par Hugues Sibille, propos recueillis par Danielle Kaisergruber
Avec la Loi Hamon en 2014, la Loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) en 2015, la Charte de 2014, le monde associatif se repositionne dans le tissu territorial. Les associations sont au plus proches des populations et développent avec les collectivités de véritables partenariats. Mais comment caractériser ces relations ? Du face à face à l’innovation sociale, Hugues Sibille, Président de la Fondation Crédit Coopératif et du Labo de l’ESS, répond aux questions de Metis.
Comment caractériser les relations actuelles entre les collectivités locales et le monde associatif ? Est-ce seulement affaire de budget ?
Associations et collectivités locales ont de plus en plus d’intérêts objectifs en commun : ceux que créent une solidarité de proximité face à la mondialisation. Le secteur associatif représente la totalité des accueils d’urgence pour personnes en détresse, les trois quarts de l’hébergement médico-social privé, la moitié des crèches, la totalité des activités périscolaires, 3,5 millions de bénévoles encadrent 17 millions de sportifs, 450 000 associations de loisir ou de culture quadrillent le territoire. Que serait la vie locale sans les associations ? Qualitativement l’association reste la structure la plus proche des populations pour repérer leurs besoins et y apporter des réponses. Qui peut accompagner la réforme des rythmes scolaires, lutter contre la fracture numérique, accueillir les migrants, répondre à la dépendance, prévenir le diabète ? Les collectivités, qui ont pris le relais des financements publics quand l’État s’est désengagé, l’avaient bien compris. Cependant une nouvelle période s’ouvre, elle sort les associations et les collectivités d’un face à face souvent difficile au plan financier.
Deux acteurs émergent pour contribuer à l’intérêt général sur les territoires et entrent ainsi dans une « communauté d’action » d’acteurs de proximité : les TPE/PME et les citoyens. Les exemples se multiplient de ce que l’on peut appeler de « nouvelles alliances d’intérêt général » : les « Pôles territoriaux de coopération économique » (PTCE), les « Territoires zéro chômeur de longue durée », les Start Up de territoires, les Fabriques à initiatives, les territoires à énergie positive (etc.) constituent de nouveaux écosystèmes d’innovation sociale et territoriale, inventant un nouveau droit du partenariat tel que les Coopératives d’intérêt collectif (Scic) ou les Fondations territoriales.
Cela ressemble à de véritables laboratoires d’innovations sociales ?
Absolument ! Des innovations résultant du décloisonnement, imaginées et mises en œuvre collectivement. Un exemple parlant de ces laboratoires est le PTCE. La coopérative agricole de Figeac monte un PTCE qui s’ouvre à l’ensemble du territoire : elle élargit le spectre de ses missions, inventant des boutiques où l’on vend des produits locaux en circuits courts, créant un garage solidaire de réparation de matériels agricoles, développant des énergies renouvelables (éolien et photovoltaïque) financées par les citoyens eux-mêmes, puis se tournant vers le monde associatif pour un partenariat avec un établissement d’aide par le travail (Esat)… Il ne s’agit plus d’innover sur un service pour une population ciblée, mais de créer ensemble des solutions nouvelles pour le territoire dans son ensemble !
Sous quelles formes se développent les relations financières entre collectivités publiques et associations, quels problèmes posent-elles et pourquoi dites-vous qu’elles sont difficiles ?
Les baromètres de la Gazette des communes montrent que les relations sont plus difficiles. Les collectivités représentent 28 milliards d’un budget associatif 2015 estimé à 104 Milliards. C’est appréciable. Mais la forme de ces financements a changé rapidement et radicalement. Là où régnait autrefois la subvention, aujourd’hui plus de la moitié des financements passent par des commandes publiques avec mise en concurrence. Ce mouvement a plusieurs causes : la pression des règles européennes, le risque juridique de requalification des subventions avec risques pénaux pour les fonctionnaires territoriaux, une volonté de gérer au « moins-disant » en période de disette budgétaire, mais aussi le souci des collectivités d’avoir une visibilité plus grande au niveau local. Ceci passe mal auprès d’associations qui ont le sentiment qu’on les banalise en leur faisant perdre leur spécificité d’utilité sociale et de bénévolat.
Qu’est-ce que la Charte 2014 entre l’État, les collectivités locales et le Mouvement associatif ?
Cette Charte a largement repris celle qui avait été signée lors du Centenaire de la loi de 1901 entre l’État et le monde associatif. La nouveauté majeure de celle de 2014 est précisément l’arrivée d’un troisième signataire, que sont les Collectivités locales. La Charte n’est pas contraignante, mais définit des principes partagés importants : confiance et complémentarité, relations fondées sur la transparence, soutien au bénévolat… Elle privilégie un partenariat fondé sur des conventions d’objectifs permettant aux associations la conduite de projets dans la durée. Par rapport à celle de 2001, il s’agit surtout d’encourager la signature de chartes locales. Le Comité d’évaluation qui a remis son rapport en 2017 exprime une déception.
Seulement une petite cinquantaine de Chartes locales ont été signées. C’est peu. Les grandes villes n’ont pas voulu s’engager. Certes il y a des circonstances atténuantes : élections locales et réforme territoriale (Loi NOTRe). Il n’empêche. Ce maigre bilan montre que la co-construction est un art difficile. Nombre de collectivités publiques (comme l’État) peinent à admettre qu’elles ont perdu le monopole de l’intérêt général, tout en en restant les garantes. Ce maigre bilan montre aussi que les associations font souvent les frais de la dramatique perte de confiance qui s’est installée entre l’État et les Collectivités locales.
