7 minutes de lecture

economie solidaire

Comment permettre à des activités de proximité ne relevant pas d’un travail salarié « classique » de se développer autrement qu’au « noir », dans des conditions de sécurité pour ceux qui travaillent et pour les clients/usagers : pistes concrètes pour favoriser et sécuriser les nouvelles formes de lien social et économique.

 

Un chômage trop important pour être résorbé par le développement du salariat

Depuis le premier choc pétrolier et le début de l’irrésistible montée du chômage, les politiques publiques et la réflexion, dans les partis comme dans les syndicats, se sont axées sur l’emploi salarié comme objectif central de la sortie du chômage. Et pour un chômage structurel que l’on peut estimer de un million à un million et demi de personnes, ce qui est déjà beaucoup mais fait partie des logiques d’une économie devenue plus mobile, il y a aujourd’hui 5 millions de chômeurs de diverses catégories. Si l’on estime comme certains impudiques qui n’ont jamais connu de risques de carrière que tous ne sont pas des chômeurs involontaires, il faut alors leur rajouter environ 800.000 personnes en situation de non-emploi et de précarité totale mais non répertoriées, disparues des écrans de la statistique administrative, ce « halo du chômage » dessiné par l’INSEE..

 

Dans ces conditions on sait que la croissance prévisible n’offrira pas de réponse suffisante. Quand bien même les résultats économiques continueraient de s’améliorer au point d’entraîner une diminution du chômage, on n’imagine pas un instant pouvoir créer les 3 à 4 millions d’emplois salariés qui ramèneraient la demande d’emploi insatisfaite à un niveau acceptable pour le lien social.

 

Il faut accepter de penser un autre modèle, non pas alternatif au salariat mais complémentaire. Non pas seulement parce que la préoccupation écologique nous y amène au regard des prévisions inquiétantes sur le réchauffement climatique, mais parce qu’il faut s’habituer à une autre organisation dans un schéma de croissance durable donc faible. Il faut accepter d’intégrer dans les politiques publiques de nouvelles formes d’activité, souvent ancrées dans notre histoire économique mais devenues quasi invisibles dans la représentation imposée par les Trente glorieuses qui ont fait du salariat la norme radicalement dominante.

 

De nouvelles formes de lien social et économique


Les économies traditionnelles, incomplètement monétarisées, reposaient largement sur des échanges concrets dont la fonction économique était de plus fortement productrice de lien social, d’interdépendance et de solidarités. Certaines de ces renaissances ont été médiatisées, tels les SEL (services d’échange local). Beaucoup se développent dans la discrétion la plus complète, inscrites dans de micro-territoires, fruits d’initiatives de militants rapprochés par les convictions autant que par les mésaventures économiques. Ateliers de coiffure dans les quartiers difficiles, garages solidaires, épiceries solidaires, AMAP revivifiant des agriculteurs étranglés par la grande distribution, les initiatives foisonnent. Mais elles sont bridées par le corsetage juridique, fiscal, normatif de l’économie formelle. Les obstacles à leur essor sont légion : crainte d’une concurrence déloyale pour les artisans et commerçants, crainte de pertes de recettes pour le financement de la protection sociale, crainte d’un essor du travail dissimulé, poids des normes de toute nature qui visent à la sécurité des producteurs comme des usagers. Toutes ces craintes ont leur fondement. Mais si compréhensibles soient-elles, elles maintiennent dans la pauvreté et la solitude sociale ceux qui ne peuvent accéder au modèle désiré de l’emploi salarié à durée indéterminée.

 

L’obstacle majeur : l’insécurité juridique

La difficulté cruciale pour ceux qui désirent exercer ce type d’activité est celle de la responsabilité : responsabilité civile et éventuellement responsabilité pénale.
La responsabilité pénale tient pour l’essentiel à l’enchaînement des poursuites que peut entraîner l’incrimination de travail dissimulé. Elle est réelle, mais elle n’est pas la plus bloquante tant les contrôles spontanés ou suite à des dénonciations restent rares. La responsabilité civile, en revanche, peut contraindre à tout moment. Le moindre incident entraînant un dommage peut la provoquer. Le garage solidaire : le risque de blessure y est considérable dans le maniement de l’outillage souvent lourd. L’atelier de coiffure solidaire : risque de brûlure ou de choc allergique. L’épicerie solidaire : risque dans les manutentions. Si l’on a affaire à une association déclarée, la possibilité de se couvrir existe, notamment par l’assurance responsabilité civile des dirigeants. Encore celle-ci reste-t-elle le plus souvent ignorée. Mais d’innombrables initiatives ne relèvent pas de ce régime : elles s’inscrivent dans l’informel, par choix parfois mais le plus souvent par incapacité d’accéder à un statut formalisé : elles s’exercent d’abord sous forme d’initiatives individuelles puis d’associations de fait. Et dans cette configuration il n’est pas d’assurance possible.

