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Conçue pour révolutionner l’accès au diplôme et à la qualification, la VAE n’a connu en quinze ans qu’un succès d’estime. Candidatures et validations restent peu nombreuses, et concentrées sur un petit nombre de filières de premier niveau. Était-ce donc une mauvaise idée ? Le rapport que lui consacre Terra Nova dit tout le contraire. On peut, on doit libérer la VAE de ses entraves pour qu’elle joue pleinement son rôle : renforcer les « capabilités » de chacun dans sa vie professionnelle. La réforme de la formation professionnelle en cours ne fait quasiment pas de place à la VAE.

 

VAE_puzzle

 

Parvenir à « l’égale dignité du diplôme et du travail »

 

Créée en 2002 par le gouvernement Jospin, pour beaucoup grâce aux efforts persévérants de Vincent Merle, la Validation des acquis de l’expérience (VAE) a ouvert une voie d’accès radicalement nouvelle non seulement aux diplômes stricto sensu, mais aux autres certifications (titres et certificats professionnels). Une idée aussi simple que séduisante : reconnaître, au terme d’une procédure rigoureuse d’inventaire et d’évaluation, les compétences acquises au travail, et les sanctionner par la délivrance, totale ou partielle, d’une certification répertoriée. De quoi bousculer bien des habitudes dans un pays où plus qu’ailleurs le diplôme est roi. Laissée à la libre initiative des personnes, la VAE devait ainsi servir les multiples objectifs assignés à la formation tout au long de la vie – sécurisation des parcours, qualification des actifs, performance du système productif – … sans passer par la formation. Ou comme l’écrivent heureusement les auteurs du rapport (Danielle Kaisergruber, Abdoul Karim Komi, David Rivoire) reconnaître « l’égale dignité du diplôme et du travail ».

Pas question pour autant de « brader » les titres délivrés par VAE. Ouvertes à tout actif disposant d’au moins trois ans d’expérience professionnelle (ramenés à 1 an par la loi El Khomri), les candidatures doivent franchir une double épreuve. D’abord celle de la recevabilité par le certificateur en charge du diplôme, titre ou certificat visé (un ministère le plus souvent, ou encore une chambre consulaire, une branche, un organisme de formation) ; ensuite celle de l’évaluation par un jury composé d’enseignants et de professionnels du secteur. Deux procédures, deux dossiers successifs à monter, le premier pour établir la pertinence du titre visé (et de son certificateur) au regard de l’expérience acquise, le second pour mettre les compétences professionnelles du candidat à l’épreuve des experts.

 

Un parcours du combattant


Cette procédure n’a pas tardé à être ainsi qualifiée, en ce qu’elle exigeait du candidat qu’il se repère dans le maquis des certifications (sur les quelque 14 000 inscrites au Répertoire national des certifications professionnelles – RNCP – pas moins de 10 000 sont accessibles par la VAE), identifie le bon certificateur, formule sa demande de recevabilité, puis en cas d’acceptation rédige un dossier de validation qui objective, justifie et articule les compétences acquises au regard des compétences requises. Un exercice très profitable à ceux qui s’y livrent, mais souvent hors de portée de candidats livrés à eux-mêmes et/ou maîtrisant mal l’écrit. Sans compter des délais souvent longs, aux deux stades de la procédure.

C’est à ces rudes exigences que beaucoup attribuent le succès pour le moins modeste rencontré par la VAE dans les faits. 300 000 validations accordées en 12 ans (les derniers chiffres datent de 2015), soit moins de 30 000 par an pour un objectif initial de 60 000 (et un public potentiel estimé à 6 millions d’actifs). Plus inquiétant, la tendance est à la baisse depuis 2011, aussi bien pour les dossiers recevables (60 000 en 2015) que pour les candidats présentés (41 000) et les validations, totales (25 000) ou partielles (11 000). Des chiffres qui mettent aussi en lumière un taux d’abandon de près d’un tiers entre recevabilité et présentation au jury, et des taux de validation fortement différenciés selon le certificateur. Les salariés dominent parmi les candidats, et la part des chômeurs (un quart environ) tend à reculer ; les candidatures se concentrent sur les premières qualifications du sanitaire et social (aides-soignants, petite enfance…), avec pour corollaire la prépondérance du ministère de la Santé, deuxième certificateur (5 000 validations en 2015) après l’éducation nationale (13 000). L’enseignement supérieur et la recherche vient loin derrière (2 500).

Pourtant, de rares enquêtes menées auprès des candidats témoignent des effets positifs qu’exerce la démarche lorsqu’elle est menée à son terme : meilleure image de soi, confiance accrue, développement des compétences, accès facilité à la mobilité et à l’emploi, promotion… Le bilan est tout aussi positif pour les entreprises qui s’y sont lancées (comme Véolia et quelques autres) : bien organisée, la VAE se révèle un excellent outil de développement des compétences et de gestion des mobilités.

