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Claude-Emmanuel Triomphe

Camarade,


Bon je sais que ce n’est pas ton vocabulaire préféré… je le fais un peu exprès, je l’admets, ça doit tenir à ma nature rebelle, pour ne pas dire insoumise ! Depuis que tu t’es lancé en politique je t’ai suivi avec beaucoup d’intérêt. Sans forcément toujours adhérer, loin s’en faut. D’ailleurs ça a commencé avec tes fameux cars : moi j’ai toujours été un fan de trains. 
Même quand ils sont en retard, même quand ils sont en grève (et ça fait beaucoup en cumulé !).

 

J’ai apprécié par contre très vite la manière dont tu t’es adressé aux jeunes des quartiers, ce côté va falloir se retrousser les manches, cette volonté de décorseter nombre de métiers. Je dis respect lorsque tu vas au charbon même quand ce n’est pas pour aller dans le sens du poil de ton auditoire : on l’a vu l’autre jour avec les salariés de Whirlpool. Quand Véronique s’est adressée en octobre 2015 à la grande conférence sociale pour porter la parole des 18-30 ans qui avaient, avec ASTREES, dessiné le travail de demain, tu as été le seul à avoir demandé son texte et à l’avoir fait circuler à tous les membres de ton cabinet. Je veux croire que ce geste n’était pas calculé (même si je ne suis pas sûr que Véronique soit en marche !). Ancien inspecteur du travail, je n’ai rien contre la refonte du code du travail, qui me semble nécessaire, ni contre celle d’un dialogue social absolument indispensable, mais parfois ankylosé et dont ni les résultats ni les procédures ne peuvent nous satisfaire. J’ai même accepté de plancher devant l’un de tes comités locaux, à qui j’ai rappelé au passage que nulle part en Europe les réformes du marché du travail n’avaient créé d’emplois (ce qui ne veut pas dire qu’elles ne soient pas utiles à l’amélioration de la vie des travailleurs comme de celle des entrepreneurs). Ce serait d’ailleurs bien que tu te mettes ça dans la tête. Ça t’évitera à l’avenir les déboires qu’a connus ton pote Valls qui a cru bon de vendre la loi Travail au nom de la création d’emploi. Avec le succès que l’on sait. Je crois comme toi qu’il y a une place pour des majorités de projets dépassant des clivages qui tiennent bien trop souvent à des postures plus qu’à de vraies divergences. Et merci de croire aussi fort en l‘Europe, quand celle-ci traverse une crise aussi forte (ça ne devrait pas t’empêcher de vouloir la refonder par ailleurs).

 

Mais depuis 10 jours tu m’inquiètes. Y a pas que la Rotonde. Y a aussi ces mots, ce ton, beaucoup trop techno pour atteindre trop de gens qui souffrent dans notre pays. Il y a ton incapacité, non pas à te joindre au populisme – merci de l‘avoir évité -, mais à parler au peuple, ce qui n’est pas du tout la même chose. Autour de moi, les plus jeunes ont voté massivement pour un changement en profondeur, pour une économie plus sociale et plus solidaire, pour une république plus citoyenne, un monde plus soutenable. Ils se sentent et se veulent insoumis. Et je ne parle pas de toutes celles et ceux, victimes des restructurations industrielles, sujet qui m’a tenu à cœur pendant près de 30 ans, et qui pour beaucoup rejoignent Marine, en désespoir de cause. Qu’as-tu à leur dire ?

 

Va falloir que tu te réveilles, camarade. Le 7 mai c’est tout sauf gagné. Il ne suffit pas de faire peur avec Marine. Je ne te demande pas de te renier, mais d’entendre, de comprendre et de faire ce que tu as su faire : susciter l’espoir. Ne te contente plus de marcher : cours, vole !

 

Post scriptum: Tout ça je te l’avais écrit entre les deux tours. Depuis tu as été élu. Bravo ! Premier discours, chapeau. Après, j’ai été moins convaincu par le côté « Du haut des ces pyramides » mais bon… Pour le reste, tout ce que j’ai dit avant me semble toujours d’actualité. Good luck, Mister President !

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