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Denis Maillard et Philippe Campinchi, propos recueillis par Fanny Barbier

Denis Maillard et Philippe Campinchi, fondateurs du cabinet de conseil en relations sociales Temps Commun, lancent www.socialdemain.fr, une initiative collective visant à identifier une nouvelle génération de moins de 35 ans capable de questionner le modèle et les frontières du social. Objectif : offrir à ces «young leaders» du social un programme de développement qui rend le social désirable, bouscule les idées, les pratiques actuelles et invente les nouvelles frontières des relations humaines au travail. 

À quels besoins répond cette formation? Dans quel état est le social en France pour nécessiter la création de cette formation?

Tout part précisément d’un diagnostic sur l’état de ce « social » que nous connaissons habituellement. L’épisode des Gilets jaunes dont on a dit qu’il opposait « la fin du mois » et « la fin du monde », pour reprendre les mots de Nicolas Hulot, nous a fait prendre conscience de manière assez brutale que le social était désormais marqué par au moins trois phénomènes que l’on devait prendre à bras le corps. Notamment à travers le prisme générationnel qui nous paraissait le plus indiqué pour penser ces transformations. Quelles sont-elles ? Premier constat : le social, qu’il s’agisse des relations sociales ou du dialogue social formel, fait de moins en moins recette dans les entreprises. La création des CSE, par exemple, ne s’est pas accompagnée d’un renouvellement générationnel même si l’on voit une plus forte proportion de femmes accéder à cette nouvelle instance. Parallèlement, les DRH indiquent que le poste « relations sociales » dans leurs équipes n’est plus celui qui est le plus prisé ou qui correspond à la voie royale menant au poste de DRH. Les jeunes pousses de la filière RH préfèrent désormais le talent management aux négociations — souvent très formelles — avec les partenaires sociaux… D’où un deuxième constat qui découle du premier : le social tend à quitter les lieux et les institutions qui étaient faites pour lui (la négociation, le dialogue social, le paritarisme, le CESE, etc.). Il sort de l’entreprise pour s’installer « hors les murs ». C’est la grande leçon du mouvement des Gilets jaunes : ce n’est pas tant le partage de valeur qui a posé problème que l’ensemble des difficultés que l’on rencontre pour vivre une fois qu’on a touché son salaire : le logement, la mobilité, l’atomisation sociale et spatiale avec notamment cette problématique des mères isolées qui se sont largement manifestées l’année dernière. Comment est-il possible de travailler dans des métropoles attirant la majorité des emplois tout en en étant contraint de se loger de plus en plus loin des centres urbains ? Cette question immédiatement sociale a été posée à l’État ; elle est en réalité adressée aux employeurs, sans que ceux qui la posent aient les moyens de la formuler et que ceux à qui elle est destinée ne s’en emparent vigoureusement et autrement que par le recours au télétravail par exemple. Enfin, dernier constat qui regarde plus particulièrement les jeunes générations : si le social a du mal à se dire explicitement, c’est aussi que la question écologique et environnementale écrase les autres dimensions matérielles dans la conscience des individus. À titre d’exemple, Antoine Vaccaro, l’un des grands spécialistes de la philanthropie en France, remarquait il y a quelques jours dans le Parisien que le combat environnemental enregistre actuellement une surperformance au détriment de certaines causes nationales. C’est donc l’ensemble de ces faits qui nous a amenés à l’idée de faire émerger la génération de celles et ceux qui feront ce nouveau social demain.

De quel social parle-t-on? Le «social» des réseaux sociaux? Le «social» du dialogue social traditionnel? Le «social» des inégalités sociales (donc aussi d’éducation, de territoire, de logement)? Le «social» du sociétal (modes de vie, égalité femmes-hommes…)

Vous mettez le doigt sur une question essentielle et qu’on peine précisément à faire bien comprendre aux jeunes — mais cette ambiguïté est lourde de sens… Dans le monde du travail, qu’il s’agisse de ses acteurs, de ses intervenants, de ses observateurs ou ses analystes, le mot « social » recouvrait une réalité bien définie que l’on retrouvait dans les intitulés de négociation au sein du dialogue social : l’emploi et les salaires ou la sécurité et les conditions de travail, la retraite aussi et la prévoyance — ce qui correspondait peu ou prou aux risques identifiés au XXe siècle et assurés par les cotisations prélevées sur le salaire. À ces questions sont venus se rajouter petit à petit, à partir des années 1980, des aspects que l’on a d’abord qualifiés de « sociétaux » et qui se sont insérés dans la question sociale canonique : la diversité ou l’égalité hommes-femmes sous le terme d’inclusion, mais aussi la mobilité et la qualité de vie au travail à travers les désormais inévitables télétravail et flex office. Ce « sociétal », c’est ce que la RSE a rapidement baptisé « social ». Il s’agit-là de dimensions de la vie collective évidemment nécessaires à soutenir, mais insuffisantes si on ne les relie pas, par exemple, au partage de la valeur ou au niveau du pouvoir d’achat. Par exemple, l’initiative Business for Inclusive Growth (B4IG), commandée par le PDG de Danone, Emmanuel Faber, embarque avec elle 34 multinationales qui s’engagent à débloquer un milliard d’euros pour lutter contre les inégalités et pour financer de nouveaux modèles d’affaires plus justes. On se dit que c’est formidable, mais lorsqu’on regarde de plus près de quoi il s’agit, on voit que, d’une part, la dimension écologique une nouvelle fois écrase tout et que les inégalités sont surtout vues à travers le prisme du « sociétal ». Citons le document que l’on trouve sur le site de l’OCDE qui promeut l’initiative : « Les membres de la coalition B4IG se sont engagés à remédier à l’inégalité des chances qui perdure, à réduire les disparités régionales et à lutter contre la discrimination fondée sur le genre. (…) L’éventail de ces projets est vaste : il s’agit notamment de programmes de formation conçus pour aider les travailleurs à s’adapter au monde du travail de demain ; d’investissements accrus dans les services d’accueil des jeunes enfants, afin d’augmenter le taux d’activité des femmes ; d’aides financières à apporter aux petites entreprises, afin de promouvoir leur participation aux chaînes d’approvisionnement ; et d’actions destinées à améliorer l’intégration des réfugiés en leur permettant de s’insérer plus rapidement sur le marché du travail ». Si l’inégalité dans les grandes entreprises est vue principalement sous l’angle du genre ou de la migration, qui prend alors en charge le reste de la question sociale et notamment les inégalités matérielles ? C’est là que le social déborde de ses lieux habituels et se fixe sur le logement par exemple comme nous le disions plus haut. Le projet Social Demain se concentre sur ce social-là : tout ce qui entoure le travail et son management (donc ce fameux « sociétal » également), mais aussi l’emploi, l’insertion et la protection sociale. On laisse volontairement de côté l’action sociale ou la solidarité, la santé publique et l’écologie. Ce dernier point est important car le mot social a pris pour les jeunes générations une connotation particulière qui le relie à tout ce qui est solidaire ou collectif. Il faut donc redonner à la question sociale toute sa force, mais voir en quoi elle s’est aussi transformée. C’est là que nous comptons sur les jeunes.