 

Ces initiatives redonnent des raisons de vivre, recréent du lien social, forgent des solidarités. Elles créent de la richesse, dut celle-ci échapper au calcul du PIB. Elles créent du revenu, dut celui-ci échapper aux taxations. Avons-nous une solution de rechange ? NON. D’où cette réflexion : comment sécuriser la responsabilité tant civile que pénale de leurs initiateurs ?

 

Créer un « fonds de garantie des activités solidaires

 

Inspirons-nous d’un précédent : celui du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, plus couramment appelé Fonds de garantie automobile (aujourd’hui FGAO) qui a résolu le problème de l’indemnisation des victimes d’accidents provoqués par des non-assurés. L’Etat confierait à la Caisse des dépôts et consignations cette mission : créer une Caisse de garantie des activités solidaires. La Caisse a en effet une connaissance robuste des activités solidaires et elle intervient à de multiples titres dans leur financement. Ce Fonds pourrait intervenir selon différentes modalités comme assureur de premier rang ou comme fonds de garantie, avec mission de couvrir les dommages causés par les activités solidaires dans des conditions telles que la victime n’aurait pu être indemnisée, non couverte par une assurance du responsable. Cette fonction d’assureur direct pourrait ne pas lui être réservée si son initiateur préférait s’assurer ailleurs, et notamment auprès de réseaux mutualistes connaissant déjà bien le monde associatif et ses risques. Comme assureur direct elle serait accessible à tous ceux qui développent ce type d’activité dès lors qu’ils justifieraient d’un label « Activité solidaire ». Son financement, à l’égal de celui du FGAO ou du FGTI, serait assuré par une contribution sur les contrats d’assurances, évitant ainsi toute charge pour le budget de l’Etat ou pour la Caisse des dépôts.

 

Attribuer un label « activité solidaire »

Le label « Activité solidaire » serait délivré au plus près du terrain par des associations elles-mêmes agrées par les pouvoirs publics nationaux, régionaux ou départementaux capable d’assurer une instruction éthique avec une connaissance réelle de leur terrain et de ses acteurs. La labellisation pourrait intervenir a posteriori en cas de mise en cause de la responsabilité civile ou pénale des animateurs de cette activité. L’instauration de cette labellisation devrait faire l’objet d’une large communication et son attribution devrait être aussi peu bureaucratique que possible, ce qui explique qu’elle soit confiée à des acteurs associatifs plutôt qu’à des administrations publiques. Dès lors que l’activité ou son animateur bénéficierait de ce label, il aurait le droit de s’assurer auprès de cette Caisse ou d’un autre assureur de premier rang. L’attribution de ce label vaudrait également présomption d’activité non dissimulée et mettrait à l’abri des risques pénaux de toute nature liés au travail dissimulé comme à une non-application raisonnée des normes techniques de toute nature imposables aux vrais professionnels. L’Etat aurait à fixer le seuil d’activité à partir duquel l’activité devrait sortir de l’informel pour entrer dans les cadres de l’économie formalisée.

 

On voit bien toutes les objections que rencontrerait un tel projet. ? URSSAF tétanisées, DGFIP révulsée, Chambres consulaires indignées. Mais ont-elles, ces bureaucraties douillettes, une alternative à proposer au maintien et au développement de cette anomie dont les résultats tragiques nous sautent aujourd’hui au visage ?

 

Print Friendly, PDF & Email
+ posts

Universitaire spécialisé en finances publiques (et en histoire des idées politiques), je suis appelé au ministère du Travail en 1974 pour y créer un département d’études permettant d’adapter le budget à l’explosion du chômage. Très vite oubliées les joies subtiles du droit budgétaire et du droit fiscal, ma vie professionnelle se concentre sur les multiples volets des politiques d’emploi et de soutien aux chômeurs. Etudes micro et macro économiques, enquêtes de terrain, adaptation des directions départementales du travail à leurs nouvelles tâches deviennent l’ordinaire de ma vie professionnelle. En parallèle une vie militante au sein d’un PS renaissant à la fois en section et dans les multiples groupes de travail sur les sujets sociaux. Je deviens en 1981 conseiller social de Lionel Jospin et j’entre en 1982 à l’Industrie au cabinet de Laurent Fabius puis d’Edith Cresson pour m’occuper de restructurations, en 1985 retour comme directeur-adjoint du cabinet de Michel Delebarre. 1986, les électeurs donnent un congé provisoire aux gouvernants socialistes et je change de monde : DRH dans le groupe Thomson, un des disparus de la désindustrialisation française mais aussi un de ses magnifiques survivants avec Thales, puis Pdg d’une société de conseil et de formation et enfin consultant indépendant. Entre-temps un retour à la vie administrative comme conseiller social à Matignon avec Edith Cresson. En parallèle de la vie professionnelle, depuis 1980, une activité associative centrée sur l’emploi des travailleurs handicapés qui devient ma vie quotidienne à ma retraite avec la direction effective d’une entreprise adaptée que j’ai créée en 1992.