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En Chine, le ministère de l’Emploi s’appelle ministère des Compétences… Tout un programme. Mais quels sont donc les pays européens qui gèrent le mieux les compétences de leurs habitants ? Et d’ailleurs qu’est-ce que cela signifie ? Un nouvel indicateur, l’« Indice européen des compétences » permet un regard neuf. Cet article fait suite à celui consacré à l’examen des performances des pays européens en matière de formation professionnelle continue (voir dans Metis : « Nouvelles dynamiques dans la formation professionnelle », 12 octobre 2019). Il est complémentaire, car il englobe le système d’éducation initiale et celui de la formation continue. Quelle est la qualité du matching entre les compétences construites et les besoins dans les différents pays ?

Dans une note d’information publiée en septembre 2018, le CEDEFOP justifie la création de ce nouvel indicateur « Indice européen des compétences » (IEC) par le besoin « d’analyser les performances des systèmes de compétences au sein de l’Union européenne (UE) afin d’éclairer les politiques d’éducation, de formation et du marché du travail au service des objectifs sociaux et économiques communs de l’UE et de chacun des pays membres ». Les premiers résultats détaillés ont donné lieu à la publication d’un rapport « 2018 European Skills Index » (CEDEFOP 2019). Pour en revenir à l’article de Metis précité, les lecteurs attentifs auront été certainement étonnés à l’observation des scores respectifs de la Finlande (premier parmi les pays européens) et la France (vingtième) selon cet IEC. Il importait donc qu’on y regarde de plus près.

La notion de compétences prise en compte par cet indice est basée sur la théorie du capital humain où l’acquisition des compétences vise l’amélioration de l’emploi, de l’inclusion sociale et de la productivité. Elle ne couvre pas l’ensemble des dimensions de la « formation tout au long de la vie » dans la mesure où elle ne prend pas en compte les bénéfices non pécuniaires de l’amélioration des compétences comme celles relatives au développement personnel, au bien-être, ou à l’apprentissage de la citoyenneté. Dans la définition retenue, au-delà du niveau d’instruction, des aptitudes et des compétences des individus, les systèmes de compétences concernent la facilité avec laquelle ils (les individus) évoluent dans le marché du travail, et la façon dont les compétences correspondent à la demande et sont utilisées. Ces trois dimensions : développement, activation et adéquation, constituent les trois piliers sur lesquels est bâti l’indice européen des compétences (IEC). L’IEC se présente ainsi comme la synthèse de trois indices « piliers », chacun étant un composite d’indicateurs calculés par EUROSTAT, l’UNESCO ou l’OCDE.

Un indice de la qualité des compétences et de l’efficacité de leur utilisation

Le pilier « développement des compétences » comprend 2 sous-piliers ; le premier relatif à l’obligation scolaire (basic education) s’appuyant sur 3 indicateurs : le taux d’encadrement élèves/enseignants dans le « pré-primaire », le pourcentage des 15-64 ans avec un niveau d’éducation d’au moins la fin des études secondaires, et les scores atteints dans les enquêtes PISA ; le second relatif aux autres actions d’éducation et de formation (training and other education) avec la participation des adultes de 25 à 64 ans à des actions de formation, la proportion d’élèves en FPI dans le secondaire, et la possession de compétences informatiques de haut niveau parmi les 15-64 ans.

Le pilier « activation des compétences » s’appuie sur deux sous-piliers ; le premier « transition vers la vie active » (transition to work) qui combine le taux de jeunes de 18-24 ans ayant quitté prématurément le système scolaire, sans emploi et sans formation et le pourcentage d’employés parmi les 20-34 ans récemment diplômés au niveau secondaire ou supérieur ; le second pilier « participation au marché de l’emploi » couvre les taux d’activité parmi les 25-54 ans et parmi les 20-24 ans.

Quant au pilier « adéquation des compétences », il se base sur deux sous-piliers ; le premier concerne la sous-utilisation des compétences et s’appuie sur la part des chômeurs de plus d’un an au sein de la population active, et la part des travailleurs de 15 à 74 ans employés à temps partiel qui déclarent ne pas parvenir à trouver d’emploi à plein temps ; le second sous-pilier traite de l’inadéquation (mismatch) des compétences et s’appuie sur le pourcentage des employés de 25-34 ans diplômés de l’enseignement supérieur dans des emplois qui ne justifient pas ce niveau de qualification, la proportion d’employés sous-payés parmi les personnels qualifiés aux niveaux supérieurs, et la mesure de l’écart entre le niveau d’éducation de l’employé et le niveau requis par le poste occupé dans chaque secteur.

