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Le 19 mars dernier, une piétonne est décédée, renversée par une voiture autonome Uber en Arizona. C’est une première. L’entreprise a stoppé net son programme dans le pays et au Canada. C’est pourtant son cheval de bataille, notamment depuis sa fusion avec Otto, entreprise spécialisée dans le camion autonome. Que nous dessinent Uber et ses compères au travers des robot-taxis ? Patrick Pelata, l’ancien numéro 2 de Renault, a tenu une conférence au sujet des voitures autonomes le 15 mars à Sciences Po dans le cadre de l’IHEDAT (Institut des Hautes Etudes d’aménagement du territoire). Metis y a assisté.

 

uber

 

La voiture autonome c’est quoi ?

 

Aujourd’hui, ce n’est plus de la voiture volante dont on rêve – la science-fiction la prévoyait pour l’an 2000 – mais bien de la voiture capable de se conduire toute seule.

 

Selon P. Pelata, l’émergence de cette voiture du futur répond à trois impératifs : la saturation urbaine, la crise environnementale et l’exigence des clients qui veulent dépenser moins et se déplacer de façon plus fluide. « Ces impératifs convergent avec l’opportunité des nouvelles technologies » : IA, big data et compagnie.

 

Mais la voiture « autonome » ce n’est pas que la voiture sans chauffeur, elle peut l’être à cinq niveaux :
– la conduite assistée « feet off »,
– la conduite en partie automatisée « hands off »,
– la conduite très automatisée « eyes off » (le conducteur doit pouvoir reprendre le contrôle de la voiture),
– la conduite autonome « brain off » (sans conducteur lors de cas d’utilisation définis)
– la conduite sans conducteur.

 

L’arrivée de la voiture sans conducteur dans nos villes peut-être attendue pour 2035-40. Lyft, Uber et Didi (le concurrent chinois d’Uber) commandent leurs voitures à des constructeurs et y intègrent d’ores et déjà leurs technologies. Uber, l’acteur le plus avancé sur la question a commandé 24 000 voitures à Volvo (groupe chinois Geely), livraison prévue entre 2019 et 2024.

 

Ces voitures autonomes vont jouer un rôle bien défini : « faire le robot-taxi, en ride sharing ». Le principal enjeu : le coût des chauffeurs. Pour Pelata, le robot-taxi est bien l’avenir de la voiture autonome et c’est autour de lui que se construira la mobilité de demain.

 

Mais Uber, Lyft et Didi ne sont pas les seuls acteurs concernés par la course à la voiture autonome. Google et Waymo construisent d’ores et déjà leurs propres modèles. Comme Volvo, les constructeurs automobiles sont tous sur le coup. En effet, la diminution du nombre de voitures personnelles risque de leur porter un coup fatal. Selon HIS Market, il y aurait d’ici à 2040 de 25 à 35 % d’usines automobiles en moins. Les loueurs vont, eux, tout faire pour rester dans la partie, « leur place sera peut-être hors des agglomérations ». Les énergéticiens et les grands groupes comme Alibaba ou Amazon ont aussi des cartes à jouer. Enfin, les villes et agglomérations ont un rôle central évident que nous aborderons plus loin.

 

Pleine d’avenir, la voiture autonome promet d’offrir des avantages extraordinaires pour les villes et la société en général. Elles sont électriques, et permettraient une importante diminution de la pollution, mais aussi un véritable gain en termes de sécurité. Grâce au ride sharing – les constructeurs travaillent déjà à des modèles de voiture où les sièges seraient séparés. Les usagers verront, eux, les tarifs des transports se réduire drastiquement : sans chauffeur, le partage et l’électrique permettraient de diviser par sept le prix de la course selon P.Pelata. La face des villes se verrait complètement changée, avec un gain d’espace considérable sur la voirie.

 

Le New Jersey se rapproche sensiblement de cet avenir pas si lointain. L’État a préféré – plutôt que de construire un parking – payer Uber pour que les usagers puissent se rendre à la gare, « moyennant seulement 2 $ ! ».

Un leadership public nécessaire

 

Les usagers plébiscitent déjà les VTC pour trois raisons. La première est qu’ils peuvent boire de l’alcool quand ils sortent, la deuxième est la crainte de ne pas trouver de place de parking, la troisième est que même s’ils en trouvaient une, elle serait bien trop chère.

