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Arnaud Fimat et Ségolène Delahalle ont créé Ça me regarde le 1er janvier 2012 sur une idée simplissime et formidable : mettre en relations les entreprises et leurs salariés avec des associations. Voici leur histoire, à deux voix.

En 2010, Arnaud et Ségolène travaillent tous les deux chez Manutan. Elle est en charge de la communication interne. Lui, d’un gros projet immobilier. Quand le DG leur confie la mission d’impulser une démarche en interne de développement durable, ils constatent que, au-delà de ce qui est déjà engagé en matière d’économies (impressions, consommation électrique, frais de transport…), rien n’est fait pour l’ancrage territorial et la responsabilité sociétale. Ils proposent alors aux salariés de poser une journée pour faire un projet utile à une association.

« Nous avons eu la naïveté de croire qu’il serait simple de trouver une association qui ait besoin de nous ». Cela n’a pas été du tout le cas. Il leur faut engager des démarches à la mairie, contacter les associations implantées localement… « Une seule nous a répondu ». Il s’agit de la Maison de la solidarité qui propose un accueil de jour avec soins médicaux, repas, possibilité de se reposer. La directrice leur donne rendez-vous en avouant ne pas savoir sur quoi cela peut déboucher. « Je n’ai pas de photocopies à faire ». Arnaud et Ségolène la rencontrent, visitent les lieux et ce n’est qu’à la fin de cette visite que l’idée survient. Le potager attenant aux locaux de l’association qui devrait servir à dynamiser et nourrir les bénéficiaires ne remplit qu’une de ses missions puisque le jardin est ouvert et les légumes subtilisés avant d’être récoltés. Le contrat est passé : Manutan fournira les clôtures, les salariés volontaires les poseront. Deux semaines après, 15 issus de tous les services et autant de bénéficiaires de l’association remontent leurs manches et passent la journée ensemble à monter la clôture.

Le lendemain, ça buzz à la machine à café !

« Nous nous sommes rendus compte qu’une action comme celle-là, simple à mettre en place, visible, utile, faisait beaucoup plus pour la marque employeur, comme on dit, que n’importe quel discours. L’année d’après, une autre journée est organisée avec une autre association mais les salariés nous ont dit que ce n’était pas suffisant, qu’ils voulaient s’engager plus qu’une journée par an et qu’ils nous demandaient de les aider à le faire…» Arnaud et Ségolène sont alors tous les deux à la fin d’un cycle professionnel avec des envies d’autres choses. Ils proposent à leur patron de monter une fondation d’entreprise pour que l’exemple de Manutan inspire les autres à s’engager dans cette voie. « Il nous a répondu que notre idée était géniale, mais que ce n’était pas le métier de l’entreprise. Avec Ségolène, nous nous sommes dits que ça allait devenir le nôtre ! ».

Leurs deux départs sont négociés en même temps avec la DRH et le 1er janvier 2012, la scop est créée, avec pour la première année une aide de la Fondation Macif. Depuis, près de 150 journées ont été organisées, plus de 3 000 personnes y ont participé. Plusieurs formats sont proposés aux entreprises. Notamment les RTT solidaires qui mobilisent des salariés volontaires sur leur temps personnel pour un programme d’un jour ou de plusieurs. Ou les séminaires qui embarquent un groupe de salariés désignés par l’entreprise. Dans ce cas, la prestation de Ça me regarde répond à un besoin spécifique exprimé par le client et la mission auprès d’une association fait partie d’un programme. Elle est encadrée par des ateliers en amont et en aval pour exploiter pleinement ce qu’on retire à se frotter à des expériences solidaires, loin des ratios du court terme et porteuses du sens que l’on peut perdre de vue en entreprise.

