par Jean Simonet
Dans la foulée de l’interview que nous ont accordée deux accompagnatrices de Solidarités Nouvelles face au Chômage SNC, et du Dossier consacré par Metis à l’accompagnement, voici l’analyse que porte Jean Simonet sur son engagement dans l’accompagnement bénévole des chômeurs et plus généralement sur le chômage et la situation des chômeurs.
Depuis huit ans, au sein de SNC (Solidarités Nouvelles face au Chômage), j’accompagne à titre bénévole des personnes qui cherchent un emploi. J’ai abordé cette activité avec une expérience de consultant en management et en ressources humaines, acquise chez IDRH, Bernard Brunhes Consultants, BPI, et à titre individuel. J’ai beaucoup appris en tant qu’accompagnateur vers l’emploi. L’accompagnement permet de mieux connaître et de mieux comprendre l’expérience vécue du chômage, qui, en retour, oriente, structure et enrichit l’accompagnement.
C’est ce que je vais développer en m’appuyant à la fois sur ma pratique, sur ce que j’ai entendu, observé et compris auprès des personnes que j’ai rencontrées en situation d’accompagnement classique (à SNC un binôme d’accompagnateurs avec une personne accompagnée) et dans le cadre d’un atelier sur le projet professionnel que j’ai mis en place et que j’anime, avec d’autres. Je m’appuierai aussi sur diverses études réalisées auprès de chômeurs.
Même si à SNC nous préférons le terme jugé plus positif de « chercheurs d’emploi », j’utiliserai le plus souvent le terme courant plus largement répandu de « chômeurs ».
Bien entendu, même si je me sens solidaire des objectifs, des valeurs et des démarches de SNC, dont je suis imprégné, ce texte n’engage que moi.
Une épreuve, un traumatisme
Le contact avec les chômeurs fait apparaître un certain nombre de constantes dans leur expérience vécue de l’absence d’emploi, même si on ne les retrouve pas chez chacun. Ces constantes sont connues des spécialistes et identifiées par des études dont les premières remontent aux années trente, mais ne sont pas toujours reconnues ou intégrées dans les représentations les plus répandues du chômage et des chômeurs. Elles révèlent que pour ceux qui le vivent, le chômage est une épreuve, souvent un traumatisme.
La perte d’emploi est souvent le premier choc, source de stress post-traumatique. « Tout s’effondre », « un univers s’écroule ». Quelques années plus tard, certains évoquent avec une émotion encore intacte et des sanglots dans la voix le moment de leur licenciement. D’autres ont vécu une situation qui s’est dégradée progressivement et s’est étalée sur une période plus longue, mais qui n’en a pas moins été traumatisante et a laissé des traces.
Après le choc de la perte d’emploi, le fait de se retrouver sans emploi est une dégradation des conditions de vie, matérielles et morales. C’est d’abord une perte de revenus, souvent partiellement indemnisée avec la menace de la forte diminution de l’indemnité si l’on n’a pas retrouvé du travail au bout d’un certain nombre de mois. Rappelons aussi que 40% des chômeurs ne sont pas indemnisés et que le chômage est aujourd’hui un des principaux facteurs de risque d’entrée dans la pauvreté. Un moindre revenu va de pair avec des incertitudes quant à l’avenir, la peur d’une spirale négative, d’une dégringolade sociale, ce qui fait que beaucoup ressentent le chômage comme « l’absence d’avenir » à leurs propres yeux comme aux yeux d’autrui. Par ailleurs, la perte de son statut, social et professionnel, et de sa position sociale, c’est-à-dire de son identité sociale, engendre un sentiment de dévalorisation, une diminution de la confiance en soi, de l’estime de soi.
Vivant une situation difficile, ressentie comme une souffrance et une humiliation, beaucoup de chômeurs s’isolent et se tiennent à distance de leurs relations habituelles, amicales, voire familiales. Cet isolement est accentué par le fait que le plus souvent ces relations elles-mêmes s’écartent d’eux, qui ne vivent plus au rythme de ceux qui travaillent et sont désormais perçus négativement.
La perte d’emploi est une perte des repères de vie habituels. L’emploi structurait le temps et l’espace. Le chômeur se retrouve tout d’un coup sans horaires, sans emploi du temps, avec une impression de « vacances » et de « temps libre » qui n’en sont pas vraiment, car son esprit n’est pas libéré de tout souci et le rythme de vie est décalé par rapport à celui des autres. Il n’y a plus de raisons de sortir quotidiennement de chez soi pour se rendre au lieu de son activité et y rencontrer d’autres personnes.
