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A l’heure où la Loi sur « la liberté de choisir son avenir professionnel » produit ses premiers effets et où les observateurs notent des progrès en matière d’apprentissage (« La vogue de l’apprentissage ne se dément pas » Le Monde, 7 septembre 2019) tandis que le compte personnel de formation (CPF) « patine » comme le notait l’édito de Metis (2 septembre 2019), il est intéressant de regarder ce qui se passe en Europe, quelles mesures sont prises par les pays voisins afin de développer l’enseignement et la formation professionnels (EFP) et en particulier la formation professionnelle continue (FPC) et comment se situe la France par rapport à ses voisins et autres pays européens. De nouvelles dynamiques sont à l’œuvre : plus de diversité dans les manières de former, moins de frontières entre formation initiale et formation continue…

L’occasion de faire le point est donnée en cette rentrée par un document publié en août 2019 par le CEDEFOP, le 7e volume de la collection «  The changing nature and role of vocational education and training in Europe » consacré spécifiquement à la formation professionnelle continue (« VET from a lifelong learning perspective: continuing VET concepts, providers and participants in Europe 1995-2015 »). Dans ce texte, le constat est celui d’un mouvement général dans la perspective de l’éducation et de la formation tout au long de la vie. Il se traduit par une conception élargie de la FPC au-delà de ses relations au travail et à l’emploi (notamment par l’accent mis sur les compétences clé), un affaiblissement de la frontière entre formation professionnelle initiale (FPI) et continue (FPC), une plus grande diversité des opérateurs de formation, une participation accrue des adultes à des actions de FPI, ainsi que la multiplication des passerelles entre FPI et FPC (mobilité ou perméabilité horizontale) et entre FPI et enseignement supérieur (mobilité ou perméabilité verticale).

Diversification des organismes de formation et implication des écoles, lycées, et universités dans la formation continue

L’analyse s’appuie sur un certain nombre de critères et/ou d’indicateurs basés sur des sources statistiques Eurostat ainsi que par un questionnaire complété par des experts nationaux. Les critères sont : la vision de la FPC donnée par les textes réglementaires, le niveau de participation des adultes aux actions de FPC, la diversification des opérateurs et la mobilisation du système formel, la poursuite des sortants de la FPI dans l’enseignement supérieur (mobilité verticale) ainsi que dans des dispositifs de FPC et la mise en œuvre des cadres nationaux de certification.

Le document distingue d’abord trois types correspondant à des visions différentes de la FPC. Le premier regroupe des pays où la FPC concerne principalement les employés et les demandeurs d’emploi ; elle s’exerce en dehors du système éducatif ; elle vise l’amélioration des qualifications en lien direct avec le travail, ainsi que l’employabilité, au moyen de formations essentiellement non formelles (Job-related / occupation-specific non-formal education and training for adults). Ce modèle s’observe en particulier en Espagne, en Estonie et en Italie. Dans le deuxième type, la conception s’élargit à l’éducation et la formation des adultes après leur formation initiale ou leur entrée sur le marché du travail. Comme dans le premier type, elle vise l’amélioration des qualifications et de l’employabilité ; mais elle s’appuie aussi sur le système formel d’éducation et de formation ainsi que sur une grande variété d’opérateurs y compris les entreprises (Job-related/ occupation-specific formal and non-formal education and training for adults). Des exemples en sont la République Tchèque, l’Allemagne, l’Autriche, le Portugal ou les Pays-Bas. Le troisième type ajoute au précédent l’éducation générale destinée au développement personnel (Liberal education). La FPC est offerte par un ensemble encore élargi d’opérateurs. On peut vraiment parler d’éducation et de formation tout au long de la vie (Further education and training or lifelong learning for adults), c’est ce modèle qui fonctionne en Finlande, en France, en Irlande et au Royaume-Uni.

