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par Jean-Yves Boulin, Albane Flamant

Reiner Hoffmann vient d’accéder à la tête du DGB, la grande confédération syndicale allemande. Dans une interview exclusive pour Metis, il s’exprime sur l’état du syndicalisme en Allemagne et en Europe, sur ses priorités, les politiques de l’UE et l’austérité en Europe.

 

Hoffmann

Vous êtes maintenant à la tête du DGB. Quel est l’état du mouvement syndical allemand ? Quelles sont ses forces ? Ses faiblesses ?

Les syndicats allemands vont bien. Ces dernières années, la plupart ont vu leur base de membres augmenter – tous les jours en Allemagne, plus de 1.000 personnes remplissent une demande d’adhésion, et parmi eux, il y a de nombreux jeunes. Cependant, le vieillissement de la société reste un des plus grands défis à relever par tous les syndicats en termes de recrutement. Notre influence politique reste intacte, avec la concrétisation de certaines de nos revendications, telles que par exemple un salaire minimum allemand. Mais il nous reste beaucoup à faire : l’Allemagne, qui est un des pays les plus riches d’Europe, a pourtant la plus grande proportion de secteurs à faibles revenus: Eurostat estime qu’environ 22% des employés allemands travaillent pour moins de 10,2 euros de l’heure. Nous devons faire pression sur le gouvernement pour changer cet état de fait.

 

Que pensez-vous des déséquilibres sociaux et économiques qui existent entre l’Allemagne et la majorité des pays du Sud de l’Europe ? Êtes-vous en faveur du « chemin du sacrifice » recommandé par le gouvernement allemand et la Commission européenne? Quelle sera la marge de manœuvre du DGB en termes d’influence sur ces décisions ?

Nous pensons que les déséquilibres entre les différents pays de la Zone Euro doivent être réduits, et que cela doit être une partie intégrante de la nouvelle politique de gouvernance économique dans l’Union Européenne. Mais les efforts de la Commission et des autres acteurs européens vont actuellement dans la mauvaise direction. La pression qui est mise sur les salaires et les conditions de travail des pays du sud de l’Europe n’est pas seulement une attaque aux droits des employés, mais a également des conséquences négatives pour le développement économique de l’Union. Ces politiques ont contribué à l’effondrement de la demande intérieure de ces pays, ainsi qu’à la diminution de la productivité économique de l’Union Européenne dans son ensemble. Même si les déficits commerciaux ont été partiellement réduits dans les pays les plus touchés par la crise, ces résultats ont été obtenus en réduisant le niveau d’importations, plutôt que par une croissance extraordinaire des exportations. Si nous voulons nous attaquer aux déséquilibres macroéconomiques qui existent en Europe, nous ne pouvons pas choisir la facilité : les pays avec un excédent de leur balance commerciale- comme par exemple l’Allemagne – doivent augmenter leur demande intérieure. Cela permettrait à ceux qu’on appelle les « pays en déficit » d’augmenter plus facilement leurs exportations et de réduire leur déficit extérieur courant, sans pour autant nuire à leur économie. En Allemagne, les premiers pas ont été faits dans cette direction. Un salaire minimum légal de 8,50€ – s’il s’applique à tous les employés sans aucune exception – aidera par exemple à augmenter la demande intérieure allemande. Mais il reste beaucoup à faire, et tout particulièrement en ce qui concerne le manque chronique d’investissement dans les secteurs privé et public. L’état doit impérativement augmenter son niveau de dépenses publiques dans l’éducation, les infrastructures, le renouveau environnemental et le progrès social. Ces efforts auraient alors des répercussions positives sur les classes allemandes les plus défavorisées. De plus, nous devons agir afin d’augmenter la demande intérieure et de préparer le pays aux défis du futur, tout en réduisant les déséquilibres au sein de l’Europe.


Le concept d’Europe sociale semble avoir disparu. Quels pourraient être des facteurs de renouveau de cette idée ? Pensez-vous qu’il est temps de passer d’une Union à 28 à une approche plus restreinte, comme par exemple une zone euro sociale ?

Conjointement aux efforts de la CES, le DGB et ses syndicats continueront de travailler intensivement en faveur d’une Europe plus sociale. Nous sommes déterminés à soutenir le Pacte Social proposé par la CES dans sa proposition pour une Union Sociale. A notre avis, le seul moyen d’induire un changement fondamental dans cette direction est d’écrire un nouveau traité promulguant une Europe plus démocratique et plus sociale qui aiderait à surmonter les défauts inhérents de l’union monétaire.

 

Nous utiliserons toutes les opportunités qui se présenteront pour promouvoir un nouvel agenda social pour la Commission, ainsi qu’un programme d’action clair pour l’Europe.

