9 minutes de lecture

Tous ces métiers au service des autres métiers : le nettoyage des bureaux, les services de sécurité, les hôtesses d’accueil, la restauration d’entreprise, l’entretien des espaces verts d’entreprise, la gestion des flottes de véhicules…C’est ce que recouvre le terme « facility management ». C’est beaucoup d’emplois, des métiers mal connus, aux contours parfois un peu flous, des besoins en compétence techniques et surtout relationnelles, des exigences de qualité et de professionnalisation. Du travail auquel il serait bien de donner davantage de sens…

 

facility management

 

Un secteur économique d’avenir en émergence

 

Le secteur du Facility Management (FM) apparait dans les années 1990 et est encore en émergence. Il est en effet construit à partir de l’empilement de multiples activités concourant aux aménités des espaces de travail de quelque 25 millions d’actifs, mais sur un mode encore peu ou mal intégré.

 

Appelées Services Généraux et/ou Facility Management, ces activités intègrent progressivement l’ensemble des services en B to B aux immeubles (espaces de travail) et aux habitants (salariés). Elles recouvrent une trentaine de métiers (construction, propreté, accueil, énergie, électricité, centres d’appels, espaces verts, restauration, véhicules…) et plus de 150 spécialités selon les classements. Elles représentent déjà un secteur fort de 1,25 million d’emplois non délocalisables et faiblement automatisables pour 185 milliards de CA annuel. La réserve d’emploi et les perspectives de modernisation que porte ce secteur sont encore plus importantes si l’on y ajoute les services en B to C et les emplois publics et des collectivités territoriales affectés à des activités semblables.

 

Ce secteur naissant est composé à 90 % de main d’œuvre. Il est en croissance à un rythme un peu supérieur à la croissance générale du fait de la montée en exigence des attentes des clients (RSE, RPS, enjeux environnementaux, exploitation optimale des patrimoines immobiliers) et de la poursuite de l’externalisation de ces activités par les entreprises. Dans les activités tertiaires, l’immobilier et l’exploitation des espaces de travail sont en effet le plus souvent le deuxième poste de « coût » derrière la masse salariale et devant les dépenses en Systèmes d’Informations.

 

Ce secteur offre des perspectives d’avenir et des opportunités d’emplois, généralement en CDI, pour des personnels aux niveaux de qualifications modestes. Il n’est pourtant pas attractif. Ces personnels, qui pour les 4/5e sont rémunérés à proximité du salaire minimum, connaissent des conditions d’emplois et de travail unanimement reconnues comme difficiles. Elles sont ainsi marquées par l’isolement, les horaires fragmentés, les astreintes et par un déficit de reconnaissance. Les œuvrants sont souvent sous encadrés et peu ou pas formés… Cloisonnés par métier, par immeuble et par contrat, ces emplois offrent, en outre, très peu de filières de progression et de mobilité professionnelle. Dans ce secteur dominé par la sous-traitance et des mécaniques d’achats irresponsables, les œuvrants sont année après année, à chaque renégociation de contrats (en général d’une durée de 3 ans), un peu plus maltraités par les pressions à la réduction des coûts. Ces caractéristiques expliquent une pénurie chronique de main-d’œuvre, des turn-overs élevés (souvent supérieurs à 30 %) et des tensions sociales mal relayées par des organisations syndicales de salariés structurées traditionnellement métier par métier, entreprise par entreprise et non à l’échelle du FM ou même simplement des périmètres des contrats.

Une structuration encore non mature du marché et des emplois

 

La complexité dans ce secteur est triple.
• Elle est liée à l’exigence de constituer des écosystèmes de production de services à partir d’une grande diversité de « métiers ».
• Ceux-ci opèrent sur une variété extrême de configurations spécifiques des bâtiments, des équipements, des exigences et des activités des clients.
• Elle est enfin confrontée à la dispersion géographique des implantations et aux exigences de proximité.

Cette complexité s’appréhende à l’aune de deux enjeux majeurs :.
• La productivité des services recherchée impose d’inventer un métier autour de fonctionnalités intégrées (les besoins d’occupants d’espaces professionnels) nécessitant la coopération de « métiers » jusque-là organisés par technicités (accueil, restauration, chauffage et climatisation, entretien des immeubles…).
• Il s’agit de répondre à une attente de clients – à la fois plus exigeants et de moins en moins compétents sur leurs propres besoins – en accompagnant une extension de l’échelle de cette production à l’ensemble de leurs sites, de leurs activités…, de la France, de l’Europe et du monde.

