Lors de chaque élection, hors présidentielles et législatives qui vont ensemble maintenant, l’éternelle question revient : les enjeux sont-ils nationaux ou locaux ? Et si l’on regardait vraiment ce que font ces collectivités locales que sont les régions. Quelles sont leurs compétences en matière « d’action publique » ? De quoi s’occupent-elles ? Et si l’on répondait à cette question, surtout après les attentats du 13 novembre : « les deux mon capitaine » ?
J’ai lu attentivement les « dossiers » que le journal Le Monde a consacré depuis plusieurs semaines aux différentes régions. Ils m’ont intéressée et, en même temps, beaucoup irritée. Du coup je les ai relus de plus près et j’en ai analysé le vocabulaire, les photos et la cartographie. Trois registres significatifs de l’état et des manques du débat public.
Les mots et les choses
D’abord les nouvelles « grandes » régions qui n’ont pas encore de noms, Nord-Pas-de-Calais-Picardie, Aquitaine-Poitou-Charentes-Limousin, Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon, Alsace-Champagnes-Ardennes-Lorraine, Bourgogne-Franche-Comté et les deux Normandie ensemble, créées par le loi toute récente du 16 janvier 2015. Après un découpage que l’on pourrait qualifier de « compromis de coin de table ». Pour ces nouvelles régions, les articles du Monde portent essentiellement sur les rivalités de « capitales » et les distances à parcourir pour les candidats. Une géographie élémentaire en somme : Montpellier ou Toulouse ? Le choix des « capitales » entraîne la répartition des grandes directions des services de l’Etat. Réponse : on va conserver des morceaux à Toulouse tandis que d’autres « iront » à Montpellier. Seule capitale dont la désignation est déjà faite dans la loi : Strasbourg consacrée par la plume du législateur, jamais avare d’innovations sémantiques, comme une « Eurométropole » pour cause de présence d’institutions européennes. Ces savantes répartitions de fonctionnaires d’Etat ou territoriaux (car il faudra après les élections répartir les services des Conseils Régionaux) sont-elles susceptibles d’engendrer des économies ? Peu d’experts se hasardent à le calculer. On peut pressentir que de nombreuses voitures officielles ou de fonction vont circuler. Les services d’un conseil régional peuvent comporter de 3000 à 4000 agents, un conseil régional comme celui la très grande région Aquitaine-Poitou-Charentes-Limousin va compter 183 conseillers (Peut-on débattre à 183 ?)…
Pour les régions qui ont conservé leurs limites territoriales ou pour les nouvelles, les jeux d’ambition et de passions qui ont abouti à la confection des listes ont largement retenu l’attention des journalistes. Avec le vocabulaire « ancien régime » qui sied : « le Duc de Bourgogne » (Patriat, 72 ans), le « Duc de Bretagne » (Le Drian), les « fiefs » des élus, les « prétendants », la « dot » que peut apporter telle personnalité, féminine de préférence. On voit même réapparaître le mot « provinces » au sens d’avant 1789 dans la légende d’une photo…
Par contre il y a des mots que je n’ai pas vus, des petits mots tout simples mais qui désignent plein de choses : lycées, équipements universitaires, apprentissage, formation professionnelle, jeunes, orientation…le tout en lien avec le développement économique du territoire régional et des sous-ensembles qui le composent. Et pourtant ces mots correspondent justement aux « compétences » qui ont été attribuées aux régions au fil de nombreuses lois de décentralisation depuis 1982. Car il n’est pas mauvais de le rappeler, c’est seulement avec les lois de décentralisation de Gaston Deferre en 1982 que le niveau régional a été reconnu comme une collectivité locale à part entière, comme dans la plupart des autres pays européens.
Les images
Regardons les photos. Sur des dossiers, chaque fois de quatre pages, elles sont grandes et s’imposent, l’équivalent d’une demi-page en ouverture de dossier, puis toute la moitié supérieure d’une double page intérieure. Grandes et de belle qualité. Elles ont été prises pour l’occasion et pas récupérées de la dernière élection. Celles qui ouvrent le dossier sont les seules qui témoignent de quelque modernité, tandis que les actions de la région sont toutes tournées vers l’avenir : les jeunes, le développement technologique, la recherche et les pôles de compétitivité…Eh bien ce sont des photos des hôtels de région ! Le très beau bâtiment du conseil régional d’Alsace à Strasbourg, belle architecture moderne de bois, métal, traversée de lumière, bien desservi par le tramway aux couleurs de l’Europe que l’on aperçoit en coin de photo avançant sur une voie engazonnée (détail : c’est un investissement de la Ville de Strasbourg pas de la région). Le hall d’entrée de l’hôtel de région à Dijon, avec les trois tableaux abstraits d’Antoine de Bary « prêtés » dans le cadre de son « Musée hors les murs ». Ou bien des hémicycliques hypermodernes, avec tableaux de vote électronique…mais vides (je suppose que cela donne des photos plus esthétiques).
