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Après s’être multipliées spontanément depuis 20 ans, les coopératives d’activité et d’emploi (CAE) ont acquis une existence légale avec la loi sur l’économie sociale et solidaire du 31 juillet 2014. Elles offrent un cadre d’exercice collectif à des professionnels souhaitant développer leur propre activité tout en bénéficiant de l’appui d’une infrastructure commune et du statut de salarié. Cela dans le respect des principes coopératifs : gouvernance démocratique (un associé, une voix) et affectation prioritaire des bénéfices au développement de l’activité. Au nombre de 74 à ce jour, elles regroupent 7 000 professionnels pour un chiffre d’affaires global de 70 M€. Des indépendants salariés qui développent collectivement des projets individuels ? Voilà un mode d’emploi qui mérite d’être observé de plus près. C’est ce que Metis entreprend en donnant la parole à quelques acteurs et actrices de CAE. En commençant par Claire Le Roy-Hatala, coopératrice salariée de la CAE parisienne Coopaname.

 

coopaname

Sociologue, consultante et formatrice spécialiste des liens entre emploi, handicap et santé mentale, vous avez choisi d’adhérer à Coopaname il y a un an. Pouvez-vous nous dire ce qui vous y a conduite ?
Après avoir été salariée d’une structure ouverte consacrée à l’accueil de personnes souffrant de troubles mentaux, j’ai décidé de développer une activité de conseil et de formation à mon propre compte, sous le statut d’auto-entrepreneur. Une année et demie d’exercice indépendant m’a permis de vérifier le bien-fondé de mon projet : il existait une vraie demande pour des services comme les miens, et j’étais capable d’y répondre de façon professionnelle. Elle m’a aussi fait toucher du doigt les limites de l’auto-entreprenariat : mon chiffre d’affaires s’est vite heurté au plafond réglementaire, et j’ai mesuré en même temps la précarité de ma situation sociale et professionnelle.

Ma première idée a alors été de basculer dans le droit commun de l’entreprise individuelle ou de l’exercice libéral. Mais j’avais entendu parler de Coopaname lorsque j’étais salariée, et le hasard d’une rencontre m’a fait m’en souvenir au bon moment. Pour tout dire, la première réunion d’information à laquelle je me suis rendue ne m’a guère convaincue : j’y ai entendu un discours plus militant que professionnel, éloigné de mes préoccupations. Ce que je cherchais, c’était de pouvoir concilier la souplesse et la liberté dont j’avais fait l’expérience comme auto-entrepreneure avec une plus grande sécurité professionnelle. Non pas tant de l’emploi d’ailleurs, que du revenu. Ce sont les avantages du statut salarié, auquel la coopérative m’ouvrait l’accès, qui m’ont décidée : revenu régulier et, surtout, protection sociale complète. Les services d’appui qu’elle m’offrait ne venaient qu’en second : j’étais preneuse de soutien comptable, mais peu intéressée a priori par l’accompagnement professionnel et le fonctionnement en réseau qui m’étaient proposés.


Comment se passe « l’entrée en coopération » à Coopaname ?
Ça commence donc par une réunion d’information collective. Si on décide de franchir le pas, elle est suivie d’un cycle de rencontres qui s’effectue par petits groupes de « nouveaux ». Nous étions six dans ma « promotion », avec des métiers très variés, principalement de services à la personne. C’est là que, chacun étant suivi par un « chargé d’accompagnement » référent, nous avons travaillé notre projet d’entreprise afin évaluer sa faisabilité, de définir son positionnement stratégique et de construire sa démarche commerciale. C’est ainsi qu’on devient coopérateur (Coopaname compte environ 700 membres), étant entendu que c’est à chacun d’amener avec lui son activité : la structure est là pour vous aider à la développer, pas pour la trouver à votre place.

Et comment ça fonctionne ensuite ?
Un coopérateur a accès à tous les services de la coopérative : tenue de la comptabilité individuelle, gestion de la facturation, appui permanent du chargé d’accompagnement, sessions approfondies de construction de projet, accès à différents réseaux, participation à de multiples groupes thématiques.

À lui de faire le reste : exercer son activité en trouvant ses clients. Les factures sont émises par la coopérative, avec qui s’établit formellement la relation commerciale avec les clients ; mais elles portent en en-tête le nom ou la raison sociale du coopérateur, et en sous-titre seulement celle de Coopaname. Les paiements alimentent le compte individuel du coopérateur, et la coopérative prélève une cotisation de 11 % sur son chiffre d’affaires.