La recherche d’emploi est aussi une épreuve, source de découragement et d’éventuels traumatismes. Elle est souvent longue et consiste en une accumulation de refus et donc d’échecs avant de réussir à obtenir un emploi éventuel. Elle laisse par ailleurs le chercheur d’emploi sans véritable information en retour quant à la valeur de sa candidature : il ne reçoit de la part des recruteurs que des informations convenues, avec des formules toutes faites sans grand intérêt …quand il reçoit une réponse. Le chercheur d’emploi travaille donc dans le brouillard, à l’aveuglette, comme le constate Didier Demazière, sociologue, dans son étude sur l’expérience du chômage, pour SNC et Pôle emploi (2015). D’anciens chômeurs ayant retrouvé un emploi pensent que les techniques de recherche d’emploi sont utiles, mais sans qu’ils parviennent à identifier en quoi précisément dans chaque recherche et finalement ils estiment qu’ils ont retrouvé un emploi « par hasard », sans repérer les causes de cette réussite.
Tous les chômeurs ne connaissent pas toutes ces difficultés, matérielles ou morales et quand ils en rencontrent certaines, elles peuvent être vécues avec des intensités, des significations ou des retombées diversifiées en fonction de chacun. Certains traversent même l’épreuve du chômage sans traumatisme ni séquelles apparents. Néanmoins, le mal-être et les difficultés psychologiques sont suffisamment fréquents pour que beaucoup d’accompagnateurs, et aussi des non-accompagnateurs, côtoyant des chômeurs, s’interrogent : est-ce parce qu’ils ne sont « pas bien dans leur peau » que beaucoup ont du mal à trouver un emploi, ou est-ce le chômage qui fait qu’ils ne sont « pas bien dans leur peau » ?
Pour David Bourguignon, maître de conférences à l’Université de Lorraine, les études de terrain ont montré que la deuxième hypothèse, dite d’exposition (à la situation de chômage), l’emporte de très loin par rapport à la première, dite de sélection (par le chômage). Autrement dit, c’est avant tout le chômage qui détériore la santé, physique ou mentale, de ceux qu’il touche.
Stigmatisation, culpabilisation
Beaucoup de chercheurs d’emploi ressentent, ou constatent qu’ils ont une mauvaise image. On les évite, ou on les plaint, comme s’ils étaient porteurs d’une maladie socialement transmissible, et honteuse, « une sorte de lèpre de l’époque moderne ».
Trois éléments caractérisent, selon David Bourguignon, cette image négative et la stigmatisation des chômeurs : on pense qu’ils sont (ou doivent être) incompétents, paresseux et profiteurs. 60% de leurs contemporains estiment qu’ils pourraient trouver un emploi s’ils le voulaient vraiment (enquêtes CREDOC).
Cette stigmatisation se traduit concrètement par des discriminations, vérifiées expérimentalement : à compétences égales, les recruteurs préfèrent les gens en activité. Le paradoxe, du côté du chercheur d’emploi, c’est qu’il doit « se mobiliser » et faire preuve de dynamisme et de confiance en soi alors qu’il se trouve dans une situation qui le déstabilise, lui ôte une partie de ses moyens.
L’échange régulier avec la personne qui cherche un emploi permet de connaître en profondeur les modalités et le poids de cette stigmatisation, ainsi que de constater sa fausseté, c’est-à-dire l’écart entre la représentation stéréotypée et la réalité de chaque personne en situation de chômage.
On constate que s’applique le mécanisme identifié dans les années soixante-dix aux États-Unis : la victime se voit reprocher ce qui lui arrive (« blame the victim »). Trois causes expliquent le phénomène. D’abord, c’est un moyen pour ceux qui ont un emploi de vaincre leur peur, de se rassurer et de tenir la situation de chômage à distance : « les chômeurs sont différents de nous, je ne suis pas comme eux, car je ne suis ni incompétent, ni paresseux ni profiteur ».