En double page, toujours le même principe d’organisation des images : deux portraits d’électeurs (un qui ira voter et un futur abstentionniste). Plutôt réussis. Au centre une grande photo qui cherche à être significative : souvent bucolique, un peu comme si parler du « local » amenait à parler « campagne », ou « cul des vaches », car il y a même une photo de vaches, s’agissant du Limousin. On oublie au passage que cette région qui va disparaître en tant que telle, non sans inquiétudes, a développé de nombreux équipements numériques, des filières de formation originales et renommées et est reconnue comme la meilleure utilisatrice des Fonds européens…Il y a aussi cette photo d’un croisement routier largement fait de bitume : « le changement de revêtement marque la frontière entre le Lorraine et la Champagne-Ardennes ». Manque de pot : ce sont les départements qui sont responsables des routes, ils y tiennent et le sont restés lors de la loi d’août 2015 alors qu’un souci de cohérence aurait voulu (et cela avait été prévu) que la région s’occupe de tous les transports. La différence de revêtement à Ancerville, c’est juste la limite (ce n’est pas une frontière, les droits de péage entre territoires ont été supprimés en 1789) entre le département de la Meuse et celui de l’Aube.
Pas de ville, pas de tissu ou de mode vie urbain dans les photos. Pas davantage de banlieues, et pourtant les banlieues sont aussi « dans » des régions.
Quant aux cartes, beau produit des possibilités de la cartographie actuelle, elles fourmillent de renseignements mais à tout vouloir mettre sur une carte, elles font sans doute un peu trop vite la relation entre les caractéristiques économiques et sociales d’un territoire et les choix politiques de ses habitants…L’habitat en « rurbain » mène-t-il automatiquement au vote Front National ? Un débat à poursuivre…
Les enjeux régionaux
Le pouvoir des images est fort. Evidemment cela rend les choses plus frappantes, plus « lisibles » comme on dit. Et il n’est pas très facile de parler du rôle des régions : leurs compétences sont surtout de programmation et de planification. Mais les schémas régionaux des transports, les cartes des formations (où et quand ferme-t-on des sections dans les lycées par exemple, ou bien vers quels métiers oriente-t-on les jeunes ou les demandeurs d’emploi à Dax ou à Draguignan), c’est loin d’être négligeable. Le rôle des régions concerne massivement l’éducation, la formation, l’emploi, les métiers en lien avec les vocations économiques que le territoire peut se construire. C’est même pour donner toute sa place à ce lien étroit entre la programmation et les réalités du terrain qu’a été faite la décentralisation. Et tout le monde sait bien que l’avenir en matière d’organisation de l’action publique territoriale, c’est les régions + les villes…
Dans le dossier sur la région Centre-Val de Loire, qui elle n’a pas changé, Florence Aubenas fait une belle description des difficultés qu’une région et ses élus peuvent avoir pour dessiner leur avenir, miser sur les bons projets, choisir les bons axes de développement, les bons partenaires : les Américains qui ont fait les beaux jours de Chateauroux avec la base de l’OTAN, puis les Chinois avec lesquels les relations se cherchent encore. Elle fait aussi un zoom sur des projets nouveaux sur lesquels le conseil régional a investi : les Maisons de santé. Et pourtant ce ne devrait plus être dans les compétences des conseils régionaux qui se sont vus retirer par la dernière Loi d’Août 2015 ce que l’on appelle « la compétence générale ». Mais gageons que chacun va continuer à faire ce qu’il veut et que le « mille-feuille territorial » a encore de beaux jours devant lui. Alors nationales ou locales, ces élections ? La question n’est pas bonne : le local d’aujourd’hui participe complètement du monde globalisé. Mais la démocratie ne gagne rien quand les journalistes, comme les politiques ne jouent pas leur rôle de pédagogie du débat.
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