« Ce qui nous plaît, c’est de rapprocher les mondes »

Quand des salariés d’un grand groupe pharmaceutique passent 5 fois une journée de RTT solidaire avec les résidents d’un centre d’hébergement, ce sont des hommes et des femmes au-delà de leur costume de cadres ou d’employés qui font un bowling ou vont au restaurant avec des personnes qu’ils n’auraient jamais eu l’occasion de rencontrer. L’entreprise grandit de ça. « Nous l’aidons aussi à en tirer des inspirations. Une journée solidaire, ce n’est pas la B.A. de l’année, nous débriefons à froid sur ce qu’elle a apporté, ce qu’elle a permis de changer dans les habitudes des salariés, donc de l’entreprise… ».

Arnaud a commencé sa carrière dans la sécurité, la vidéo surveillance : « Avant, j’écartais les mondes, aujourd’hui, nous les rapprochons ! Ce que nous faisons, au final, c’est mettre de la vie ! Nous créons des environnements dans lesquels les gens redeviennent authentiques ».

« Ça me regarde est né d’un coup de génie que nous n’avions pas prémédité : l’association est inspirante pour l’entreprise. Ainsi, mettre des salariés d’une mutuelle en contact avec des compagnons d’Emmaüs qui sont cash, se disent les choses en face, partagent leur joie, leur colère… ça crée quelque chose qui nous dépasse et à quoi nous n’avions pas pensé au départ ! Les salariés sont fiers de leur entreprise qui leur a donné cette occasion. Certains d’entre eux prolongent la journée solidaire par un engagement personnel le week-end. Il ne s’agit surtout pas d’opposer les deux mondes et dire qu’il y a un modèle vertueux – l’association – en opposition à l’autre représenté par l’entreprise. Ce sont deux mondes différents et nous sommes conscients qu’une journée ensemble une fois par an ne donne pas une idée de la vraie vie ».

Le décadrage solidaire pour changer les gens en profondeur

Ils se défendent d’être une boîte d’événementiel solidaire. Leur niveau d’exigence sur chacune des opérations est très élevé. Pour eux, Ça me regarde propose une solution pour remettre de la vie et de la relation dans l’entreprise. Il s’agit de se rapprocher de la sphère RH et de développer l’amont et l’aval des journées solidaires pour que les entreprises les exploitent au mieux, ainsi que les prises de conscience qui en résultent. « Par exemple, lors d’une fusion, les salariés peuvent avoir tendance à se replier sur eux-mêmes. Avec Ça me regarde, nous leur proposons de sortir du quotidien, d’agir ensemble pour des causes plus grandes qu’eux et de retour dans l’entreprise, ils ne sont plus les mêmes. Le décadrage solidaire représente une vraie possibilité de changer les gens en profondeur, il permet de faire des rencontres inspirantes qui auront pour impact d’améliorer les relations, faire en sorte que les gens soient mieux et travaillent mieux ensemble ».

Depuis 2016… que sont-ils devenus ?

Depuis notre rencontre avec Arnaud et Ségolène en 2016, Ca me regarde continue de proposer des immersions collectives au sein d’associations mais accompagne également des salariés dans leurs démarches de mécénat de compétences et donne dorénavant des conseils stratégiques aux entreprises. En 2022, ils ont créé « Un début de réseau », une plateforme pour initier et développer des réseaux professionnels pour faciliter l’insertion de jeunes.

Pour en savoir plus 

Site web de Ca me regarde

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Fanny Barbier, éditrice associée au sein de la Smart Factory d’Entreprise&Personnel (réseau associatif qui mobilise, au service de ses adhérents, les expertises de consultants RH et la recherche en sciences humaines). Elle étudie en quoi les évolutions de la société ont un impact sur le travail et les organisations et propose des pistes pour la transformation heureuse de ces évolutions au sein des entreprises. Elle dirige le service de veille et recherches documentaires d’E&P. Elle a co-créé et animé des think tanks internes au sein d’E&P, BPI group et Garon Bonvalot et publié de nombreux ouvrages et articles sur le travail et le couple travail/société.