Quelle est la méthode pédagogique?

Après la phase de repérage et d’identification de 50 personnalités dont le Jury estime qu’elles feront le social demain, nous allons constituer ces jeunes leaders en Promo ». Il s’agit d’une sorte de formation par les pairs générationnels. En effet, après une première rencontre au cours de laquelle nous réunirons ces 50 personnes pour faire connaissance et leur permettre d’exprimer leurs attentes, leurs envies et surtout les questions qu’elles portent en eux, nous proposerons à chaque lauréat de rejoindre durant les six mois suivants des ateliers spécifiques conçus comme des « groupes friction » permettant à ces jeunes venant d’horizons, de parcours et d’expériences divers de travailler et de réfléchir ensemble avant de produire un rapport d’étonnement social sous les traits d’une série de questions qu’une génération adresse à une autre. Nous avons remarqué que les programmes de type young leaders mettaient en avant les rencontres avec des leaders installés ou prestigieux. Pourtant, ce que retiennent les participants ce sont les échanges et les rencontrent entre membres d’une Promo ». C’est cela qui reste en mémoire et qui est fécond. Nous privilégions donc cet aspect sur le reste, même si des rencontres avec des personnalités du social seront aussi au programme.

Quels profils, ces jeunes leaders du social de demain?

C’est ce qu’on apprendra le 21 novembre lors de la soirée de clôture du Think RH organisé par News Tank Média… À ce stade, ce que l’on peut dire c’est que parmi les 300 personnes de moins de 35 ans que nous avons déjà repérées (évidemment toutes ne sont pas éligibles ou intéressées par Social Demain), on a une surreprésentation de personnes n’appartenant pas à l’entreprise. Et parmi toutes celles-ci, beaucoup d’entrepreneurs. Peut-être sont-ils plus facilement repérables que d’autres étant donné la nécessité dans laquelle ils sont d’être visibles pour assurer leur développement. Mais on sent bien pourtant, en discutant avec eux, que là où ils se seraient engagés dans un syndicat il y a 50 ans, auraient créé une association il y a 30 ans, beaucoup de ces jeunes privilégient désormais l’entreprenariat. Nous nous interrogions aussi sur la pertinence du critère d’âge (35 ans) : allions-nous découvrir un désert des Tartares comme certains nous le prédisaient ? Pas du tout ! Et nombreux sont ceux qui ont moins de 30 ans, dont bon nombre de jeunes femmes. Cela promet une première Promo’ 2019 de qualité.

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Né en 1968, philosophe politique de formation, j’ai poursuivi deux carrières en parallèle : d’un côté, un parcours en entreprise - j’ai été rédacteur en chef des publications de Médecins du Monde (1996), directeur adjoint de la communication (1999), chef du service de presse de l’Unédic (2002), directeur de la communication de l’Unédic (2008) puis directeur de la communication et stratégie de Technologia (2011), un cabinet de prévention des risques professionnels ; de l’autre, un parcours plus intellectuel — j’ai été élève de Marcel Gauchet qui m’a appris à penser ; j’ai créé la Revue Humanitaire et j’ai publié plusieurs essais : L’humanitaire, tragédie de la démocratie (Michalon 2007), Quand la religion s’invite dans l’entreprise (Fayard 2017) et Une colère française, ce qui a rendu possible les gilets jaunes (Observatoire 2019). Enfin, je collabore à Metis, à Télos et à Slate en y écrivant des articles sur l’actualité sociale. Pour unifier ces deux activités, j’ai créé Temps commun, un cabinet de conseil qui aide les entreprises, les institutions publiques et les collectivités à décrypter et faire face aux impacts des transformations sociales sur leurs organisations.

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Fanny Barbier, éditrice associée au sein de la Smart Factory d’Entreprise&Personnel (réseau associatif qui mobilise, au service de ses adhérents, les expertises de consultants RH et la recherche en sciences humaines). Elle étudie en quoi les évolutions de la société ont un impact sur le travail et les organisations et propose des pistes pour la transformation heureuse de ces évolutions au sein des entreprises. Elle dirige le service de veille et recherches documentaires d’E&P. Elle a co-créé et animé des think tanks internes au sein d’E&P, BPI group et Garon Bonvalot et publié de nombreux ouvrages et articles sur le travail et le couple travail/société.