Ensuite, c’est la manifestation d’un biais cognitif repéré par des psychologues, l’erreur fondamentale d’attribution, qui consiste à expliquer le comportement d’une personne par ses dispositions individuelles ou sa personnalité en sous-estimant l’influence de la situation, du contexte. Essentiellement parce que la personne est visible et qu’il est tentant de la qualifier alors que la situation est invisible, non perceptible dans toute sa réalité et sa complexité. Les chômeurs ont perdu leur emploi, donc on postule qu’ils n’ont pas (ou plus) les compétences requises. Ils ont du mal ou mettent du temps à retrouver un emploi, donc on postule qu’ils sont fainéants ou se complaisent dans une situation de non-emploi. Bon nombre d’entre eux perçoivent des allocations ou des indemnités, donc on postule que ce sont des profiteurs, des parasites ou des assistés. Évidemment, de tels postulats apparaissent faux, en tous cas caricaturaux, dès qu’on échange un tant soit peu avec des chômeurs.
La troisième cause de l’existence et du maintien des stigmatisations envers les chômeurs est l’idée que, sous une forme ou sous une autre, ils sont, au moins pour une part, responsables de ce qui leur arrive. Soit pour les motifs précédemment évoqués (incompétence, paresse, volonté de profiter du système), soit pour d’autres, à découvrir : mauvaise orientation et mauvais choix de carrière, particularités psychologiques ou de caractère, etc.
Cette croyance qu’ « on a ce qu’on mérite », que « ce qui vous arrive est mérité », est celle d’une morale des forts, qui se croient invincibles, ou celle des naïfs, qui pensent que notre monde est un monde juste, « le meilleur des mondes possibles » de Pangloss dans Candide de Voltaire.
Mais c’est aussi, une croyance que l’on s’applique à soi-même quand un malheur vous frappe : « Pourquoi moi ? Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter cela ? ». Le malheur qui vous atteint est vu comme une punition, en tout cas le résultat d’une faute ou d’une erreur. Pensée archaïque, qui vient du fond des âges, mais toujours vivante aujourd’hui et qui touche les chômeurs, comme bien d’autres personnes confrontées aux accidents de la vie. Ces personnes en arrivent à se penser coupables de s’être mises dans la situation où elles sont. Les politiques de gestion des ressources humaines, désormais individualisées (« vous êtes l’acteur de votre évolution professionnelle »), entretiennent à l’occasion ce passage de la responsabilité à la culpabilité.
Comprendre la personne en situation
L’accompagnement dans la recherche d’emploi permet de dépasser les stéréotypes et de prendre en compte l’expérience vécue du chômeur.
Dans l’accompagnement, en particulier l’accompagnement bénévole, la nature de l’échange (dialogue de proximité, équilibré et non institutionnel) et le fait de disposer de temps font que le chômeur est a priori considéré comme une personne. Pas comme un numéro, une catégorie statistique, économique ou sociologique, mais comme un individu singulier qui rencontre des problèmes, mais ne se confond pas avec ceux-ci. L’expérience montre qu’au contact des accompagnateurs, la plupart des chômeurs ont beaucoup de choses à raconter, à exprimer. Des choses qui ne peuvent en général se dire à la famille et aux amis, parce que ceux-ci sont trop proches, dans une relation trop chargée d’affectivité, mais qu’ils apprécient de ne pas garder pour eux et de confier à des tiers bienveillants susceptibles de les écouter et de les aider.
La connaissance de la personne passe par celle des situations qu’elle a vécues : parcours professionnel, compétences acquises, moments forts des activités développées, etc. Mais aussi par la connaissance du vécu de la situation actuelle de chômage (quelles difficultés ? quels points d’appui ? etc.) et par l’exploration des actions et scénarios à envisager (quel projet professionnel ? quelle stratégie de recherche d’emploi ? etc.).
La découverte de ces situations passées, présentes ou possibles dans le futur et du sens que la personne donne à ces situations, permet de comprendre comment chaque chômeur raisonne, agit et mène sa vie, en évitant les a priori et les jugements ou les catégorisations sommaires.
L’expérience du chômage comme épreuve, source de difficultés, mais aussi, pourquoi pas, d’opportunités (se remettre en question, se réorienter), le poids des stigmatisations et des idées toutes faites, mais aussi parfois d’heureuses surprises (des solidarités, des rencontres) tissent chaque histoire de vie au pays du non-emploi. Au fil de l’accompagnement, la personne se cherche, évolue et si les choses se passent bien ne se fige pas dans une position de victime.
