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De l’expérimentation d’un revenu universel (Basic income) en Finlande au « Universal credit » instauré en 2013 au Royaume-Uni en passant par le « revenu citoyen » créé en Italie en 2017, différents pays européens s’essaient à la simplification des multiples régimes de minima sociaux qui se sont construits au fil du temps. Avec des philosophies différentes, mais pas mal de points communs. Et avec des résultats inégaux…

Simplifier dites-vous ?

Dans tous les cas, c’est l’objectif : ainsi l’expérimentation lancée par un gouvernement libéral de centre droit d’un revenu universel (« Basic income ») en Finlande en 2017 visait à renouveler le système d’aides sociales tout en s’adaptant aux évolutions du travail. « La Finlande, pays typiquement nordique, a un fort secteur public, un régime traditionnellement généreux d’Etat providence avec des prestations et filets de sécurité importants. Mais avec la crise et l’augmentation de la dette publique, on observe une forte pression pour baisser ces prestations et une demande pour une distribution plus efficiente » (Robert Arnkil et Sari Pitkanen, dossier Metis Le revenu universel pardi !, été 2016). Dit autrement ça coûte un pognon de dingue et ça ne marche plus vraiment bien !

Au Royaume-Uni, le « Universal credit » mis en place de manière progressive depuis 2013 a fusionné six des prestations existantes : aide à l’enfance, allocation logement, revenu minimum, les deux types d’allocations chômage, « working tax credit » (un peu comparable à la prime pour l’emploi en France). Outre la simplification, la mise en ligne sur internet, il s’agissait également d’essayer d’augmenter les retours à l’emploi par effacement de la distinction entre les situations d’emploi et de non-emploi.

La mise en place a été très affectée par des problèmes de systèmes d’information qui ont entraîné de très nombreux retards de paiement et la mise en place définitive a été plusieurs fois repoussée : elle devrait maintenant se faire en 2023. (Voir dans Metis, « The “Universal credit”, pas si universel que ca ? », Wenceslas Baudrillart, 17/09/2018)

Les bénéficiaires signent un contrat d’engagement avec les « Job Centres Plus » du Service Public de l’Emploi avec l’obligation d’accepter toute offre d’emploi qui se présente, y compris d’emploi à temps partiel en complément du temps passé en recherches d’emploi qui lui doit être de l’ordre de 35 heures par semaine…

 « Making work pay » : simplifier, mais pas que !

 Dans les différents pays il s’agit aussi de revenir sur la question des revenus du travail et des revenus d’assistance. Le travail doit payer, on retrouve là un thème français du moment. Vaste sujet que les Finlandais nomment le « piège d’incitation » : quand il n’est pas rentable pour une personne au chômage de prendre un emploi parce que son revenu net ne va pas augmenter, voire diminuer, c’est un obstacle de taille. Les systèmes de prestations sociales sont partout confus et sont devenus aussi frustrants pour les citoyens que pour les agents des services sociaux. Les changements dans le travail les rendent parfois obsolètes par rapport au développement des emplois atypiques, du travail indépendant, des travailleurs des plateformes.

Dans le cas anglais comme dans le cas italien, il s’agit donc aussi de créer un dispositif fortement incitatif à la reprise d’un emploi, quelle que soit la qualité de cet emploi. Les obligations des bénéficiaires sont nombreuses et strictes.

La création du « revenu citoyen » était l’une des propositions du Mouvement 5 étoiles en réponse à un chômage jugé structurel, aux changements des formes d’emploi, et à la question de la pauvreté. Mais on peut également considérer cette nouveauté comme le prolongement du programme « Income Incluzione » précédemment adopté et dans lequel il était admis que tout revenu entraîne une obligation de « participer au marché du travail ».

Les conditions d’éligibilité au revenu citoyen sont sévères et consignées dans un contrat avec le Service Public de l’Emploi : être disponible pour un emploi tout de suite dans une aire géographique pouvant aller jusqu’à 110 km de son domicile, adhérer à un programme d’accompagnement, ou participer à raison de 8 heures par semaine à des travaux d’utilité collective, accepter l’un des trois premiers emplois proposés qui sont en lien avec les compétences professionnelles acquises.

Les employeurs seront exonérés de charges sociales s’ils emploient des bénéficiaires du revenu citoyen.

On y retrouve la distinction entre les personnes capables d’avoir un parcours vers l’emploi et les personnes qui relèvent uniquement d’un accompagnement social. De fait comme dans le dispositif français de l’« accompagnement global » qui instaure un partenariat étroit entre les services de Pôle emploi et les travailleurs sociaux des Départements, les personnes peuvent être orientées soit vers le « Patto per il lavoro » (Pacte pour l’emploi) soit vers le « Patto per incluzione » (Pacte pour l’inclusion). L’ANPAL (SPE italien récemment recréé) doit assurer un accompagnement serré avec des conseillers personnels, en fait des salariés employés spécialement pour cela. Ce sont les « navigators ».

