La tonalité des derniers rapports de la Commission européenne comme de l’OCDE a changé : le développement des « compétences vertes » est vu comme une occasion de changer les méthodes de formation et de bousculer les systèmes éducatifs. Quelques initiatives :
L’Union européenne a adopté en 2010 une stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive intitulée Europe 2020. Cette stratégie vise à promouvoir et développer une économie basée sur la connaissance et l’innovation, plus efficace dans l’utilisation des ressources, plus verte et plus compétitive, et enfin à fort taux d’emploi favorisant la cohésion sociale et territoriale.
L’éducation et la formation sont évidemment des facteurs essentiels de la stratégie. Une communication de la Commission consacrée à l’éducation et à la formation en a précisé les contours en 2012 (Repenser l’éducation – Investir dans les compétences pour de meilleures résultats socio-économiques).
Rien de très nouveau par rapport aux précédents messages de la Commission. Cependant, l’accent est mis conjointement sur les compétences transversales et en particulier sur l’entrepreneuriat, ainsi que sur l’identification et l’évaluation des compétences et l’anticipation des besoins. Une attention croissante est accordée aux PME, à la nécessité d’éradiquer l’échec scolaire et un appui d’une utilisation extensive des TIC est attendu. Tout ceci montre qu’il s’agit bien comme l’indique le sous-titre de « Repenser l’éducation ».
Plus précisément, la communication insiste sur le besoin de se concentrer sur le développement des compétences transversales (esprit critique, esprit d’initiative, capacités de résolution de problème et de collaboration…) et notamment les compétences entrepreneuriales. On y rappelle aussi que l’acquisition par tous des compétences fondamentales doit être l’objectif premier, suivi de l’apprentissage des langues, si important pour l’emploi. En même temps, les pays de l’Union sont appelés à investir dans leurs systèmes d’enseignement et de formation professionnels afin de contribuer sensiblement à la résorption des pénuries de compétences… notamment dans des secteurs tels que les TIC, les services de santé, les technologies à faibles émissions de carbone, les services à la personne, les services aux entreprises, l’économie maritime et les secteurs « verts ». Les Etats membres sont également invités à s’appuyer dans cet effort sur une coopération renforcée au niveau européen.
Cela suppose de mettre en œuvre des processus d’apprentissage plus ouverts et plus flexibles dont les acquis soient mieux évalués et reconnus, une meilleure exploitation du potentiel des TIC, un appui à la formation des enseignants et des formateurs et le développement de nouvelles méthodes pédagogiques. Enfin, une section de la communication est consacrée au besoin d’encourager la collaboration mais aussi plus généralement en vue du développement des partenariats publics/privés susceptibles de mieux cibler les « bonnes » compétences, à l’exemple des communautés de la connaissance et de l’innovation (CCI) soutenues par l‘Institut européen d’innovation et de technologie.
Quelques leçons des actions mises en oeuvre
Faisant suite à un colloque organisé conjointement par l’OCDE et le CEDEFOP en 2012 sur le sujet des « green skills » ou « compétences vertes », un rapport a été publié en 2014 (Greener Skills and Jobs. Education and training for sustainability : An ecological vision. OCDE/CEDEFOP 2014.) qui prolonge la réflexion et l’illustre travers une série d’initiatives mises en œuvre dans certains pays européens. Parmi les leçons et les messages concernant l’éducation et la formation :
Les définitions adoptées pour les compétences vertes restent très générales. Selon le BIT (2010), il s’agit des compétences spécifiques requises pour adapter les produits, les services et les opérations aux changements, aux exigences et aux règlements pris pour répondre aux effets des changements climatiques.
Les systèmes de formation vont ainsi être confrontés aux besoins d’assurer la formation nécessaire aux « métiers vert sombre » (énergies renouvelables, traitement des déchets..), sans pour autant négliger le fait que nombre de métiers doivent être « verdis ». Il est donc essentiel d’encourager les développements de savoirs, de compétences et d’attitudes « verts », dans l’ensemble de l’économie. Un défi pour les systèmes de formation va être de maintenir l’égalité des genres dans la mise en œuvre de ces politiques.
Ces politiques vont s’appuyer sur des initiatives locales et régionales conduites en association au sein de vastes partenariats public/privé. L’implication des entreprises et des chambres de commerce et d’industrie à tous les niveaux est un impératif. Il sera essentiel que tous les départements ministériels concernés travaillent ensemble sur les enjeux de ces politiques de formation « verte » et qu’ils veillent à combiner des actions « top down » et « bottom up ».
