmenté depuis le milieu des années 1990, s’est accru très nettement à partir de 2008.

Cette tendance générale masque toutefois des disparités selon les pays et domaines concernés. Les réformes ont ainsi été les plus nombreuses dans les pays du Sud de l’Europe, notamment en matière de protection de l’emploi et d’assurance chômage, ces pays étant ceux qui connaissaient les plus forts déséquilibres dans le fonctionnement de leur marché du travail et de leur économie. À l’inverse, les pays ayant les moins réformé depuis 2008 sont aussi ceux qui avaient mis en œuvre des réformes de grande ampleur avant la crise.

 

Avec la crise, un nouveau contexte pour l’initiative et la conduite des réformes

Le poids des pressions extérieures
Les réformes du marché du travail en Europe depuis la crise ont cela de spécifique qu’elles ont été souvent mises en œuvre sous des pressions extérieures très fortes. Fortement encouragées dans le cadre de la nouvelle gouvernance européenne, l’élaboration et la conduite de réformes du marché du travail ont pu être exigées comme contrepartie au versement d’une aide financière en Irlande, au Portugal et dans une moindre mesure en Espagne. À une pression exercée par la Troïka, s’est ajoutée celle des marchés financiers pour lesquels la conduite de réformes structurelles constituait de fait une condition au maintien de taux d’intérêt à un niveau raisonnable.

Une moindre place pour le dialogue social
Alors que, dans la première phase de la crise, le dialogue social avait été dynamique et s’inscrivait dans un consensus marqué par la nécessité d’agir rapidement pour préserver l’emploi et amortir le choc économique, sa place a nettement diminué dans un second temps. La persistance d’une conjoncture dégradée et le lancement de programmes d’ajustements budgétaires importants ont limité la capacité du dialogue social à assurer une convergence entre la position des différents acteurs, en particulier dans les pays d’Europe du Sud.

Des réformes qui s’inscrivent souvent dans des processus plus larges
Les réformes mises en œuvre ont fréquemment pris la forme de « paquets » de mesures couvrant, dans une même temporalité, les principaux domaines du fonctionnement du marché du travail (contrats de travail, négociation collective, diminution du coût du travail, politiques actives) et s’inscrivant parfois dans le cadre d’un processus de réformes dépassant le seul marché du travail et cherchant à redynamiser l’ensemble du système économique, pour favoriser la croissance et une croissance riche en emplois.

 

Les réformes du marché du travail ont suivi plusieurs grandes tendances
L’analyse des réformes ne peut faire abstraction de la situation ex ante des marchés du travail et de leurs institutions. Or, en Europe, cette situation était en 2008 très différente selon les pays, et cela qu’il s’agisse des législations concernant la protection de l’emploi, de la place de la négociation collective, du champ et du niveau de protection de l’assurance chômage ou encore de la place des politiques actives sur le marché du travail.

À des degrés et selon une intensité variables, compte tenu notamment de la situation initiale de chacun des marchés du travail, les réformes entreprises s’articulent autour de cinq orientations principales.

 

Une tendance générale à l’assouplissement du droit concernant les contrats de travail, marquée pour les emplois permanents, moins nette pour les emplois temporaires ou atypiques
S’agissant de l’emploi permanent, les réformes ont été, depuis 2008, d’ampleur variable. Elles ont été, globalement, d’autant plus importantes que le degré de protection de l’emploi était élevé, comme en Italie, en Espagne et au Portugal. Elles ont porté sur différents aspects de la réglementation : le motif du licenciement (Espagne, Pays-Bas, Portugal), la procédure de licenciement (Espagne, Portugal, Royaume-Uni), la compensation du licenciement – avec une tendance à la baisse des indemnités légales de rupture (Portugal, Espagne, Pays-Bas – on vise ici les indemnités de licenciement versées au moment du licenciement – qui n’existaient pas dans tous les pays, et qui sont distinctes des indemnités judiciaires prononcées ex post en cas de licenciement injustifié ) – et un encadrement des réparations judiciaires en cas de licenciement jugé abusif – soit via une limitation des possibilités de réintégration (Espagne, Italie), soit par un encadrement des indemnités judiciaires (Espagne, Italie, Royaume-Uni). Elles ont également cherché à privilégier la conciliation (Royaume-Uni et Italie), à limiter le recours au juge (Italie, Royaume-Uni, Irlande) et à développer des formes de rupture du contrat de travail par consentement mutuel (Italie). Elles ont également porté sur les licenciements collectifs qui ont été assouplis (Espagne, Portugal).

