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L’innovation semble une des voies pour relancer la croissance et pour se dépêtrer du carcan des dettes et des tentations protectionnistes. Les appels au renouvellement du tissu des entreprises se multiplient. Les start-ups qui reposent sur l’économie de la connaissance et la coopération inventive de « travailleurs du savoir » appellent une combinaison particulière du capital et du travail. Pierre Maréchal en avait analysé les ressorts pour Metis dans un article de 2012, repris ici.

 

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Image : Getty Image

 

Le phénomène « start-up » est lié à une forme particulièrement dynamique de création de nouvelles entreprises, en principe à fort potentiel de croissance (hyper croissance disent certains), combinant et inventant des technologies nouvelles, souvent même des produits nouveaux. La possibilité de voir éclore de nombreuses entreprises innovatrices passe cependant par de profondes modifications. Jusqu’à aujourd’hui, le tropisme français est d’investir dans la formation pour accroître le potentiel intellectuel du pays. Ce qui est nécessaire, mais insuffisant, car de la connaissance à l’économie de la connaissance, la route est longue. L’économie de la connaissance conduit, pour fonctionner, à redéfinir le modèle social, les relations du capital et du travail selon des schémas étrangers à nos modes de fonctionnement habituels. On ne peut pas faire du neuf avec du vieux.


La panacée des stock-options

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Le modèle californien de la start-up a permis l’éclosion d’un tissu industriel dynamique et très innovateur. Innovation rime avec stock-options parce que dans le contexte américain, les stock-options ont été une partie de la bonne réponse aux spécificités de l’économie de la connaissance. Cette nouvelle économie se caractérise par une structure de coût totalement atypique : l’essentiel des capitaux engagés sert à financer la conception (R&D, marketing) et pas la production. La source de la plus-value n’est plus dans le travail consacré à produire un bien, mais dans celui passé à le concevoir par exemple, pour les logiciels, les médicaments, les films (Daniel Cohen – Trois Leçons sur la société post-industrielle – La République des idées – Seuil 2006)

De plus le seul facteur de production est le travail réalisé par les travailleurs de la connaissance qui apportent un capital composé de biens immatériels (connaissances, savoirs, savoir-faire, réputation, réseaux, brevets…), contrairement au modèle classique de l’entreprise qui réalise une combinaison du capital et du travail. Un double problème se pose alors.

 

Le capital investi dans l’entreprise n’a pas de contrepartie tangible. L’entreprise ne peut pas posséder ce capital immatériel détenu par les travailleurs de la connaissance puisque ceux-ci sont a priori salariés, donc libres d’aller travailler ailleurs.

Un ancien PDG résume ceci d’une manière lapidaire : « Le problème lorsque vous avez l’innovation et les idées au centre de votre activité, par opposition, par exemple aux automobiles, est que votre capital est fait de personnes plutôt que de stocks physiques. Vos actifs sortent de l’entreprise tous les soirs. Il n’y a ni copyright ni brevets disponibles pour vous assurer que vos employés n’iront pas apporter leurs idées et leurs talents à une autre firme » (cité par Olivier Godechot dans son livre Working Rich – Salaires, bonus et appropriation des profits – La Découverte, 2007).

Des entreprises de l’économie de la connaissance peuvent éclore grâce à l’intervention conjointe de deux acteurs : un financier qui apportera les fonds pour payer toute la phase amont (qui est très risquée) et un collectif de travailleurs de la connaissance.

Dans le modèle de l’économie de la connaissance, la combinaison du capital et du travail doit être d’une autre nature puisque le capital physique a disparu. Dans le cas du modèle californien, l’enjeu pour le capital-risqueur est de trouver une équipe ayant un bon projet et capable de le mener à bien c’est-à-dire d’effectuer l’ensemble des travaux de R&D et de positionnement marketing et commercial pour obtenir un potentiel de chiffre d’affaires qui en fasse une entreprise profitable, le tout dans un délai rapide (car les bonnes idées se copient !). La force du modèle réside dans l’alliance opérée entre le financier et les travailleurs de la connaissance. Cette alliance va avoir un objectif principal : créer une entreprise ayant de la valeur. Les énergies devront être mobilisées autour de ce but.

Le problème est que ce n’est pas vraiment un objectif « spontané » pour les travailleurs de la connaissance. Toute la force de l’actionnariat salarié est de favoriser la construction de cet objectif commun. Le capital-risqueur ne peut donner aux salariés qu’une seule chose : la possibilité de partager avec lui la plus-value obtenue lors de la cession de l’entreprise. C’est précisément ce que les stock-options permettent.


