Dans l’actualité : le procès France Télécom et la class action à l’encontre de la Caisse d’Épargne île-de-France. De quoi renouveler la réflexion sur le travail aujourd’hui.
Réduire les contentieux et le recours au juge pour privilégier la négociation. Telle a été l’ambition des diverses réformes du droit du travail qui depuis une décennie maintenant ont jalonné l’action législative ou réglementaire des différents gouvernements. De fait, le nombre de plaintes devant les Prud’hommes ne cesse de se réduire depuis 2009 et l’instauration de la rupture conventionnelle du contrat de travail. L’année dernière, avec près de 108 000 affaires (contre 127 000 en 2017 et plus de 200 000 au début de la décennie), il a connu une baisse importante que le ministère du Travail a largement attribuée à l’application des ordonnances. Alors, objectif atteint ? Pour une part oui. Mais il est encore trop tôt pour s’assurer des motifs principaux des contentieux restants ou en développement. En effet, quelle est et quelle sera, à l’avenir, la part des recours pour discrimination et non-respect des droits humains ? C’est-à-dire tous les sujets qui ne rentrent pas dans le plafonnement des indemnités et que les avocats ou leurs clients pourraient être amenés à privilégier comme angle d’attaque contre l’employeur ? Ce point est essentiel, mais il doit être apprécié de manière plus large. A cet effet, l’actualité nous offre deux affaires qui paraissent indiquer une inflexion possible des rapports du droit et du travail.
C’est d’abord le procès France Télécom-Orange qui a retenu l’attention des observateurs sociaux durant un mois de demi. Au-delà de l’identité des mis en examen, de leur responsabilité éventuelle, que demande-t-on réellement à la justice ? S’agit-il du « procès des suicides » comme on a pu le lire dans la presse grand public ? Est-ce le procès du management ? Du capitalisme ? Tout simplement de ce qu’est devenu le travail ? Rien de tout cela en réalité. Dix ans après les faits et alors que les entreprises ont collectivement progressé en ce qui concerne — acronyme oblige ! — la réduction des RPS et la promotion de la QVT, ce long procès est venu nous rappeler quel devrait être la place de la dignité et des droits de l’Homme dans le monde du travail.
Même chose avec une autre affaire plus emblématique encore tant elle nous force à envisager l’avenir des relations sociales plutôt que les défaillances passées du management : le premier recours collectif (class action) intenté en France par un groupe d’avocats soutenu par la CGT relatif à une discrimination touchant les femmes à la Caisse d’Épargne d’Île-de-France. J’ai avancé dans Une Colère française (ed. de l’Observatoire) l’idée d’un « syndicalisme de l’extérieur » qui s’hybriderait avec les ONG pour jouer « un rôle d’alerte, de dénonciation, d’action directe et de pression à la manière dont les associations conduisent aujourd’hui leurs campagnes ». Nous y sommes ! Résultat ? Contre toute attente gouvernementale, le travail fait bien son retour, mais… sous le signe du droit. Mais une conception du droit bien particulière : les droits humains ou ce que nous appelons plus communément les droits de l’Homme. Par conséquent, le travailleur n’est plus d’abord le sujet de garanties collectives, il est avant tout un individu de droit, celui des droits de l’Homme.
Et c’est donc au nom des promesses d’égalité et de liberté que le travail est désormais défendu. Il y a une dizaine d’années, aux Etats-Unis, dans un autre contexte culturel, social et juridique, Human Rights Watch avait mené une campagne pour le respect des droits syndicaux chez Walmart au nom des droits de l’Homme. Cette tendance est en train de traverser l’Atlantique. Pas sûr que les auteurs des ordonnances aient totalement prévu ces développements surprenants.
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