 

S’agissant de l’emploi temporaire ou atypique, les réformes ont été moins univoques. Si le contrat à durée déterminée a pu être parfois assoupli (Italie), il a été également mieux encadré (Espagne, Pays-Bas, Suède, Italie à nouveau). Ce sont surtout certaines formes particulières d’emploi aux limites du salariat qui ont été mieux encadrées : suppression des contrats parasubordonnés en Italie, révision du régime des mini et midi jobs en Allemagne, meilleur encadrement des contrats zéro heures au Royaume-Uni.

Une décentralisation de la négociation collective et un assouplissement des mécanismes de flexibilité interne
Cette décentralisation s’appuie sur la mise en œuvre souvent convergente d’une série de réformes :
• révision de la hiérarchie des normes avec l’introduction soit de la possibilité, pour les accords de niveau inférieur, de déroger aux accords de niveau supérieur, voire à la loi, soit de la faculté, dite d’ « opt-out » pour les employeurs de ne pas appliquer les clauses des conventions collectives (Portugal, Espagne, Irlande, Italie) ;
• limitation dans le temps de la durée des accords et restriction des possibilités d’extension des accords de branche (Espagne, Portugal) ;
• ouverture ou extension de la possibilité de négocier des accords d’entreprise avec des représentants élus (Italie, Portugal) ;
• réforme de la représentativité syndicale et des conditions de validité des accords (Italie) ;
• extension des possibilités de flexibilité interne via la modification unilatérale du contrat de travail (Espagne, Portugal).

 

Une recherche de modération salariale et de baisse du coût du travail, la mise en place ou une refonte récentes du salaire minimum national dans certains pays
Depuis 2008, les outils de régulation salariale ont fréquemment fait l’objet de réformes ou de nouvelles pratiques – généralement en lien avec les évolutions de la négociation collective mentionnées plus haut – avec le plus souvent pour objectif d’obtenir une plus grande modération salariale. De fait, la période 2009-2014 s’est traduite par un ralentissement significatif de la croissance des salaires réels au travers notamment :
• du gel ou de la baisse du salaire minimum légal (Portugal, Irlande) ;
• du plafonnement de revalorisations conventionnelles (Italie, Espagne, Danemark) ;
• de l’allègement des charges sociales et fiscales pesant sur le travail (Italie, Suède, Espagne), avec notamment une logique d’incitation à l’embauche en CDI (Italie, Espagne).
Plus récemment, la place des salaires minima légaux semble se renforcer : mise en place en Allemagne, négociation sur sa mise en place en cours en Italie, forte revalorisation annoncée au Royaume-Uni.


Des régimes d’assurance chômage et d’assistance plus incitatifs au retour à l’emploi et souvent accessibles à un plus grand nombre

Alors que dans la première phase de la crise les dispositifs d’assurance chômage ont été mobilisés dans une logique contracyclique, ils ont le plus souvent été réformés par la suite pour accélérer le retour à l’emploi : baisse du taux de remplacement et introduction ou renforcement de la dégressivité (Suède, Espagne, Portugal, Italie), baisse de la durée d’indemnisation (Suède, Danemark, Portugal, Irlande, Pays-Bas) et renforcement du contrôle de la recherche d’emploi (Portugal, Espagne, Italie, Pays-Bas).

 

À l’inverse, là où il ne couvrait qu’une faible partie des salariés, le champ de l’indemnisation a parfois été étendu, soit en jouant sur la durée minimale d’affiliation (Portugal, Italie), soit en ouvrant l’assurance à certains non-salariés (Italie, Portugal).
Un accent mis sur les gains d’efficacité au sein des services publics de l’emploi et la dynamisation des politiques actives du marché du travail
Les services publics de l’emploi ont fait l’objet de réformes importantes : meilleure articulation entre placement et indemnisation (Pays-Bas, Irlande, Italie), moindre décentralisation (Suède, Espagne, Italie, Danemark), différenciation accrue de l’offre de services selon le profil du demandeur d’emploi (Suède, Allemagne, Danemark, Portugal, Irlande), accompagnement plus souvent externalisé (Suède, Espagne, Royaume-Uni, Portugal, Irlande, Italie), suivi renforcé (Pays-Bas, Royaume-Uni, Irlande, Italie).

 

Ce renforcement des politiques actives, qui intervient dans un contexte d’ajustement des finances publiques, conduit à un plus grand ciblage des politiques, soit vers les personnes jugées les plus fragiles (jeunes et chômeurs de longue durée en particulier), soit vers les actions prioritaires (la formation professionnelle et l’apprentissage occupent ainsi une place centrale).

 

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