Culture égalitariste et « capitalisme participatif »

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En réalité le modèle est plus riche que cela. Pour que ce travail de production collective de travailleurs de la connaissance réussisse, il faut créer des relations sociales particulières favorables à cette fluidité des échanges pour obtenir une bonne efficacité productive. Plusieurs ingrédients sont nécessaires notamment : une même passion scientifique ou technologique et des relations amicales. Des liens forts et cohésifs importent lorsqu’il faut coopérer et construire une identité collective.

Pour cela, deux idées-forces se sont imposées pour développer une culture de créativité, maintenir une forte implication, avoir et garder les meilleures compétences, répondre aux exigences d’équité interne et de cohésion. Primo, l’innovation ne peut pas se développer dans une organisation hiérarchique. Les scientifiques privilégient la créativité et l’expression libre qui ne peuvent s’épanouir que dans une culture d’égalitarisme et d’absence de hiérarchie. Un pouvoir fondé sur la seule détention du capital ne marche pas.

Deuxio, tout le monde doit profiter des résultats financiers. Partager les profits est la conséquence naturelle de cette culture égalitaire. La concentration des actions entre les mains de quelques-uns est un handicap pour la construction d’une entreprise dynamique. Cette concentration ne permet pas de sauvegarder la satisfaction et la cohésion du personnel.

Le modèle californien ne se résume pas à ce capital participatif mêlant culture d’égalitarisme et promesse de partage des fruits de la création de l’entreprise. Trois composantes spécifiques doivent être soulignées :
– Un marché du travail des compétences technologiques très actif. Ceci est renforcé par le fait qu’en Californie, il n’y a pas de clause de non-concurrence : le travailleur de la connaissance peut partir quand il veut et où il veut. Il faut donc le convaincre de rester !
– Un milieu dense de capitaux-risqueurs dynamiques et compétents. C’est un métier très exigeant.
– Un délai de maturation des projets relativement rapide, de l’ordre de 4/5 ans. On a pu noter que cette durée est deux fois plus longue pour les start-ups européennes. Ceci réduit fortement l’intérêt des stock-options dans la mesure où il est plus difficile d’attendre aussi longtemps pour bénéficier des résultats de son travail.

Ce modèle est donc très spécifique. L’attribution de parts de l’entreprise aux travailleurs de la connaissance a pour principal objectif de les attirer et de les retenir dans le projet de l’entreprise. Ainsi on voit se dessiner une forme nouvelle de copropriété fondée sur les compétences qui est une manière concrète de reconnaître l’apport du capital humain. Mais n’est-ce pas la même chose pour l’épargnant que l’entreprise cherche à attirer et retenir pour disposer de capitaux frais ? (Cet épargnant est aujourd’hui le seul propriétaire légitime de l’entreprise).

Enfin, l’échelle de temps a changé. On se représentait l’entreprise comme quelque chose de durable, inscrite dans l’espace et dans les générations. La start-up a une durée de vie limitée. Elle est appelée à muter en une entreprise normale, avec des relations sociales qui garderont sans doute l’empreinte des premières heures.

A lire :
Sur le modèle californien : Aaron Bernstein, Joseph Blasi et Douglas Kruse – In the company of owners : the truth about stock options – Basic Books – Perseus Books Group 2003

 

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Un parcours professionnel varié dans des centres d’études et de recherche (CREDOC, CEREQ), dans
des administrations publiques et privées (Délégation à l’emploi et Chambre de commerce et
d’industrie), DRH dans des groupes (BSN, LVMH, SEMA), et dans le conseil (BBC et Pima ECR), cela à
partir d’une formation initiale d’ingénieur X66, d’économiste-statisticien ENSAE et d’une formation
en gestion IFG.
Une activité associative diverse : membre de l’associations des anciens auditeurs de l’INTEFP, ex-
président d’une grosse association intermédiaire à Reims, actif pendant de nombreuses années à
FONDACT (intéressé par l’actionnariat salarié), actuellement retraité engagé dans les questions de
logement et de précarité d’une part comme administrateur d’Habitat et Humanisme IdF et comme
animateur de l’Observatoire de la précarité et du mal-logement des Hauts-de-Seine.
Toujours très intéressé par les questions d’emploi et du travail.