On pourrait discuter le caractère arbitraire de certains indicateurs ainsi que la façon dont ils ont été situés sur des échelles de 0 à 100 afin d’être mis en correspondance et agrégés au sein des sous-piliers, des piliers puis de l’IEC ; pour autant la plupart semblent pertinents et les résultats méritent d’être regardés de près. A l’examen le document distingue trois groupes de pays :

  • Avec des scores supérieurs à 70 (sur 100), les « leaders » ; la République tchèque (76), la Finlande et la Suède (72), et le Luxembourg (71) arrivent en tête, suivis de la Slovénie (69), de l’Estonie (68) et du Danemark (67) ; ces sept pays se retrouvent dans les 10 premiers selon chacun des trois piliers.
  • Les moyens (middle-achievers), 14 pays parmi lesquels l’Allemagne, l’Autriche et la Pologne (62), la Lituanie (61), la Croatie (60), la Slovaquie et la Lettonie (59), les Pays-Bas (58), Malte (56), la Hongrie (55), la Belgique (53), le Royaume-Uni (52), la France (48) et le Portugal (45), et dont les résultats sont variables d’un pilier à un autre
  • Les plus faibles (low-achievers), sept pays parmi lesquels figurent l’Irlande (37), la Bulgarie (33), Chypre (32), la Roumanie (31) ainsi que les trois pays « du Club Med», l’Italie (25), l’Espagne et la Grèce (23).

Mais si l’on regarde de plus près les scores dans les différents piliers et sous-piliers on peut aboutir à des constats plus fins et contrastés.

Développement des compétences : le modèle scandinave a essaimé

Dans ce domaine, les pays scandinaves tiennent le haut du pavé, au premier rang la Finlande, suivie de la Suède, du Danemark et de l’Estonie, puis de la Slovénie, du Luxembourg, de l’Autriche, de la République tchèque, de l’Allemagne et des Pays-Bas. Ces positions s’appuient sur les performances en matière d’encadrement dans l’éducation préscolaire (Suède, Estonie, Slovénie, Allemagne) et les résultats de PISA (Estonie, Finlande), mais aussi sur les performances en matière de compétences informatiques de haut niveau (Finlande, Luxembourg, Danemark, Estonie), la proportion des jeunes en FPI dans le secondaire (République tchèque, Finlande, Autriche, Pays-Bas), et le développement de la FPC (Suède, Danemark, Finlande, Pays-Bas).

A l’opposé, figurent surtout des pays du sud de l’Europe ainsi que la Hongrie, la Bulgarie et la Roumanie. Ils se caractérisent par le niveau limité de la qualification de la population (Portugal et Malte), le faible développement de la FPC, ainsi que des résultats médiocres selon les enquêtes PISA et l’évaluation des compétences informatiques (Bulgarie, Roumanie).

Entre ces deux groupes, on trouve des pays dont les profils sont plus contrastés parmi lesquels le Royaume-Uni, la Belgique, la France, l’Irlande et l’Italie, mais aussi les autres nouveaux pays membres. Ces derniers combinent des performances élevées en matière de taux de scolarisation en FPI dans le secondaire ainsi que de niveau de qualification parmi les 15-64 ans avec des résultats médiocres dans le domaine de la formation continue et d’autres plus contrastés dans les enquêtes PISA.

Plus généralement, les écarts entre les importances respectives de la FPI et de la FPC semblent significatifs : la République tchèque, la Slovaquie et la Croatie qui figurent aux premier, deuxième et troisième rangs pour la proportion de jeunes en FPI dans le secondaire, se retrouvent en milieu ou en fin de classement pour la formation continue ; au contraire, la Suède, le Danemark et l’Estonie sont très bien classés selon l’indicateur de FPC tandis que l’importance de la FPI dans l’enseignement secondaire les situe dans le dernier tiers.

