Le 14 janvier dernier, à la Fonderie de l’Image à Bagnolet s’est déroulée la journée de lancement du nouveau réseau SHARERS AND WORKERS. Ceux qui travaillent et ceux qui partagent. Et surtout ceux qui font les deux en même temps. Dit autrement les relations entre l’économie collaborative des plates-formes et l’économie plus traditionnelle, ou bien les relations entre les nouvelles formes d’emploi et le salariat classique.
Le lieu : le CFA (Centre de formation d’apprentis) Campus de l’Image où des générations de jeunes se forment aux métiers de la communication audiovisuelle. C’est dans le 93, département qui vient de se doter d’un Conseil du Numérique, à l’image du Conseil National du Numérique, et c’est dans un lieu de formation à des métiers qui s’exercent le plus souvent sous des formes d’emploi peu classiques. L’initiative de création du réseau Sharers and Workers revient à l’IRES, Institut de recherches lié aux organisations syndicaleset à ASTREES, et en particulier à Odile Chagny (également membre du Comité de rédaction de Metis). En partenariat avec la Fing (Fondation Internet Nouvelle Génération), Ouishare, la P2P, Cap Digital, l’Institut de l’Iconomie, et avec le soutien de UP chèques déjeuner, IPECA et le cabinet de conseil Sémaphores. Cette première journée de travail rassemblait les trois groupes d’acteurs que Sharers & Workers cherchait à mettre en connexion dans cette phase de lancement : des acteurs de l’économie collaborative et de l’économie des plates-formes, des chercheurs et des syndicalistes. Il faut souligner la participation active et en grand nombre des syndicalistes.
Les discussions et les interactions ont été tout de suite vives et fructueuses. Pour nourrir la réflexion, une dizaine d’aventures de création de nouvelles activités ont été racontées : de Blablacar à Wikipédia en passant par La Ruche qui dit oui. Oui ce sont bien des « aventures » économiques et sociales, et beaucoup des acteurs éprouvent le besoin d’en ressaisir l’origine comme pour mieux en donner le sens : un étudiant anglais qui fonde Openstreet map, fondation collaborative d’enrichissement permanent des cartographies innovantes que permettent les outils de géo-localisation et qui sont ensuite mises à disposition de manière gratuite pour tous les citoyens, les responsables locaux… et les amateurs de géographie. Une ferme australienne d’où va partir la plate-forme internationale de services d’alimentation en circuit court Open Food Network. Surprenant que de voir comment une construction de plates-formes au niveau international, puis national, puis très local peut permettre le développement d’un « système alimentaire décentralisé ». Comme pour La ruche qui dit oui, la recherche d’une agriculture moins prédatrice, d’une consommation moins gaspilleuse et plus responsable, est au cœur des motivations des uns et des autres. Le sens donné à l’activité est inscrit dans les motivations de départ, mais une grande liberté d’organisation est laissée par exemple aux 700 responsables locaux des Ruches répartis sur tout le territoire français. Une grande liberté également de fixation des prix des produits laissés à l’appréciation des agriculteurs producteurs et des « commissions » laissée à l’appréciation des « rucheurs ». En somme « une vraie place de marché » (dixit un responsable) mais qui a aussi souhaité s’inscrire dans les principes de l’Economie Sociale et Solidaire.
Et l’argent dans tout ça ? Le propos de cette première journée était aussi d’identifier les questions transversales qui se posent à tous, en matière d’évolution du travail et des formes d’emploi. Elles seront reprises dans l’après-midi sous forme de tables-rondes : comment faire évoluer les protections sociales pour qu’il y ait moins de divergences entre le niveau de protection sociale des salariés et celui des indépendants ou auto-entrepreneurs. Plusieurs syndicalistes insistent sur les liens à entretenir avec les discussions et négociations autour du « Compte Personnel d’Activité » : les organisations syndicales vont-elles pousser à ce que cette innovation conceptuelle et sociale permettre de prendre en compte les formes d’emploi en free-lance ou autres. A voir.
Quelle durabilité pour ces nouvelles entreprises et leur inscription dans des objectifs de développement durable ? Quelques initiatives (Wikipedia, Openstreetmap, l’Assemblée Virtuelle) sont très nettement inscrites dans la gratuité et le bénévolat. Mais de nombreuses autres sont aussi très clairement dans un modèle d’affaires de type start up, adoptant des formes juridiques de SA ou même le plus souvent de SAS que plébiscitent les fonds d’investissement. Les plates-formes de services pour free lanceurs que sont Hopwork ou Digital Village permettent des regroupements de travailleurs indépendants qui y trouvent des sécurisations en termes de facturation, de délais de paiement, des possibilités de mutualisation tout en gardant leur liberté. Ce sont des regroupements de « pairs » au sein desquels les relations ne sont pas d’ordre hiérarchique (mode de travail collaboratif) d’une cotisation ou commission (le vocabulaire n’est pas fixé) à la plate-forme. De là des questions que se sont posées les participants sur ce que seront les évolutions dans le temps de ce type de structures ? Quel partage de la valeur si un jour la plate-forme est vendue.
La valeur des plates-formes de services d’échange dépend du nombre de leurs utilisateurs : de Stootie dont l’application permet des échanges de tout (dépannages d’appoint, outils, prestations de service…) en se rémunérant à la commission, à Blablacar qui cherche à se développer dans des pays à forte démographie et se rémunère par de petites cotisations sur un très grand nombre de transactions.
Et le travail dans tout ça ? Travail reconnu sous forme de salariat classique dans les « têtes » de réseaux. Travail reconnu sous forme de « commission » par les organisateurs des circuits courts alimentaires. Travail indépendant et d’une grande flexibilité individuelle dans les réseaux de « pairs » mais en partie sécurisé par la plate-forme. Totalement gratuit et subjectivement gratifiant dans le « digital labor » (notion brillamment développée dans l’exposé d’Antonio Casilli, l’auteur de « Qu’est-ce que le digital labor ? ») des rédacteurs de Wikipedia, des géographes d’Open street Map, des passionnés d’informatique de l’Assemblée Virtuelle.
Une réflexion d’Alain Petitjean (Directeur du Centre de Prospective du Groupe Alpha) a retenu mon attention à la fin de ma table-ronde : « en écoutant les uns et les autres, il semble beaucoup plus facile de faire du lien, de faire du collectif entre indépendants que dans le travail salarié… ». Est-ce le lien salarial, ses multiples règles et procédures aurait déformé la relation de collaboration dans le travail ? Paradoxe à réfléchir.
Une journée particulière, nouvelle, de plein pied avec l’actualité : les questions abordées ont été nombreuses, variées, abordées de manière argumentée et non idéologique : un bonheur ! Ce n’était qu’une première journée et gageons que le réseau Sharers and Workers va continuer de se développer et de travailler. A rejoindre sur le Net et sur les réseaux sociaux.
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