En mai 2016, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a présenté un avis, sous forme de rapport sur « L’impact du chômage sur les personnes et leur entourage : mieux prévenir et accompagner ». Ce rapport constate les dégâts du chômage sur la santé et les stigmatisations des chômeurs, qui rendent plus difficile le retour à l’emploi. Il affirme que le chômage est désormais une question de santé publique : 10 à 14 000 décès par an lui sont imputables (augmentation de certaines pathologies, maladie cardio-vasculaire, cancer… ou augmentation du taux de suicide), ainsi qu’une multiplication des épisodes dépressifs. Le CESE juge que ce risque est insuffisamment identifié par les politiques de santé publique, alors même qu’un actif sur deux a connu ou connaîtra au moins une période de chômage dans son parcours professionnel. Le chômage tue aujourd’hui trois fois plus que les accidents de la route, qui causent désormais autour de 3 400 morts par an contre plus de 16 000 morts par an en 1972, avant que la sécurité routière ne devienne une cause nationale. Le rapport préconise notamment de faire changer le regard sur les personnes au chômage et de développer diverses formes d’accompagnement : un accompagnement psychologique et un meilleur suivi médical devraient être ainsi proposés aux personnes sans emploi.
Les analyses et les préconisations du rapport du CESE sont pertinentes et fort utiles. Elles complètent nos modestes réflexions sur un accompagnement qui n’est ni psychologique ni médical, l’accompagnement bénévole à la recherche d’emploi ou vers l’emploi (incluant aussi la création d’emploi).
Leçons pour l’accompagnement
Accompagner les chômeurs est un bon moyen de comprendre le chômage de l’intérieur. Comprendre cette expérience, dans toute sa diversité, permet en retour d’améliorer en permanence l’accompagnement vers l’emploi. Cet article est fondé sur l’idée que peut s’enclencher ainsi une dynamique positive continue. Je présenterai cinq voies de progrès pour l’accompagnement.
1. Offrir au chercheur d’emploi des possibilités pour sortir de son isolement
L’accompagnement en lui-même est une occasion de contact avec un accompagnateur ou, comme à SNC, un binôme d’accompagnateurs, qui échange avec la personne accompagnée, lui permet d’élargir ses perspectives, d’envisager des pistes et des idées nouvelles. Mais on peut ne pas en rester là et l’accompagnement, au sens le plus large, n’est pas que cet accompagnement à deux ou à trois que nous venons d’évoquer. Il peut aussi inclure l’information sur les diverses formules, ouvertes et gratuites, dont peut bénéficier le chercheur d’emploi, selon ses besoins et ses centres d’intérêt : séances ou ateliers sur les techniques de recherche d’emploi, sur le projet professionnel, sur la préparation des entretiens de recrutement, groupes ou réseaux d’échange et d’aide mutuelle réunissant des chômeurs, centres ou personnes ressources sur les métiers et les secteurs professionnels, aide (financière, juridique, psychologique …), etc. Les accompagnateurs, ainsi, n’interviennent plus seulement de façon directe, en face à face, mais aussi comme intermédiaires, comme passeurs.
2. Déculpabiliser, dédramatiser
L’accompagnement peut aider le chômeur à sortir d’un discours intérieur négatif, sans nier la réalité de ses difficultés. Comme l’affirme Claude Halmos, psychanalyste, à propos des chômeurs, « dire à quelqu’un : « ce n’est pas vous qui êtes malade, c’est le monde qui l’est. Si vous ne supportez pas ce que vous avez à vivre, ce n’est pas parce que vous êtes fragile, c’est parce c’est invivable », c’est lui dire qu’il ne doit pas se laisser abattre, qu’il doit se battre ». Elle fait aussi remarquer qu’avant de se raconter les chômeurs pensent qu’ils sont les seuls à éprouver leur mal-être et qu’ils pensent être anormaux, mais qu’une fois qu’ils en ont parlé avec d’autres, chômeurs ou accompagnateurs, ils se rendent compte que ce mal-être est largement répandu et lié à la situation, pas à eux-mêmes.
Dédramatiser, ce peut-être aussi indiquer comment régler un problème avec Pôle emploi. Un litige ou une incompréhension avec cet organisme peut miner le moral du chercheur d’emploi : « pourquoi me refuse-t-on la formation dont j’aurais besoin ? », « pourquoi n’ai-je pas reçu le montant d’allocation auquel je pense avoir droit ? », etc. Après avoir obtenu un rendez-vous avec un responsable de l’agence Pôle emploi concernée et une réponse argumentée et claire, la tension retombe et le moral remonte en général. Même si la demande n’a pas été entièrement satisfaite, le fait d’avoir été entendu atténue la rancœur, souvent forte a priori.