Concernant la France — 18e sur ce pilier — les bons scores en matière de développement de la FPC (4e parmi les 28) et de compétences informatiques de haut niveau (9e) ne parviennent pas à équilibrer les résultats mitigés obtenus avec la dernière enquête PISA (12e), la faiblesse du niveau de qualification de la population des 15-64 (18e), en conformité avec ce qu’avait révélé l’enquête PIAAC de l’OCDE (voir dans Metis « Formation professionnelle : les performances françaises par rapport aux pays d’Europe », mai 2017), mais surtout le bonnet d’âne récolté pour le taux d’encadrement de l’éducation préscolaire, 21,5 élèves par maître, le plus élevé et de loin parmi tous les pays, alors que la moyenne se situe autour de 12 et qu’elle descend à un peu moins de 10 en Finlande, en Allemagne et au Danemark, 9 en Estonie et en Slovénie, et 6 en Suède. On reste interloqué devant ce résultat alors que la France se situe au premier rang au regard du benchmark de la stratégie européenne d’éducation et de formation (E & T 2020) avec un taux de 100 % pour la participation des 4 ans et plus à l’enseignement préélémentaire en 2016 — et est pour cette raison souvent donnée en exemple — tandis que la moitié des pays sont encore en dessous et parfois très au-dessous de l’objectif de 95 % en 2020. Ces deux indicateurs ne sont bien évidemment pas contradictoires ; l’accueil massif des enfants n’a pas été accompagné par le recrutement d’un nombre suffisant de maîtres et on en voit en ce moment les résultats avec l’épuisement de l’encadrement dans les écoles primaires et les drames que cela suscite. Mais en même temps, peut-être y aurait-il là matière à revoir le choix des indices contribuant à l’index des compétences en considérant à la fois la proportion des jeunes enfants ainsi pré-scolarisés et le taux d’encadrement maître/élèves.

L’activation des compétences : savoir utiliser les compétences

Ici, le peloton de tête est mené par la Suède suivie des Pays-Bas et de l’Autriche puis un peu plus loin du Danemark, de la Lituanie, de la Slovénie, du Royaume-Uni, de l’Estonie, de l’Allemagne et de la République tchèque. Ces scores sanctionnent la réussite des politiques en faveur de l’emploi des jeunes et de la lutte contre le décrochage scolaire et l’on y retrouve logiquement les pays où les mesures actives du marché du travail sont les plus performantes et où l’apprentissage des jeunes est le plus développé, ainsi que ceux des pays de l’Europe centrale qui sont parvenus à maintenir la capacité intégrative de leur système de FPI.

En bas du tableau, on trouve la Belgique, la Hongrie, la Grèce, l’Espagne, la Roumanie, la Bulgarie et l’Italie. Ces scores sanctionnent des performances très éloignées des moyennes européennes en ce qui concerne le taux d’activité des 20-24 ans (moins de 50 % en Italie, en Grèce et en Roumanie), ou encore le taux d’employés de 20-34 ans diplômés depuis moins de 3 ans (Grèce, Italie) et le taux de décrocheurs (Bulgarie, Espagne, Italie, Roumanie).

Le groupe médian réunit la Finlande, le Luxembourg, Chypre, la Lettonie, la Pologne, Malte, la France et la Croatie, la Slovaquie, le Portugal et l’Irlande. Concernant la Finlande, contrairement à ses résultats flatteurs en matière de développement des compétences, la réussite des jeunes sur le marché du travail est plus modeste, ce qui est sans doute une des raisons du caractère radical de la réforme du système engagée en 2018 (voir dans Metis « “Formation professionnelle en Finlande : une toute nouvelle réforme”, novembre 2019). A signaler les bonnes performances en matière de lutte contre le décrochage scolaire en Croatie et en Pologne, ainsi que dans le domaine de l’emploi des jeunes diplômés à Malte, et au Luxembourg.

En 17e position parmi les 28, la France paye là ses mauvais résultats récurrents en matière d’emploi des jeunes. La situation s’est sans doute améliorée si l’on considère des données plus récentes telles que celles produites annuellement pour le suivi de la stratégie européenne E & T 202O. C’est ainsi que les sorties précoces du système éducatif ont nettement diminué depuis 2010 et se situent maintenant à 8,9 %, en dessous de la moyenne européenne (10,6 %) (note d’information DEPP Mars 2019), alors que l’IEC situe la France en 22e position sur ce point avec des données recueillies en 2017. Mais, en ce qui concerne l’emploi des jeunes, rien ne dit que le retard substantiel constaté en 2017 par rapport à la moyenne européenne se soit résorbé.