Cette insistance sur l’accompagnement par des « coaches » personnels caractérise les évolutions récentes des services aux demandeurs d’emploi : un contrat d’engagement avec son « work coach » est signé au Royaume-Uni où le jobseeker doit rédiger en continu un Journal de ses recherches et le partager avec son conseiller qui doit lui répondre en ligne et le plus souvent lui donner son numéro de téléphone portable. Le « navigator » doit suivre toutes les démarches de la personne ou de la famille qui perçoit le « revenu citoyen » (certains experts et observateurs rajoutent malicieusement « même si le navigator est dans une situation aussi précaire que celui ou celle qu’il accompagne ! »). Le mot coach est devenu le plus répandu dans les écosystèmes de l’emploi.

Pour quels résultats ?

Au Royaume-Uni, les résultats sont contrastés : si 98 % des personnes sont capables d’accéder à leur dossier en ligne, la moitié d’entre elles le font avec une aide. 57 % des personnes concernées déclarent que le Universal Credit les a aidées à se motiver dans la recherche d’emploi. Une évaluation a montré que les bénéficiaires qui disposent d’un accompagnement fort (un rendez-vous tous les 15 jours) et ceux qui disposent d’un accompagnement modéré (un rendez-vous toutes les 8 semaines) ont de meilleurs taux de retour à l’emploi que ceux qui ont un accompagnement minimal.

Mais le bilan n’est pas à la hauteur de ce qui était attendu : 2 millions de personnes perçoivent aujourd’hui le Universal Credit créé en 2011 et réellement mis en place à partir de 2013 alors que l’on en attendait 7 millions. Et l’échéance pour une mise en place complète a été  repoussée de 2019 à 2023…

Sur l’ensemble de la mise en œuvre, la Commission des comptes publics de la Chambre des Communes a émis des avis très défavorables : la situation de pauvreté des bénéficiaires ne s’améliore pas, les recours aux dettes et aux banques alimentaires sont de plus en plus nombreux. Par ailleurs le financement et la responsabilité de la mise en œuvre sont reportés sur les autorités locales et le monde associatif et nombreux sont les observateurs qui notent qu’une réforme ne peut pas poursuivre tous les objectifs en même temps (Le Monde, 5 septembre 2019).

L’évaluation de l’expérimentation du revenu universel en Finlande, conçue dès le départ comme « randomisée », c’est-à-dire comparée aux résultats d’un groupe témoin ne bénéficiant pas de ce revenu, a montré des aspects positifs sur les personnes qui ont été concernées (amélioration en termes de bien-être) sans qu’il y ait un impact significatif en termes de simplification et de modernisation des services concernés, ni en termes de reprise d’emploi.

Pour l’Italie, il n’y a pas encore suffisamment de recul pour qu’une évaluation soit faite et de plus dans le cadre des nouvelles alliances politiques du mouvement 5 Etoiles, on ne sait ce qu’il adviendra du revenu citoyen…

Trois questions super difficiles

1 — Faut-il repérer les personnes susceptibles de revenir à l’emploi que l’on oriente alors vers une formation, ou une immersion dans l’emploi accompagnée (de type « work first ») et celles pour lesquelles on propose uniquement des mesures sociales sans perspective de retour à l’emploi ? Les chercheurs allemands de l’IAB notent que dans leur pays après une période durant laquelle toutes les politiques de l’emploi étaient tournées vers l’activation et visaient le retour à l’emploi, on en revient aujourd’hui à l’idée d’un « marché social de l’emploi » dans des organisations de type « entreprises sociales » ou «  d’insertion » hors système marchand. A l’inverse en France, on sait que la démarche TZCLD part du principe selon lequel « personne n’est inemployable ».

2— Faut-il avoir une approche séquentielle : on résout (ou on essaie de résoudre) tous les problèmes dits « périphériques » à l’emploi (logement, santé, justice éventuellement, transport, garde d’enfants), et puis on en vient à l’idée de parcours vers l’emploi, ou bien on pratique le « work first » en bousculant les étapes… et les travailleurs sociaux concernés.

3— Faut-il parallèlement à la simplification des aides sociales et des divers types de minima sociaux, simplifier les services qui les distribuent et accompagnent les personnes ? Les organisations en tuyaux obligent les « bénéficiaires » à avoir plusieurs interlocuteurs et parfois à errer de service en service. « Il ne peut y avoir de réformes des aides sociales sans réforme de l’insertion » déclare la Secrétaire d’Etat Christelle Dubos (Les Echos, 20 juillet 2019). Faut-il fusionner l’AGEFIPH et Pôle emploi, les Missions Locales et Pôle emploi… Sujets abordés en France dans le cadre des débats actuels. Ne vaut-il pas mieux construire patiemment des « écosystèmes locaux » de l’insertion et de l’emploi dans lesquels les professionnels appartenant à des structures différentes travaillent ensemble, dans le même lieu ou non, dans la même structure ou non. La recherche sans cesse recommencée du « guichet unique »  ou « one-stop-shop » est peut être mauvaise conseillère.

Des questions, et une concertation sous différentes formes qui débute, sous la responsabilité d’Olivier Noblecourt (Délégué Interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des jeunes et des enfants) et de Jean-Marie Marx (Haut Commissaire aux compétences et à l’inclusion par l’emploi).

A suivre donc.

Pour en savoir plus :

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.