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Human flow, le film de Ai Weiwei sur les migrants, montre deux réalités le plus souvent absentes de nos débats en France et en Europe. Tourné dans 23 pays, dont certains accueillent plusieurs millions de réfugiés depuis des décennies, nous ne pourrons plus penser que nous accueillons toute la misère du monde tant notre part est infime. Tourné dans une quarantaine de « camps », administrés par le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) ou camps « sauvages », le documentaire donne la parole aux réfugiés, il filme les enfants sur la route de l’exil. Nous ne pourrons pas dire que nous ne connaissions pas « ces gens-là » et que nous croyions qu’ils étaient d’un autre monde, d’une autre humanité que la nôtre.

 

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Ils seraient 65 millions à avoir quitté leur pays, leur maison, leur famille, leur travail. Mais ce ne sont pas les chiffres qui s’affichent régulièrement en surimpression sur l’écran, ni les analyses géostratégiques qui font la force du film. Dans chacun de ces camps, en Afghanistan, en Jordanie, au Bangladesh, en Somalie, en Grèce, à Berlin ou à Calais, ce ne sont pas des anonymes, des catégories statistiques ou des statuts juridiques que filme Ai Weiwei. Ce ne sont pas des « dublinés », des « mineurs isolés », des « migrants économiques » qui s’expriment. Ce sont des personnes nées « libres et égales en dignité et en droits » comme l’affirme la Déclaration universelle des droits de l’homme. Elles sont dignes, belles, malgré des conditions de vie indignes. Elles veulent un avenir et ne comprennent pas ce monde qui les en prive. Elles ne se considèrent pas comme des victimes, n’accusent pas, ne se fâchent pas. Il y a beaucoup d’enfants dans ces camps, une petite fille nous dit à quel point elle s’ennuie. Beaucoup ne sont pas scolarisés. En Turquie, un médecin témoigne de son impuissance. Au Liban, ce sont des générations qui sont assignées dans des hébergements qu’on hésite à qualifier d’urgence ou de provisoire.

 

Ai Weiwei ne dit pas ce qu’il faut faire, il ne donne pas de place ni aux justifications politiques ni aux discours moralisateurs, hospitaliers ou apeurés. Il nous fait entrer dans ces camps et nous présente ceux qu’il rencontre. Il nous laisse ensuite nous débrouiller. Ils sont bien des humains comme vous et moi. La guerre, les persécutions, la misère, le climat, en ont fait des migrants, des exilés, des réfugiés. Est-il possible de les oublier, de les maintenir hors de notre vue afin de ressasser, ad nauseam, les débats sur notre identité (« forcément menacée »), nos racines (« nourricières, bien sûr »), notre culture (« si exceptionnelle »), nos peurs (« tellement légitimes, n’est-ce pas ? »)… Est-il possible de poursuivre entre nous, confortablement, sereinement, une discussion sur la capacité de nos sociétés à en accepter et à en inclure 10 000, 30 000, un peu plus ? Est-il acceptable de faire de ces questions un enjeu de petite politique ?

 

Ai Weiwei est sans doute l’artiste chinois vivant le plus réputé. Il est connu aussi bien pour ses expositions que pour ses prises de position politiques qui lui ont valu d’être incarcéré en 2011, puis privé de passeport pendant plusieurs années. Il vit aujourd’hui à Berlin. Sa fiche Wikipédia nous dit qu’il est « sculpteur, performeur, photographe, architecte, commissaire d’exposition et blogueur ». Il signe là un film humaniste, un film aux images très expressives, un film sensible qui éclaire plus globalement et plus intelligemment une question politique majeure de notre temps.

 

 

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Directeur d’une Agence régionale de développement économique de 1994 à 2001, puis de l’Association Développement et Emploi, devenue ASTREES, de 2002 à 2011. A la Fondation de France, Président du Comité Emploi de 2012 à 2018 et du Comité Acteurs clés de changement-Inventer demain, depuis 2020. Membre du Conseil Scientifique de l’Observatoire des cadres et du management. Consultant et formateur indépendant. Philosophe de formation, cinéphile depuis toujours, curieux de tout et raisonnablement éclectique.