L’adéquation des compétences aux besoins : le mismatching

Cet item sanctionne la prééminence des nouveaux pays membres, avec la République tchèque au premier rang suivie de Malte, la Hongrie, la Pologne, la Croatie, la Slovaquie, la Slovénie, la Bulgarie, la Roumanie et l’Estonie. Seuls parmi les plus anciens pays membres, le Luxembourg et la Finlande obtiennent des scores élevés. A un niveau moyen on trouve la Suède, la Belgique, l’Allemagne, le Danemark, la Lettonie et la Lituanie, puis plus bas l’Autriche, l’Italie, les Pays-Bas, la France, le Portugal et le Royaume-Uni, et nettement décrochés l’Irlande, Chypre, l’Espagne et la Grèce.

C’est surtout sur le taux d’employés à temps partiel qui déclarent ne pas parvenir à trouver d’emploi à plein temps, ainsi que sur la mesure de l’écart entre le niveau d’éducation de l’employé et le niveau requis par le poste occupé, que les nouveaux pays membres font les meilleures performances ; seuls le Luxembourg et la Finlande parviennent à s’intercaler parmi les dix premiers et uniquement sur le second item où il est surprenant de ne pas trouver les autres pays à fort développement de l’apprentissage. La République tchèque et la Hongrie sont notées dans les 10 premiers rangs selon les 5 items constitutifs de ce pilier et la Pologne selon trois d’entre eux, ceux déjà cités ainsi que le chômage de longue durée. Mais si l’on se penche sur ce dernier indicateur, la Suède, le Royaume-Uni, le Danemark et l’Allemagne sont aux premières loges, à égalité pour cette dernière avec la République tchèque, tandis que l’Autriche, la Hongrie, l’Estonie, la Pologne et la Finlande sont juste derrière. On retrouve l’Allemagne, la Finlande et les Pays-Bas dans le premier tiers des pays sur le plan de la (moindre) sur-qualification des employés, en même temps que la République tchèque et la Hongrie ; de même la Suède, la Finlande et le Danemark obtiennent les meilleurs scores en ce qui concerne la proportion d’employés sous-payés, ainsi que la Belgique, le Portugal, la République tchèque et l’Italie.

La confrontation entre les différents indices révèle quelques surprises : ainsi les très bonnes performances du Royaume-Uni en matière de réduction du chômage de longue durée s’accompagnent de mauvais résultats en termes d’adéquation éducation/qualification du poste, de sous-emploi des « temps partiels », ainsi que de taux importants de diplômés de l’enseignement supérieur dans des emplois sous-qualifiés ; peut-être faut-il voir-là le résultat du système draconien d’indemnisation du chômage mis en œuvre il y a quelques années et immortalisé par Ken Loach dans son film Moi Daniel Blake  en 2016. Cependant, bien qu’à des niveaux inférieurs, on retrouve le même phénomène en Suède, au Danemark et en Autriche.

La position médiocre de la France au 22e rang sur l’ensemble du pilier s’explique surtout par ses mauvaises performances en matière de chômage de longue durée et de sous-emploi des « temps partiels » (24e rang sur 28 dans les deux cas) tandis qu’elle figure en milieu de tableau sur les trois autres, 13e sur l’indice « éducation/qualification » du poste, 13e sur la proportion d’employés sous-payés parmi les titulaires de diplômes du supérieur et 14e sur le taux de diplômés de l’enseignement supérieur de 25-34 ans dans des emplois sous-qualifiés.

Quelques leçons

On pourrait disserter longuement sur les permanences et les oppositions que suggère cette analyse : entre les petits (par la taille) et les grands pays, entre l’Europe du Nord et celle du Sud, entre les Scandinaves de culture protestante et les Latins de culture catholique, entre les pays baignés par la mer du nord et ceux des rivages méditerranéens, entre les anciens et les nouveaux pays membres …  mais il y a sans doute mieux à faire. Ainsi, il semble intéressant de revenir sur les leçons tirées dans le document du CEDEFOP « The changing nature and role of vocational education and training in Europe » — telles que rapportées dans l’article cité au début — et en particulier sur l’analyse qu’on y trouvait des différences en matière de formation professionnelle selon les secteurs ; différences entre les industries manufacturières où la FPI continue de jouer un rôle majeur, notamment par ses développements au sein de l’enseignement secondaire, tandis qu’elle est de moins en moins opérante dans le commerce de détail et encore moins dans le secteur des nouvelles technologies. C’est pourquoi il est éclairant de revoir les typologies identifiées ci-dessus à la lumière du poids des secteurs et de constater l’importance du secteur manufacturier dans la plupart des nouveaux pays membres, 28 % de l’emploi en République tchèque, 25 % en Slovaquie, 24 % en Slovénie, 22 % en Hongrie et 20 % en Pologne et en Bulgarie, ainsi qu’en Allemagne (20 %), tandis qu’elle se limite à 14 % en Finlande, 12 % en France et au Danemark, 11 % en Suède et 10 % au Royaume-Uni et aux Pays-Bas ; au contraire, c’est en Finlande (7 %), en Suède (6 %), au Royaume-Uni et aux Pays-Bas (5 %) que l’emploi dans les TIC est le plus développé tandis qu’il atteint 3 % en Pologne et Slovaquie et 4 % en République tchèque et Slovénie.