Qu’a apporté la Loi Hamon de 2014 ?
Cette loi n’est pas une loi associative. C’est une Loi-Cadre de l’ESS. Le Mouvement associatif n’a pas assez travaillé, à l’époque, pour la nourrir de propositions associatives. Ceci est révélateur de ce que le monde associatif ne s’identifie pas pleinement à l’ESS. La loi Hamon a le mérite de définir le périmètre de l’ESS qui comporte les groupements de personnes que sont les associations, les coopératives, les mutuelles et les Fondations, mais aussi les entreprises sociales à forme commerciale si elles respectent des règles de gouvernance et de lucrativité limitée. Cette ouverture n’a pas forcément été appréciée par le monde associatif qui vit parfois mal ce qu’il ressent comme concurrence. Au total la principale avancée sur laquelle s’est battu le monde associatif dans cette loi, c’est la définition légale de ce qu’est une subvention (Article 59). Cette définition vise à sortir de l’insécurité juridique les bailleurs de subventions. Progrès certes, mais qui ne générera pourtant pas une augmentation du volume de subventions pour des collectivités en difficultés budgétaires. D’autres mesures associatives moins importantes figurent dans la Loi comme l’actualisation des Titres Associatifs, un outil de financement en fonds propres des associations.
Les principaux financeurs des associations sont les départements, or ce sont plutôt les métropoles et les départements qui sont considérés aujourd’hui comme les échelons territoriaux essentiels : quel problème cela peut il poser dans l’avenir ?
En effet. La nouvelle organisation territoriale résultant de la Loi NOTRe ne correspond pas vraiment aux pratiques des associations, habituées à l’échelle communale pour des raisons de proximité et départementale en raison des compétences sociales des Conseils Départementaux. Si les associations ont échappé à la suppression de la clause de compétence générale pour de vastes secteurs les concernant (culture, sport, tourisme, éducation populaire), il n’en demeure pas moins que la nouvelle carte administrative sera plus complexe pour elles.
Comment faire pour élargir les partenariats et les rendre plus solides ? Vous avez par exemple souvent évoqué les Fondations Territoriales : quelle forme cela pourrait-il prendre ?
Je suis convaincu qu’il y a lieu, au-delà d’une nouvelle culture du partenariat, d’avancer sur deux points : un droit du partenariat d’intérêt général, et une mesure des impacts territoriaux. Sur le droit, d’abord, il reste trop fondé sur une opposition étanche droit privé/droit public et en matière économique sur un « droit des affaires ». C’est pourquoi je suis très intéressé par le Statut des entreprises coopératives d’intérêt collectif, entreprises commerciales, mais coopératives, dans lesquelles la collectivité locale peut être au capital jusqu’à 50 %. Ici se cherche un véritable droit des parties prenantes (stake holders). Les Fondations territoriales, inventées au Canada, peuvent être un autre exemple d’outil juridique et financier du partenariat. Ce sont de véritables « tiers de confiance » qui collectent localement de l’argent et l’engagent dans des projets locaux. D’une certaine façon les expérimentations en cours des « Contrats à impact social » ou des « Territoires zéro chômeur longue durée », ressortent de cette invention d’un droit du partenariat. L’autre point de progrès doit viser à ce que ces partenariats mesurent leur impact réel sur le territoire et en rendent compte aux financeurs et plus largement à la population locale.
Au sein du monde associatif, il y a des salariés et des bénévoles : avec les restrictions qui pèsent sur les budgets publics, ne risque-t-on pas de voir de plus en plus de bénévoles prendre la place des salariés ?
Sur 1,3 million d’associations en France, seulement 165 000 ont des salariés. La masse des associations repose donc d’abord et exclusivement sur le bénévolat. Au niveau macro il n’y a pas de substitution puisque le bénévolat associatif a augmenté dans la dernière période, passant de 11,3 millions à 13,1 millions entre 2010 et 2016 et dans le même temps l’emploi associatif s’est maintenu à plus de 1,8 million de salariés. Au niveau micro il peut y avoir ici ou là (travail social) des substitutions partielles. Mais il faut redire que le modèle associatif repose sur des ressources diverses, monétaires et non monétaires, bénévoles et salariées. Le vrai problème est qu’une partie des collectivités publiques externalise ses services vers les associations pour en faire baisser le coût. Cette pression se traduit par une précarisation de l’emploi associatif, une pression sur les salaires et parfois une tentation de substitution bénévolat/salariat.
De manière plus générale comment sont gérés les rapports entre bénévoles et salariés permanents ?
Globalement les ressources bénévoles sont de plus en plus gérées comme des ressources humaines. On « recrute » des bénévoles. On leur propose de signer un engagement de bénévolat précisant les droits et devoirs réciproques. Dans des associations comme l’Adie, un administrateur est chargé de l’engagement bénévole et les comptes annuels font apparaître la part du bénévolat dans la comptabilité associative. Au global cela se passe plutôt bien. Le sujet délicat se pose principalement au niveau de la gouvernance, entre sa partie bénévole (présidence, conseil d’administration) et sa partie salariée (Direction générale, comité de direction). Il faut trouver des équilibres. Souvent dans les associations gestionnaires la DG peut avoir tendance à prendre le pouvoir par la technique. Pour y résister, il faut des administrateurs bénévoles plutôt jeunes, plutôt compétents et convaincus du projet associatif. Le vieillissement des Conseils, leur décalage avec un environnement qui bouge vite est un mauvais symptôme. Les associations elles aussi sont rattrapées par une ardente obligation d’innovation sociale. Il faut que l’équilibre bénévolat/salariat le permette.
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