Dernier exemple : le succès de « l’exercice des talents », qui consiste à faire émerger des compétences dont on n’avait pas toujours conscience à partir du récit d’une expérience professionnelle vécue comme réussie. « Enfin je reçois des remarques positives ! » est une expression fréquemment entendue après cet exercice.
3. Aider à construire son projet professionnel
Première idée : oublier le passé et ses causes, envisager le présent et l’avenir, et les actions à entreprendre, ou déjà entreprises. Connaître ses compétences, ses ambitions et explorer le marché du travail. On peut utiliser le terme de « projet » ou non, utiliser d’autres termes : « objectifs », « métier », etc. La construction du projet comprend la préparation (construction intellectuelle, mentale) autant que la mise en œuvre (construction pratique).
Deuxième idée : l’accompagnement vers l’emploi se professionnalise de plus en plus en intégrant des pratiques assez nouvelles en France telles que l’orientation professionnelle pour adultes ou le conseil en évolution professionnelle. L’orientation est, dans notre pays, traditionnellement centrée sur les jeunes et l’orientation tout au long de la vie est une approche récente, à laquelle, par exemple, viennent de se former les conseillers de Pôle emploi. Le conseil en évolution professionnelle est une prestation gratuite, aussi toute nouvelle (loi du 5 mars 2014), délivrée par certains opérateurs (Pôle emploi, l’Apec, etc.) et dont peuvent désormais bénéficier aussi bien ceux qui ont un emploi que ceux qui en cherchent un. Ces nouveaux champs impliquent d’abord des professionnels, mais aussi, par extension et dans le rôle qui est le leur, des bénévoles qui sont ainsi amenés à développer leurs compétences.
Troisième idée : ces nouveaux domaines de professionnalisation confirment l’accompagnement comme une démarche d’aide à la décision. L’accompagnateur ne décide pas pour l’accompagné, ne force pas ses choix, doit être un « architecte des choix ». Traditionnellement, les jeunes qui n’ont pas eu le choix disent : « j’ai été orienté » (vers une filière technique). Désormais, il s’agit d’aider des adultes à s’orienter, en toute autonomie, tout au long de leur vie. Les accompagnateurs devront plus que jamais éviter les attitudes que leur reprochent parfois les chômeurs : paternalisme, discours moralisateur, injonctions ou conseils parachutés (« si j’étais à votre place » …), etc.
4. Soutenir pendant l’épreuve de la recherche d’emploi
L’étude de Didier Demazière, déjà citée, est très éclairante sur la recherche d’emploi. Elle montre qu’en dernier ressort, l’essentiel est moins une affaire de techniques (CV, lettre de motivation, comportement en entretien, réseaux…), qu’il faut savoir pratiquer, bien sûr, qu’une affaire d’endurance, de persévérance pour tenir le coup, résister, sur la durée sans céder définitivement au découragement. La recherche d’emploi est une course d’obstacles et une traversée des paradoxes, qui sont en général difficiles à vivre et sources de tension.
La recherche d’emploi dure en général trop longtemps et consiste en une accumulation de refus (« on prend baffe sur baffe »). Le premier paradoxe est qu’on échoue plusieurs (voire de très nombreuses) fois, ce qui laisse des traces, même quand, pour finir, on réussit. Chaque emploi visé est source d’espoirs, le plus souvent déçus. Deuxième paradoxe : on s’engage, on y croit, et il faut ensuite résister au découragement, prendre du recul, retrouver de l’énergie pour continuer. Pour tenir la distance, il faut intégrer la recherche d’emploi dans l’organisation de son temps et de sa vie, se construire une vie sociale où le « travail » de recherche d’emploi tient la place du travail classique. D’où le troisième paradoxe : on s’organise pour mener une vie sociale « normale » dans une situation « anormale » qu’on souhaite quitter au plus tôt.
L’accompagnement peut faciliter cette traversée des paradoxes, que chacun vivra à sa façon. Il peut prendre des formes techniques ou des formes plus psychologiques, selon les moments. L’essentiel pour le chercheur d’emploi passe par la relation avec le (ou les) tiers bienveillants, ces personnes de confiance qui apportent un soutien distancié, mais plein d’intérêt, à qui on sent qu’on peut tout raconter parce que cela n’aura pas de conséquences sur la relation.
5. Évaluer, faire régulièrement le point pour avancer
L’accompagnement, ou telle ou telle modalité d’accompagnement, ne sont pas des fins en soi, mais des moyens au service de la progression de la personne accompagnée. C’est pourquoi des évaluations régulières, quantitatives et qualitatives, sont nécessaires.