On retrouve là la distinction faite au début de l’article entre les développements contrastés de la FPI et de la FPC selon les pays, ainsi que la concomitance entre les résultats concernant l’adéquation des compétences et le poids de la FPI au niveau secondaire (République tchèque, Slovaquie, Slovénie, les trois pays où le poids des industries manufacturières est le plus élevé) ; et on est conduit à se demander si la position avantageuse des nouveaux pays membres d’Europe centrale qu’atteste l’IEC n’est pas fragile. C’est un peu cette question que soulevait récemment la ministre polonaise des Entreprises et des Technologies en disant : « La Pologne se développe très vite, mais nos moteurs de croissance se tarissent. Nous sommes devenus “l’atelier d’assemblage” de l’Europe. Nous avons bien intégré la chaîne de production globale de richesses, mais à un très bas niveau. Tout ce qui est matière à haute plus-value, comme l’innovation, la propriété intellectuelle, et qui doit être source de croissance pour les décennies à venir, se trouve en dehors de nos frontières » (cité par Jakub Ivaniuk, Le Monde, 20/21 octobre 2019). Et on pourrait sans doute en dire autant de la République tchèque et de la Slovaquie compte tenu de l’importance de la sous-traitance des industries germaniques de l’automobile et de la machine-outil, et des interrogations que pose la transition annoncée vers des énergies non-polluantes.

Quant au secteur de la distribution et du commerce de détail, il est frappant de constater — même si les différences sont moins marquées — qu’il est au plus bas dans les 5 premiers pays du classement selon l’IEC (12 % en République tchèque, en Finlande, en Suède et en Slovénie et 8 % au Luxembourg) tandis qu’il atteint ses scores les plus élevés en Espagne et au Portugal (16 %), en Bulgarie (17 %), à Chypre et en Grèce (18 %). Ne peut-on pas voir là un indice des difficultés des systèmes de compétences à répondre aux changements profonds d’un secteur où « l’ubérisation » se développe rapidement ?

Ces changements vont sans doute en appeler d’autres dans les systèmes de formation professionnelle que plusieurs pays européens, en particulier la Finlande, transforment dans une perspective d’éducation et de formation tout au long de la vie (EFTLV). Faut-il en conclure que l’adéquation est une illusion, juste valable pour les nostalgiques de la société industrielle, et que la marche vers l’EFTLV va s’accompagner de phénomènes de temps partiel subi, d’emplois sous-qualifiés et d’autres sous-payés ? ou bien ne peut-on pas dire que les changements en cours dans la sphère économique et sociale appellent une tout autre conception de l’adéquation : le temps n’est plus — ou de moins en moins — à la préparation en formation initiale de vastes cohortes bien qualifiées destinées à occuper à vie des emplois bien précis ; l’adéquation se joue (de plus en plus souvent) de façon beaucoup plus fine, au niveau de chaque individu appelé à changer plusieurs fois de métier ; il s’agit moins de « qualifications » bien définies, mais de « compétences » appelées à agréger des connaissances techniques et des compétences transversales, compétences clés et autres aptitudes. C’est ainsi qu’en Finlande, avec la réforme radicale adoptée en 2018, les compétences « s’enrichissent » en même temps que le nombre de certifications diminue ; comme si les qualifications s’estompaient au fur et à mesure où les compétences prenaient une importance croissante. C’est bien un indice « des compétences » qui vient d’être créé par le CEDEFOP et pas un indice « des qualifications », même si la conception de l’adéquation qu’il propose semble encore inspirée de la société industrielle.

