par Catherine Chatignoux
Les marchandages vont bon train au sujet de ce que « souhaiterait » la Grande-Bretagne. Mais chaque pays européen peut-il négocier ses propres conditions en fonction des besoins de ses dirigeants en matière de politique intérieure ? La démagogie est souvent un piège. Et pas seulement pour David Cameron et pour les Anglais ! Au moment où Metis publie une série d’articles sur les différents pays européens, merci à Sylvie Goulard, eurodéputée (Alliance des démocrates et libéraux pour l’Europe) de nous permettre de reproduire son entretien dans Les Echos. Et merci aux Echos !
Sylvie Goulard est députée européenne du Modem. Elle siège au groupe Alliance des Démocrates et Libéraux pour l’Europe.
Considérez vous que le projet d’accord proposé au Royaume Uni par le président du Conseil européen, Donald Tusk est un compromis équitable ?
On est en train de faire une erreur stratégique. Les négociations avec le Royaume Uni se sont engagées sur une mauvaise base. Même si je considère qu’il est important que ce pays reste dans l’Union, je rappelle que nous avons un cadre juridique accepté par tous et que l’on ne peut changer ce cadre que par une révision des traités. C’est la seule manière de procéder. L’autre possibilité offerte par le traité dans son article 50, c’est le droit pour un pays de se retirer de l’Union. Au lieu de quoi, le Royaume Uni est en train de renégocier, unilatéralement et sous la menace, des engagements pris en commun. Cela revient à rétribuer un chantage. Il y a là un biais profond. Quand on entre dans cette logique, on ne peut pas obtenir un résultat équilibré. Ce qui se dessine est encore plus pervers. En réalité, la procédure actuelle débouchera sur un changement des traités par un accord international qu’il faudra ratifier. C’est le résultat inverse de ce qui était recherché.
Dans quels domaines jugez- vous que l’Europe se met en danger ?
La zone euro est en train de faire des concessions qui la mettent en position de discrimination. A l’origine, c’est l’Union européenne tout entière qui a établi l’Union économique et monétaire. L’euro était la monnaie de l’Union européenne et deux pays en étaient exemptés tandis que tous les autres s’étaient engagés à l’adopter quand ils y seraient prêts. Il y a avait une unité institutionnelle et une situation transitoire le temps que tous rejoignent la monnaie unique. Si on considère maintenant que ce n’est plus un cadre unique, d’abord, c’est un changement majeur, ensuite, cela veut dire que durablement il y aura des députés britanniques au Parlement européen qui vont auditionner le président de la BCE, qui se prononceront sur la composition du board de la banque centrale et qui participeront aux votes des textes qui concernent la zone euro. Le commissaire européen britannique participera, lui, à toutes les décisions du collège. Mais de notre côté, nous n’aurons aucun droit de regard sur les décisions de politique monétaire pouvant avoir un impact sur nos intérêts.
C’est déjà le cas aujourd’hui…
Aurait-on accepté cette situation si on avait pensé qu’elle était appelée à durer ? Pourquoi donner à des gens le pouvoir de décider sur des sujets dont ils disent qu’ils ne les concernent pas? Je rappelle que le Royaume uni ne sera jamais appelé à payer quoi que ce soit pour les fonds de secours de l’euro. La zone euro aura fait une concession majeure en contrepartie de quoi ? Il y a une tendance à prendre dans le paquet commun ce qui les intéresse et à se détacher de du reste. C’est comme vouloir tous les avantages du mariage tout en restant célibataire. Surtout on n’est pas du tout en train de clarifier les choses, on crée plutôt des problèmes pour l’avenir.
Les autres points du compromis posent ils moins de problèmes ?
Deux autres points sont particulièrement regrettables. Il y a depuis toujours dans les traités, acceptés par les Britanniques, cette référence à une « Union sans cesse plus étroite » . C’est l’idée que l’Europe est une dynamique et que sa finalité est politique. Donald Tusk dans sa proposition affirme que cette formule n’équivaut en rien à un objectif d’intégration politique! Pourquoi abandonner cela? On voit, derrière cette négociation, la volonté d’un certain nombre de gens de détruire l’intégration communautaire. Et tout cela est « légalement contraignant » .
S’agissant des migrants, les Britanniques n’ont-ils pas des intérêts légitimes à protéger ?
Le texte prévoit qu’on pourra limiter l’accès aux prestations sociales sur la base de la nationalité alors que l’état actuel du droit européen permet déjà de limiter les allocations à ceux qui ont cotisé. Mais les britanniques refusent de changer leur droit interne car ils tiennent à ce que leurs ressortissants puissent continuer à profiter du système. C’est vraiment une entrave à la libre circulation des personnes qui est l’un des quatre principes fondateurs de l’Union européenne. Cela ne concerne pas que les Polonais ou les Roumains. Je rappelle que Londres est la deuxième ville d’accueil de Français au monde. On règle un problème de politique intérieure de David Cameron par une entorse grave aux lois de l’Union européenne. Ce n’est même plus une Europe à la carte. Pour eux, on détruit des principes et on ouvre la porte aux revendications des autres. Au final je me demande pourquoi la France qui ne voulait surtout pas de révision des traités accepterait ce qui aboutit à changer le cadre juridique de l’Union avec pour la zone euro un sacrifice indéniable.
Y a -il d’autres remises en cause de l’acquis européens ?
Le texte revient en arrière sur l’existence d’un « single rule book », un règlement uniforme pour tous les acteurs financiers des vingt-huit Etats membres de l’Union qui est le socle de l’Union bancaire. La City serait placée en dehors des règles communes. Les banques françaises ne doivent pas voir cela d’un très bon œil. C’est totalement inacceptable. S’il n’y a plus de règles communes dans le marché intérieur des services financiers, y a plus de marché intérieur du tout !
Les réformes concernant la compétitivité du marché intérieur vous semblent-elles utiles ?
C’était le seul aspect des demandes de David Cameron qui nous semblait intéressant. Mais pas de chance, il n’y a rien de nouveau sur ce point. Certains aspects du texte complexifie même le système. Ainsi du rôle des Parlements nationaux qui ont déjà le droit d’alerter sur les projets de directives qui leur paraissent inutiles dans le cadre de la subsidiarité. Mais là on leur donne la possibilité de bloquer une législation et cela crée une interférence avec la procédure législative dans laquelle le droit d’initiative appartient à la Commission, au Parlement européen et au Conseil. . En quoi cela va-t-il améliorer l’efficacité de l’Europe d’offrir la possibilité pour les parlements nationaux de bloquer les projets de directives.
La France est elle prête à résister, selon vous ?
Il y a en ce moment des réunions de sherpas. Dans ces réunions, la France est plutôt sur une position de fermeté. Mais que va t-il se passer la semaine prochaine au Conseil européen. Le Président de la République ira -t-il jusqu’à dénoncer le processus ? Personnellement, je vois mal comment la France qui ne voulait surtout pas de révision des traités accepterait ce qui aboutira à changer le cadre juridique de l’Union avec, pour la zone euro, un sacrifice indéniable.
Pour aller plus loin :
Dans Les Echos, le Dossier » Royaume-Uni : Vous avez dit Brexit ? «
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