Quant au statut d’emploi, on ne signe pas un contrat de travail dès l’entrée dans la coopérative : tout nouveau coopérateur commence par signer avec elle une convention d’accompagnement, non rémunérée, qui ne se transforme en CDI qu’une fois déclenchée sa première facture. Ce contrat doit notamment déterminer un nombre d’heures travaillées. En pratique, on part souvent par précaution d’un volume horaire réduit (moi par exemple j’ai commencé à 700 heures annuelles), qui peut être augmenté par avenant au fur et à mesure que l’activité et les recettes montent en charge (mon contrat est maintenant à plein temps). Pour ma part, je suis devenue salariée trois mois après mon adhésion.

Et ces trois mois m’ont aidée à préciser mon projet, à mieux identifier sa valeur ajoutée, mieux penser son positionnement, quitte à renoncer à certains de ses volets. Paradoxalement, entrer en coopérative vous place dans une logique d’entreprise, sur le long terme, c’est-à-dire dans la recherche d’une pérennisation de votre activité. Mais, comme les autres, j’ai dû apporter seule tout mon portefeuille d’activité.

Avec une année de recul, quel bilan tirez-vous de votre choix?
Je vous l’ai dit, au début je n’étais pas convaincue de l’apport que pouvait représenter la coopérative en termes de professionnalisation ; la suite m’a donné tort. Grâce à Coopaname, j’ai élargi la vision que j’avais de mon projet d’entreprise, et compris qu’il s’agissait d’abord de stabiliser mon activité dans la durée plutôt que de vouloir grossir à tout prix. Mon chargé d’accompagnement m’a très bien « challengée » en ce sens. De fait, le dispositif de suivi individualisé vous place dans une posture de négociation avec le chargé d’accompagnement, où vous devez solidement argumenter vos choix.

Les trois premiers mois passés en convention d’accompagnement m’ont aussi permis de me constituer un fonds de roulement avec les revenus d’activité que je n’ai pas perçus en salaire, ce qui m’assure encore aujourd’hui un volant de trésorerie suffisant.

Et puis Coopaname s’est révélée comme un lieu très stimulant en raison de l’atmosphère de créativité et de l’esprit d’entre-aide qui y règnent, des multiples rencontres qu’on y fait (y compris via l’intranet), des contacts foisonnants qu’on peut y nouer. J’ai pu par exemple constituer avec trois autres membres qui partagent mon centre d’intérêt un petit réseau thématique sur le handicap.

Il y a bien sûr quelques ombres au tableau. La coopérative abrite un extraordinaire potentiel de création d’emploi et d’activité, mais son fonctionnement manque parfois de professionnalisme. J’ai eu quelque fois le sentiment d’avoir affaire à une « joyeuse bande d’idéalistes », pleine d’énergie et d’inventivité mais qui peut avoir tendance à « bidouiller » ; si bien qu’il arrive que « ça patine », que des projets aient du mal à aboutir. Un exemple très concret : la structure met des salles de réunion à disposition des coopérateurs, mais leur standard n’est pas suffisant pour recevoir comme il le faudrait les entreprises clientes. En dépit du très réel professionnalisme de ses chargés d’accompagnement, elle me paraît se tenir encore trop à distance du monde des entreprises.

Et puis les valeurs coopératives induisent parfois un mode de fonctionnement « hyper-démocratique », où le souci de la délibération allonge beaucoup les délais et peut freiner le développement des projets.
Ceci étant, les aspects positifs l’emportent largement : je compte bien rester membre de Coopaname encore plusieurs années, et m’impliquer plus activement dans le collectif maintenant que mon activité me paraît stabilisée. Ce qui ne m’empêche pas de m’interroger parfois sur la solidité de la structure: son équilibre est forcément assez fragile et il n’est pas sûr qu’elle puisse le maintenir sans s’assurer un soutien public durable. Il serait entièrement justifié eu égard aux services rendus par la coopérative, mais il appelle sans doute un effort particulier de lobbying.

Un dernier mot pour vous aider à situer mon témoignage : je ne pense pas être représentative du coopérateur moyen chez Coopaname. Financièrement, je m’en sors pour ma part bien, mais je sais que nombre de coopérateurs ne tirent que de faibles revenus de leur activité, souvent faute d’une spécialité suffisamment recherchée ou valorisée sur le marché. Ils ne feraient sans doute pas le même bilan que moi de leur expérience en CAE.

 

Pour plus de détails, voir le site du réseau « Coopérer pour entreprendre »
Mots-clés : coopérative d’activité et d’emploi, coopération, salariat, emploi

 

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Socio-économiste, Jean-Louis Dayan a mené continûment de front durant sa vie professionnelle enseignement, étude, recherche et expertise dans le champ des politiques du travail, de l’emploi et de la formation. Participant à des cabinets du ministre du travail, en charge des questions d’emploi au Conseil d’analyse Stratégique, directeur du Centre d’Etudes de l’Emploi… Je poursuis mes activités de réflexion, de lectures et de rédaction dans le même champ comme responsable de Metis.