Ces changements appellent des révisions drastiques des systèmes de formation professionnelle et plus généralement des systèmes d’éducation et de formation. La Finlande en donne une expression radicale avec la disparition de la distinction entre FPI et FPC et une individualisation poussée à l’extrême (peut-être excessive ?) des parcours de formation. Dans d’autres pays, les frontières entre formation initiale et continue s’estompent au moment où l’offre de FPC s’élargit et se diversifie notamment avec l’ouverture de l’apprentissage aux adultes (Royaume-Uni). Ce sont aussi les frontières entre enseignement général et formation professionnelle qui s’estompent lorsqu’on constate que les diplômés de lettres ou de philosophie — au bout de quelques années — réussissent mieux dans les nouvelles technologies que les ingénieurs spécialisés dont les compétences pointues deviennent plus ou moins rapidement obsolètes.

Pour en revenir à la France, on a déjà bien vu dans plusieurs articles combien la réforme de la formation professionnelle et de l’apprentissage portée par la loi « Choisir son avenir professionnel » s’engageait dans cette voie, même si les moyens qui lui étaient associés n’étaient pas toujours au rendez-vous. On peut ajouter que les réformes de l’éducation nationale y contribuent également avec l’intérêt croissant manifesté par les jeunes pour les filières d’apprentissage, mais aussi par la mise en place de la réforme du baccalauréat avec ses choix d’options qui constitue une sorte de tremplin pour les parcours individuels d’éducation et de formation.

Dans ce contexte, il est heureux de constater que les seuls indicateurs de l’IEC sur lequel la France rentre dans les dix premiers sont la participation à la FPC (4e), les compétences de haut niveau en informatique (9e) et le taux d’activité parmi les 25-54 ans (9e). En même temps, certains indicateurs se sont améliorés depuis la date des enquêtes comme le taux de sorties sans qualification. Mais les points faibles restent nombreux et en particulier ceux concernant l’emploi des jeunes et surtout cette révélation de la « lanterne rouge » obtenue en matière d’encadrement dans l’enseignement préscolaire, alors même que la France était considérée comme le champion de ce sujet. Révélation ? Peut-être pas tant que ça si l’on se rappelle le constat récurrent de l’exception française où l’on consacre environ 20 % de moins que la moyenne de l’Union européenne (ou de l’OCDE) à l’enseignement primaire tandis que c’est exactement l’inverse dans le secondaire. Depuis sa nomination, le ministre semble s’être attelé vigoureusement à ce rééquilibrage en faveur du primaire, c’est à dire ce qui constitue les fondations du socle des compétences appelées à être mobilisées par l’EFTLV, mais on mesure bien les difficultés qui l’attendent.

Dans une interview donnée au Journal du Dimanche (3 novembre) Jean Michel Blanquer vient de dire que l’ «l’effort doit désormais être porté sur l’école maternelle, … c’est pourquoi nous avons rendu l’école obligatoire dès trois ans. Ceci passe aussi par un meilleur taux d’encadrement : d’ici la fin du quinquennat, il n’y aura pas plus de 24 élèves dans toutes les classes de grande section, et pas plus de 12 dans les REP (réseaux d’éducation prioritaire) ». C’est un début, mais combien de quinquennats faudra t’il pour parvenir à des taux d’encadrement comparables à ceux qu’on observe en Allemagne et dans les pays scandinaves ?

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Ingénieur École Centrale promotion 1968. DEA de statistiques en 1969 et de sociologie en 1978. Une première carrière dans le secteur privé jusqu’en 1981, études urbaines au sein de l’Atelier parisien d’urbanisme, modèles d’optimisation production/vente dans la pétrochimie, études marketing, recherche DGRST sur le tourisme social en 1980.

Une deuxième carrière au sein de l’éducation nationale jusqu’en 1994 avec diverses missions sur l’enseignement technique et la formation professionnelle ; participation active à la création des baccalauréats professionnels ; chargé de mission au sein de la mission interministérielle pour l’Europe centrale et orientale (MICECO).

Une troisième carrière au sein de la Fondation européenne pour la formation à Turin ; responsable de dossiers concernant l’adhésion des nouveaux pays membres de l’Union européenne puis de la coopération avec les pays des Balkans et ceux du pourtour méditerranéen.

Diverses missions depuis 2010 sur les politiques de formation professionnelle au Laos et dans les pays du Maghreb dans le contexte des programmes d’aide de l’Union européenne, de l’UNESCO et de l’Agence Française de Développement.

Un livre Voyages dans les Balkans en 2009.

Cyclotourisme en forêt d’Othe et en montagne ; clarinette classique et jazz ; organisateur de fêtes musicales.