 

New York est la seule ville au monde à imposer une traçabilité des taxis et VTC. Selon Schaller Consulting qui a traité ces données, il y avait 68 000 voitures Uber pour 13 500 taxis en 2016. Le nombre de VTC a très certainement encore augmenté aujourd’hui. De juin 2013 à juin 2017 (sur les heures de pointe : 15 h – 19 h), le nombre de courses en taxi et VTC a augmenté de 37 %, la distance parcourue de 60 % (les VTC, et particulièrement Uber se sont spécialisés dans les trajets longs, vers les banlieues notamment). Mais la vitesse moyenne a diminué de 19 % : les rues de la grosse pomme sont de plus en plus saturées à cause du nombre croissant de VTC.

 

Ainsi, « Uber cannibalise les taxis, mais aussi les loueurs, les transports publics et de plus en plus l’usage de la voiture personnelle ». Les VTC circulent rarement à plein et saturent déjà les routes.

 

Mais avec les robot-taxis – sans chauffeur donc – la baisse du coût de la mobilité à la demande fera indéniablement augmenter le trafic. Pour P.Pelata, les villes ont donc un rôle important à jouer, « on ne peut pas laisser ces acteurs agir de façon autonome ». Elles doivent réduire le nombre de voitures particulières – en interdisant les centres-villes par exemple – ; mettre en place des aménagements adaptés : lieux de dépose et de prise en charge en centre-ville ; réaliser des simulations sophistiquées ; avoir un plan d’attaque (appels d’offres, contrats de service… ?) ; mais aussi et surtout, encourager l’auto-partage, le ride-sharing. La mairie de New York tente de prendre les devants et envisage donc de mettre en place une taxe à la course que les gens pourraient partager.

Comment se passera cette implantation ?

 

Il faut déjà que les entreprises aient une flotte avec des chauffeurs. Quand les taxis autonomes arriveront dans nos rues, il ne faut pas imaginer que les chauffeurs disparaîtront tout de suite. On commandera une course et en fonction de l’itinéraire – plus ou moins adapté à une voiture autonome – une voiture avec chauffeur ou une voiture sans chauffeur viendra nous chercher. Uber a déjà cette flotte. Il faut donc que ces entreprises développent d’ores et déjà le ride sharing pour que l’habitude s’intègre chez les clients.

 

Cette flotte devra s’autonomiser, les voitures être électriques et adaptées au ride sharing (sièges séparés, une portière par siège). Mais ces entreprises devront aussi posséder une plateforme de contrôle à distance, une plateforme de management (App. utilisateur, App. chauffeur, moyen de paiement, IA, Machine learning, etc.), des usines de nettoyage et de recharge, des forces de terrain, des équipes de collaboration avec les territoires capables d’étudier des scénarios d’introduction des robot-taxis et les mesures d’accompagnement. Autant dire qu’il y a encore du travail !

 

Pour P.Pelata, « l’intégration commencera par les banlieues, les zones industrielles, les aéroports et les hôpitaux » dans des villes ayant déjà des moyens de transport lourds (métro, tramway). Contrairement aux cœurs de ville, il est bien plus aisé de naviguer sur ces routes extérieures.

 

« Souhaitable, impératif pour l’environnement et pour la fluidité des villes », l’implantation des voitures autonomes et particulièrement des robot-taxis va se faire. Uber a ouvert une voie, mais cette transition n’est pas faisable sans la participation et le leadership des villes. Il faut qu’elles arbitrent, choisissent à quels acteurs faire confiance. Qu’elles prennent en main les outils et qu’elles mettent en place les infrastructures nécessaires. Selon Pelata, le bénéfice social est atteignable en 4 ou 5 ans. La transformation que représente cette transition peut être extrêmement importante pour les villes si ses mobilités ne sont plus portées que par la voiture individuelle et les transports lourds nécessitant de grosses infrastructures.

 

L’accident d’Arizona est une alerte, la confiance reste comme pour toute nouvelles technologie un levier déterminant à sa diffusion, pour les investisseurs, les villes et les usagers. Mais bon, on n’arrête pas le progrès !

 

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Secrétaire de rédaction de Metis, journaliste et rédactrice web, je suis passée par le marketing et les relations internationales.