On enregistrera ce que deviennent, par la suite, les personnes accompagnées : retour à l’emploi, sous des formes diverses, formations, etc. Ça ne saurait être la seule évaluation, mais elle est incontournable.
A la base, dans le cadre de chaque accompagnement, différentes évaluations, différentes synthèses ou différents bilans sont, sauf exception, souhaitables et utiles pour la conduite de cet accompagnement : « où en sommes-nous ? », « quels sont les points forts et les points à améliorer à partir de ce qui a été fait ? », « quelles priorités nous donnons-nous pour la suite ? », etc. Solliciter les avis de la personne accompagnée, les confronter avec les perceptions de l’accompagnateur, dégager des synthèses opérationnelles pour construire en commun la suite de la démarche d’accompagnement, voici les moyens pour faire pleinement intervenir cette personne dans le processus et développer son engagement et sa satisfaction.
Enfin, des confrontations de pratiques et des échanges d’expériences réguliers entre accompagnateurs sont, au-delà de leur formation initiale, le moyen de maintenir et de développer les compétences de ces accompagnateurs, qui, même bénévoles, ne sauraient cesser de se professionnaliser (encore un paradoxe, qui, celui-ci, ne doit plus étonner et se révèle très positif).
Je conclus en laissant le dernier mot à deux auteurs, déjà cités, qui m’ont pour une large part inspiré cet article : Claude Halmos et Didier Demazière.
À Claude Halmos, j’emprunte l’idée qu’il faut briser le silence. Elle dit que les chômeurs sont les blessés de la guerre économique et qu’on n’a aucune considération pour eux, qu’on ne les soigne pas. Elle écrit que perdre son travail ou craindre de le perdre n’est pas seulement une atteinte à un « avoir », mais une blessure à notre « être », que « la crise économique a enfanté une autre crise, une crise psychologique qui érode, corrode, lamine les cœurs, les corps et les têtes. Or, de cette crise, nul ne parle : ni les politiques, ni les médias, ni les « psy ». Ce silence a de graves conséquences sur les individus ; il renforce leur angoisse et les enferme dans une honte qui n’a pas lieu d’être. »
À Didier Demazière, pour cette conclusion, j’emprunte l’idée sur laquelle il conclut son étude : « l’expérience du chômage est une socialisation », c’est-à-dire un ensemble d’apprentissages, d’expérimentations lié à la société et qui touchent la personne au plus profond d’elle-même. Je retiens pour ma part que cette socialisation est brutale et souvent douloureuse, mais que les effets en sont différents selon les personnes, et que les éléments qui la composent s’assimilent à des compétences à acquérir. En effet, selon lui, elle « peut se décliner en : apprentissage de routines pratiques (rédiger un CV) ; organisation de la vie quotidienne (gestion du temps) ; confrontation à des jugements (rencontres avec autrui) ; estimation de sa propre valeur (réflexivité) ; réactions aux urgences (capacités à survivre) ; formulation de l’avenir (issues acceptables), etc. (…) L’enjeu n’est rien moins que : que devient-on ? ».
Pour en savoir plus :
– Bourguignon D., « Le chômage analysé à la lumière de la stigmatisation », in Herman G. (Ed.), Travail, chômage et stigmatisation, De Boeck, 2007.
– Cord M., « Qu’en est-il de la souffrance psychique des chômeurs ? », Psychologues et Psychologies, n° 237, février 2015, téléchargeable sur le site www.snc.asso.fr
– Debout M., Le traumatisme du chômage, Les Editions de l’Atelier, 2015.
– Demazière D. et al., « Vivre le chômage, construire ses résistances, Synthèse de l’étude « Affronter le chômage. Parcours, expériences, significations. », 2015, téléchargeable sur le site www.snc.asso.fr
– Farache J., L’impact du chômage sur les personnes et leur entourage : mieux prévenir et accompagner, Conseil économique, social et environnemental, Journal officiel de la République Française, 2016.
– Halmos C., Est-ce ainsi que les hommes vivent ?, Faire face à la crise et résister, Fayard, 2014 (Le livre de poche, 2015).
– Loriaux F. (Ed.), Le chômeur suspect, Histoire d’une stigmatisation, CARHOP-CRISP, 2015.
– Ross L., Nisbett R.E., The Person and the Situation, Perspectives of Social Psychology, Pinter & Martin, 2011.
– Schnapper D., L’épreuve du chômage, Folio – Gallimard, 1994.
Laisser un commentaire