Les valeurs de collaboration qui sont au cœur des compétences transversales sont essentielles dans la conduite des changements et aussi dans les réformes des systèmes d’éducation et de formation. C’est ce qui explique pour certains experts pourquoi les meilleures performances enregistrées par les enquêtes PISA sont celles de pays comme la Finlande qui ont installé les valeurs de collaboration, de confiance mutuelle et d’interaction sociale au cœur des réformes de leurs systèmes éducatifs. A l’opposé, les moindres performances – voire les reculs – observées aux Etats-Unis, au Royaume Uni ou au Chili s’expliqueraient par la volonté de ces pays d’introduire dans les systèmes éducatifs les mêmes valeurs de concurrence (entre les établissements, les universités, les enseignants, les chercheurs) que celles qui prévalent dans les entreprises. Selon ces experts, le développement d’économies plus compétitives supposerait que les systèmes éducatifs soient fondés sur une moindre concurrence. Ce message est à rapprocher de celui que délivrent François Dubet et Marie Duru-Bellat (10 propositions pour changer l’école, 2015) dans leur dernier livre, où ils imputent la dégradation des performances de la Suède selon PISA à la politique de décentralisation et de libéralisation de l’éducation mise en œuvre depuis une dizaine d’années.
Une autre leçon vient de l’analyse du comportement des entreprises industrielles face aux déficits en matière de compétences liés aux changements technologiques. Le concept de « formation tout au long de la vie » ne semble pas faire recette et les entreprises préfèrent recruter de jeunes diplômés qui sont ensuite formés sur le tas aux spécificités du métier. Du coup la question se pose de la situation des travailleurs qualifiés dès lors qu’ils atteignent un certain âge. Le rapport souligne également la mauvaise utilisation faite des compétences des migrants.
L’Etat a un rôle à jouer pour contribuer à la qualité du travail (et des compétences) des employés dans les entreprises impliquées dans le « green business ». Il importe d’assurer un cadre légal ainsi que des mesures de soutien, y compris financières, flexibles et ciblées, en particulier auprès des PME et des ouvriers. C’est ce que montrent les résultats publiés en 2013 d’une enquête entreprise par la Fondation européenne de Dublin (Eurofound) qui prend pour exemple la politique de soutien du gouvernement du Royaume-Uni auprès des syndicats britanniques à travers la création d’un fond spécialisé « Union Modernisation Fund », appelé à soutenir le projet des syndicats « TUC Green Workforce project » qui vise à stimuler le changement de comportement au travail.
Des initiatives de « formations vertes » dans de nombreux pays
L’Autriche a conduit en partenariat avec tous les ministères concernés un projet de mise en œuvre d’un « masterplan » portant sur le développement des ressources humaines dans le secteur des énergies renouvelables à l’horizon 2030.
En Australie, un partenariat dédié à l’accompagnement de la transition vers l’ économie verte a été établi entre le gouvernement, les organisations d’employeurs et les syndicats, le secteur de l’éducation et de la formation, et les représentants des communautés : l’objectif est d’identifier les compétences, d’établir des référentiels, d’organiser et de mettre en œuvre les actions de formation nécessaires, renforcement, remise à niveau – voire reconversion – auprès des travailleurs des secteurs concernés, avec un effort particulier auprès des travailleurs les plus vulnérables.
Au Royaume-Uni, les institutions en charge du développement des compétences dans chaque secteur (Sector Skills Councils) ont mis en place récemment un haut comité stratégique (high level Cross Sector Strategic Group) afin de conduire le développement de stratégies spécifiques pour les secteurs concernés par la transition énergétique (environnement, construction, chimie, pétrole, énergie nucléaire…)
La France est également donnée en exemple pour son Plan national de mobilisation pour les emplois et les métiers dans l’économie verte (suite au Grenelle de l’environnement) et son réseau d’Observatoires régionaux et de branche auquel s’est ajouté en 2010 un Observatoire de l’emploi et des métiers de l’économie verte au sein du Commissariat au Développement Durable.
En Chine, une attention particulière est apportée au développement de la formation à l’entrepreneuriat dans les métiers verts. La création de nouvelles entreprises vertes est encouragée par des subventions aux salariés en formation dans ce domaine ainsi que des dispositifs d’encouragement sous la forme de micro crédits et d’incitations fiscales.
En Espagne une Fondation a été mise en place afin de promouvoir la création d’entreprises dans le domaine de l’énergie solaire et du bâtiment.
Aux Etats Unis, des actions de formation spécifiques auprès des handicapés sont mises en oeuvre depuis 2009 afin de les insérer dans le « Green Jobs Talent Pipeline » à l’initiative d’un office spécialisé dépendant du Département du travail. Les handicapés ainsi que les chômeurs sont également la cible de programmes de formation spécifiques en ce qui concerne le traitement de l’eau en Afrique du Sud.
Afin de promouvoir l’égalité hommes / femmes dans l’accès aux métiers verts qui lorsqu’ils sont dans le domaine de l’énergie sont surtout masculins, le Département du travail américain a publié un guide spécialisé « Woman’s guide to green jobs » qui détaille également les opportunités de formation. Cette action s’appuie en particulier sur 9 centres répartis sur le territoire et dédiés à la formation des femmes aux métiers verts.
Les initiatives donc ne manquent pas, porteuses d’un renouvellement des systèmes éducatifs et de formation continue qui en ont bien besoin…
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