Faire mieux : de la VAE fin en soi à la VAE de parcours

 

Le bilan en demi-teinte qui précède ne conduit pas les auteurs à désespérer de la VAE. Convaincus des vertus dont elle est porteuse pour sécuriser les parcours et qualifier les actifs, ils proposent de faire plus et mieux. Nombreuses, leurs recommandations tournent autour de trois axes :

Lever les obstacles de procédure. Cela passe par la réduction des délais, en particulier celui qui s’écoule entre les deux étapes de la procédure (recevabilité puis validation) et contribue largement aux abandons en cours de route. Il faut parfois jusqu’à 8 mois pour que le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche statue sur la recevabilité d’une candidature. Pour les rapporteurs, il faut carrément porter pour tous le délai à 1 mois, au-delà duquel le silence du certificateur vaudra accord implicite. Ce serait à portée si un service centralisé traitait l’ensemble des études de recevabilité, tous certificateurs confondus. Fluidifier les parcours de validation passe aussi par la multiplication des jurys : trop peu nombreux, soumis au calendrier scolaire, ils constituent le principal goulot d’étranglement de la phase de validation. Pour y remédier, le rapport propose de mieux payer les jurés, d’élargir leur recrutement (aux jeunes retraités par exemple), d’assouplir les règles de leur composition et d’autoriser leur tenue à distance. Et appelle les jurys à motiver leurs refus de validation pour permettre aux candidats d’en tirer les leçons. Dans le cas des demandeurs d’emploi (délai moyen de 9 à 16 mois !), suspendre l’obligation de recherche active d’emploi permettrait des procédures de VAE intensives et courtes, comme cela se pratique déjà à titre expérimental.

 

Mieux financer. Au fil des réformes, la VAE est devenue éligible aux dispositifs de la formation continue : CIF, CPF, prise en charge par Pôle emploi pour les chômeurs. Mais elle reste sous-financée, et pour aller plus loin le rapport propose une prise en charge non plus à l’heure, mais au forfait (3 000 à 3 500 €), qui porte sur l’ensemble de la procédure et non plus sur la seule phase post-recevabilité.

 

Mieux accompagner. S’il fallait choisir, ce serait la priorité. On a dit la lourdeur et l’exigence de la procédure et de ses deux dossiers. Se repérer dans le paysage hautement complexe des certifications et des certificateurs, mener sur soi l’indispensable travail de distanciation et d’évaluation de son parcours, le traduire en un dossier solide et convaincant, voilà qui n’est pas à la portée de tout le monde sans un appui conséquent. Il existe un réseau de « Points relais-conseil » en VAE ; mais ils sont souvent peu consultés, insuffisamment équipés, et aujourd’hui phagocytés par la mise en place du « Conseil en évolution professionnelle (CEP). C’est donc sur l’accompagnement qu’il faut mettre le paquet en termes de financement.

 

Pour une VAE de parcours. Aujourd’hui la logique est binaire : pour qui cherche à monter en qualification, c’est soit la formation, soit la VAE. L’apport le plus original du rapport et de plaider vigoureusement pour leur hybridation. Autrement dit d’autoriser des parcours de VAE où les besoins en compétences complémentaires identifiés en cours de route, y compris dès la phase de pré-recevabilité, donnent lieu à des formations sur mesure, en parallèle au montage des dossiers, en s’appuyant sur les outils numériques. Avec en prime l’avantage de mieux armer les candidats face à la fragmentation croissante des certifications en « blocs de compétence », qui ajoute à la difficulté des choix. L’hybridation offrirait aussi une réponse bien adaptée aux jeunes en « galère », en combinant validation des expériences accumulées en contrats courts et formation alternée.

 

Pour en savoir plus :


– D. Kaisergruber, Abdoul Karim Komi, David Rivoire, « Libérer la VAE – Comment mieux diplômer l’expérience« , rapport pour Terra Nova, Février 2018. 

Metis (2017), Jean-Raymond Masson, « La VAE en France et en Europe« 

 

– DARES (2017), « La validation des acquis de l’expérience en 2015 dans les ministères certificateurs. Le nombre de diplômés par la voie de la VAE continue de diminuer« , DARES Résultats, n° 038, juin.

– CEDEFOP, « Le défi de la validation : l’Europe en passe de reconnaître toutes les formes d’apprentissage ? », novembre 2014.

 

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Socio-économiste, Jean-Louis Dayan a mené continûment de front durant sa vie professionnelle enseignement, étude, recherche et expertise dans le champ des politiques du travail, de l’emploi et de la formation. Participant à des cabinets du ministre du travail, en charge des questions d’emploi au Conseil d’analyse Stratégique, directeur du Centre d’Etudes de l’Emploi… Je poursuis mes activités de réflexion, de lectures et de rédaction dans le même champ comme responsable de Metis.