 

La plupart des grands fournisseurs de FM expriment une orientation en faveur d’une stratégie d’offre globale, multi-techniques et multiservices. En pratique, aucun n’est cependant en mesure d’assurer seul et de manière intégrée l’ensemble de ces prestations. C’est pourquoi, les montages dits de « Total FM » (multi-techniques et multiservices, hors sécurité en France pour des raisons réglementaires), voire de « Global FM » (tous les sites dans tous les pays d’implantation des entreprises clientes), sont tendentiellement en croissance en termes de besoins, mais encore rares ou partiels dans leurs mises en pratique. Ils exigent des partenariats et des offres complexes intégrant au moins un niveau de sous-traitance, souvent deux et parfois plus.

 

Ce secteur B to B est composé de deux acteurs majeurs. Des clients donneurs d’ordre qui continuent d’externaliser et des prestataires issus de milieux professionnels hétérogènes ; la construction, l’énergie, la propreté, la sécurité, la restauration collective, l’accueil…
Le principal syndicat patronal du secteur est le SYPEMI. Il rassemble une vingtaine des plus grands opérateurs du marché (de 0,5 à 4,5 milliards de CA/an), souvent filiales de grands groupes comme Cofely/Engie, Idex, Dalkia/EDF, Bouygues, Eiffage, Vinci, Spie, Veolia, Derichebourg, Sodexo, Elior, ISS, Samsic, Atalian…. Il est affilié au Medef via la Fedene (Energie), mais a renoncé à produire sa propre convention collective, et ne connaît pas de réel interlocuteur côté salariés.

 

Ces prestataires se plaignent de clients qui peinent à exprimer leurs besoins en valeur, mais exigent des réductions de coûts par les processus d’achats imposés à chaque renouvellement de contrat. Producteur de valeur, ce secteur ne trouve pas (hors CICE) de modèle d’affaires équilibré dans une simple mise à disposition de main d’œuvre. Ils disent ne plus être en mesure de dégager des marges raisonnables pour investir, déployer une ingénierie sociale complexe, innover et former.

 

Les clients sont partie prenante des conditions de production et de valorisation de ces services. Leur principal représentant institutionnel est l’ARSEG (Association professionnelle des Directeurs de l’Environnement de Travail, Responsables services généraux). De manière récurrente, depuis 10 ans, ils se plaignent de prestataires selon eux insuffisamment professionnels et innovants, les accusant de se limiter à fournir une main-d’œuvre à bas coût, avec des offres interchangeables, alors qu’ils mettent en avant des enjeux de RSE, de bien-être, de Qualité de Vie au Travail, d’empreinte carbone et de productivité…. Ils ont déjà réalisé des « économies », mais pour l’essentiel, ils ne veulent ni ne savent plus faire eux-mêmes, et ils ne trouvent plus l’offre de service ni la qualité attendue.

Des enjeux qui font du FM un secteur emblématique de la mutation servicielle

 

Un constat s’est, notamment, imposé à l’occasion d’un Livre Blanc du Sypemi (Janvier 2016) ; ce secteur est dépourvu d’une pensée professionnelle, de doctrines, de référentiels de formation et de lieu d’investissement en savoirs professionnels adaptés à ses enjeux. En même temps que clients et prestataires se vivent « en crise » (concurrence féroce, faibles marges, qualité insuffisante, relations de défiances généralisées), ce secteur est démuni de relais et de capacités en recherche, en études et développement, susceptibles de les aider à animer leur métier, capitaliser sur leurs pratiques, leurs filières et leurs outils, à former leurs professionnels…

 