 

La CES avait déjà affirmé lors de son congrès de Séville (2007) qu’elle était en faveur d’une coopération renforcée, si une union sociale n’était pas possible avec l’ensemble des Etats membres. Nous avons déjà fait dans le passé différentes tentatives pour promouvoir un plus haut niveau de coopération, y compris dans le domaine social, mais rien ne s’est jamais concrétisé.

 

A mon avis, nous devons continuer à explorer ces deux scénarios : d’une part, une Union sociale à 28 et de l’autre, une Union sociale circonscrite à la zone euro (à laquelle pourrait se joindre tout Etat membre qui le voudrait). Nous nous devons d’évaluer les difficultés et les risques de chaque scénario. Mais au-delà de la seule question sociale, je suis persuadé que l’union monétaire européenne a besoin d’un cadre politique et réglementaire qui lui soit propre, ce qui dépasse la seule dimension sociale.

 

L’influence de la CES a décliné au cours des dernières années. Comment faire pour en regagner? Pensez-vous que des changements sont nécessaires, et si oui, à quel niveau ? Comment comptez-vous agir pour revitaliser le syndicalisme européen ?

En conséquence des mesures de gestion de la crise, et tout particulièrement à cause des graves atteintes (diminutions de salaire draconiennes, démantèlement des droits des travailleurs) auxquelles l’autonomie de négociation collective a été soumise, les syndicats européens ont été affaiblis. Ils ont perdu des membres et de l’influence. La CES a également souffert de cet affaiblissement de sa base. L’objectif conjoint durant les quatre années à venir sera de consolider et de renforcer le syndicalisme européen en termes de contenu, de concept et de structure. Le DGB et ses membres travailleront également à la concrétisation de cet objectif. Dans ce but, et pour augmenter leur visibilité, les membres de la CES veulent conduire des campagnes européennes fortes sur les questions qu’ils estiment essentielles. De notre côté, cet effort a déjà été commencé avec notre première campagne, qui a pour titre « une nouvelle voie pour l’Europe ».

 

Nous nous devons également de renforcer le dialogue social, qui constitue l’épine dorsale des syndicats européens. Nous améliorerons aussi notre propre coordination des négociations collectives en Europe, afin de mieux préserver leur autonomie. En résumé, ce sera au sein de la grande famille des syndicats européens que se passera cette discussion, ainsi que l’élaboration de nouveaux concepts et projets.

 

Au cours du prochain mandat européen du Parlement et de la Commission, quelles seront les priorités de votre organisation ?

Nos priorités ont déjà été déterminées au sein de la CES :

– Une clause de progrès social pour protéger les droits sociaux au niveau européen

– Un contrat social européen

– Un programme européen d’investissement

 

Du fait que les solutions nationales ne sont plus à la hauteur des défis posés par l’européanisation et la globalisation de l’économie, les syndicats doivent développer un programme européen solide lié aux programmes syndicaux nationaux. A partir du moment où les frontières sont levées pour la circulation des biens, des services et des capitaux, c’est le rôle de la CES, du DGB et de leurs membres de promouvoir l’européanisation des relations de travail.

 

Nous travaillerons ensemble pour atteindre ces objectifs. Le DGB actif à tous les niveaux (régional, national et européen), pour promouvoir ces objectifs en faisant appel aux membres du parlement, de la Commission Européenne, ainsi qu’aux autres acteurs concernés.

 

dgb

En conclusion, quelles sont vos priorités pour vos premiers mois en tant que dirigeant du DGB ?

Le monde de l’emploi est en train de se transformer profondément du fait des phénomènes de numérisation et de globalisation. Nous avons un besoin urgent d’un nouveau régime de travail, qui implique de nouvelles régulations du travail et des mesures pour son humanisation. Ma première priorité dans les mois à venir sera de débuter la mobilisation en ce sens, d’initier des débats publics et des discussions politiques, ainsi que de sensibiliser les acteurs à ce sujet. Nous nous battons pour plus d’implication de la part des travailleurs.

 

Crédit images : DGB (top) and CC/Flickr/blu-news.org (bottom)

 

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Sociologue dans le champ du travail et de l’emploi, sur les thématiques du temps et des temporalités de la vie quotidienne appréhendées notamment au prisme des relations sociales.

J’ai mené de nombreux travaux comparatifs sur les questions de temps de travail, à l’échelle principalement européenne mais également au-delà pour des institutions Françaises (ministère du Travail, etc.) et Européennes (Eurofound, etc.)

Aujourd’hui Vice-Président en charge de la recherche et de l’international de Tempo Territorial (Réseau national des acteurs des démarches temporelles), je suis également membre d’autres réseaux internationaux et nationaux sur les questions de temporalités (Séminaire International sur le Temps de Travail, International Association for Time Use Research, etc.) et de plusieurs comités de rédaction de revues (Transfer, Futuribles, Temporalités, METIS).