Le diagnostic met en avant la difficulté de penser, de gouverner l’activité et contractualiser les relations au profit d’écosystèmes solidaires (clients et prestataires) pour des services productifs rétribués en valeur et pas seulement considérés comme générateurs de coûts. Le secteur ne peut pas se satisfaire des leviers industriels de la performance (standardisation, recherche de volumes et taux horaires) appliqués à des services centrés sur l’usage et la qualité de relation. Il ne doit pas avoir pour seule perspective l’ubérisation et l’installation d’un monde dual fait de cerveaux et de servants mis en relation via des serveurs, nouvelle forme de mise à disposition de main d’œuvre. Il peut, au contraire, participer de la mutation du 21e siècle, d’une économie tirée par l’industrie à une économie tirée par les services, en inventant les réponses aux demandes sociales peu ou mal satisfaites aujourd’hui. Il doit inventer des possibles dans l’organisation, l’instrumentation de gestion (la mesure de la valeur), les relations contractuelles, les modalités de mobilisation de la main-d’œuvre, la relation aux espaces aménagés (flex office et coworking…), la formation, et demain, les territoires. Le FM doit construire ses compétences et concevoir des échanges marchands sur des valeurs d’enrichissement des patrimoines immobiliers (environnement, énergie, rendement des m²) et humains (qualité de relation, bien-être, santé au travail, aménités et accueil).

Des professionnels du secteur se mobilisent sur la R&D et la formation…

 

Le secteur du FM doit dépasser la spirale régressive dans laquelle il est engagé comme « fournisseur de main d’œuvre à bas coût ». Il doit rompre avec l’héritage industrialiste pour entrer dans l’ère servicielle comme producteur de services à valeur ajoutée.
Contribuer aux moyens d’un développement de ce secteur consiste à le doter d’une capacité de R&D mutualisée.

C’est ce qu’initie le CRDIA à son échelle ; un collectif indépendant sans but lucratif ni subvention, dans un parti pris d’investissement en R&D et la volonté d’associer des chercheurs. Il réunit des donneurs d’ordre ; Thales, EDF, Bolloré, HSBC et des PME innovantes dans un Consortium de Recherche pour le FM créé en avril 2016.

 

D’autres initiatives encore :

 

– Des rencontres entre entreprises et chercheurs sont lancées ou en cours de montage. Des recherches sont déployées sur les espaces de travail et sur la mesure de la valeur des services depuis 2016 (un séminaire de recherche en septembre 2017). 

– Une Chaire de Recherche avec le Pôle Universitaire Léonard de Vinci (deux écoles, ingénieurs et management) a été lancée le 11 juin 2018 réunissant clients et prestataires.

– Plusieurs chantiers expérimentaux en innovations servicielles sont initiés en 2018.

– Un colloque sur les conditions de la mobilisation du travail dans le FM sera organisé en novembre 2018.

– Des relations se construisent avec des associations d’utilisateurs (sur la Défense notamment) et avec les organisations professionnelles (Arseg) et patronales (Sypemi).
– Sur la formation plus particulièrement, une initiative de l’AFPA est engagée dès mi 2018, avec l’appui de la DGEFP, sur les enjeux spécifiques de formation (d’emplois et de réinsertion, y compris l’accueil de migrants), avec l’appui du CRDIA, du Sypemi et de l’ARSEG.

 

Print Friendly, PDF & Email
+ posts

Economiste, Science Pô et praticien de la sociologie, j’ai toujours travaillé la question des conditions de la performance d’un travail dont on ne sait pas mesurer la production, dont parfois même on ne sait pas observer la mise en œuvre. J’ai commencé avec la digitalisation du travail dans les années 80 à Entreprise et Personnel, pour ensuite approcher l’enjeu des compétences par la GPEC (avec Développement et Emploi). Chez Renault, dans le projet de nouveau véhicule Laguna 1, comme chef de projet RH, j’ai travaillé sur la gestion par projets, puis comme responsable formation, sur les compétences de management. Après un passage comme consultant, je suis revenu chez Entreprise et Personnel pour traiter de l’intellectualisation du travail, de la dématérialisation de la production…, et je suis tombé sur le « temps de travail des cadres » dans la vague des 35 heures. De retour dans la grande industrie, j’ai été responsable emploi, formation développement social chez Snecma Moteur (groupe Safran aujourd’hui).

Depuis 2018, j’ai créé mon propre positionnement comme « intervenant chercheur », dans l’action, la réflexion et l’écriture. J’ai enseigné la sociologie à l’université l’UVSQ pendant 7 ans comme professeur associé, la GRH à l’ESCP Europe en formation continue comme professeur affilié. Depuis 2016, je suis principalement coordinateur d’un Consortium de Recherche sur les services aux immeubles et aux occupants (le Facility Management) persuadé que c’est dans les services que se joue l’avenir du travail et d’un développement respectueux de l’homme et de la planète.