Les enquêtes Eurostat sur les forces de travail conduites fournissent des éléments sur la participation des adultes à la FPC. Depuis 1996 elle a augmenté dans tous les pays. Mais en 2016, dans deux tiers des cas, elle restait en dessous du benchmark de 15 % fixé dans le cadre de la stratégie 2020 d’éducation et de formation de l’Union européenne. Les meilleures performances s’observent dans les pays scandinaves, avec plus de 25 % en Suède, au Danemark, en Finlande et en Islande, suivis entre 15 et 20 % par la Norvège, la France, les Pays-Bas, le Luxembourg, l’Autriche et le Royaume-Uni ; et c’est au Danemark, en Finlande, en Islande, au Luxembourg et en Autriche que les progrès ont été les plus importants entre 1996 et 2016. En revanche, les résultats restent limités à moins de 5 % en Roumanie, Slovaquie, Pologne ainsi qu’en Grèce et s’échelonnent entre 5 et 10 % en Irlande, Belgique, Italie, Allemagne, Espagne, ainsi qu’au Portugal. Dans ce contexte, on noter aussi une augmentation générale de la durée des actions de formation entreprises, un accent plus marqué sur des activités non formelles [1], y compris dans le cadre d’initiatives d’entreprises, une ouverture croissante à des publics spécifiques, les développements de la VAE, ainsi que l’ouverture de cursus spécialisés dans l’enseignement supérieur.

Au-delà du rôle majeur toujours tenu par les entreprises dans le contexte d’une diversification croissante des opérateurs de FPC non formelle, un des vecteurs du développement de la formation tout au long de la vie réside dans l’implication du système formel, écoles, lycées professionnels et universités. Cet essor bénéficie notamment de modalités d’organisation plus flexible et de la modularisation des programmes, ainsi que d’une offre croissante de formation à distance, de cours du soir, de programmes à temps partiel. La proportion d’adultes ayant obtenu une qualification professionnelle de niveau secondaire entre 25 et 34 ans en constitue un indicateur. Mesuré à partir des données de l’EFT de 2014, il place en premières positions le Danemark, les Pays-Bas, la Norvège, la Finlande, le Portugal, l’Allemagne, l’Espagne et le Royaume-Uni, tandis que la France et l’Autriche ne font pas mieux que la moyenne européenne. Sans doute faut-il voir là un indice des limites des développements de la VAE en France au contraire du niveau atteint en Finlande qui fait aussi bien en valeur absolue avec une population 10 fois inférieure. L’amélioration de cet indicateur est notable en particulier au Danemark grâce à l’introduction d’un programme d’apprentissage pour adultes dès 1997, mais aussi par la mise en place plus récente de subventions spécifiques destinées aux adultes, employés ou non. Ces constats sont à rapprocher du rôle croissant pris par le système formel dans les développements des formations non formelles entre 2007 et 2016 où l’on voit la Finlande passer de 9 à 23 %, l’Espagne de 10 à 16 %, la Slovénie de 9 à 14 %, la Suède de 4 à 10 % tandis que le Danemark atteint 18 %. Le score très bas de la France sur cet indicateur, 1 % en 2007 et 3 % en 2016, ne semble pas refléter la part des GRETA dans les formations qualifiantes pour des raisons qui tiennent à la méthodologie de l’enquête sur l’éducation des adultes [AES] d’Eurostat ; ce que semble confirmer le fait que la France recueille, avec 38 %, un score particulièrement élevé de « autres », non classés dans la nomenclature utilisée.

Un autre indicateur réside dans la poursuite d’études des diplômés de la FPI de 20 à 34 ans dans l’enseignement supérieur (mobilité ou perméabilité verticale). Mesuré à partir de l’enquête force de travail de 2014, il met aux premières places la Slovénie (23 %), la Roumanie et la Bulgarie — qui avaient à cœur de combler rapidement les retards pris dans les développements de l’enseignement supérieur au temps de l’économie socialiste —, mais aussi les Pays-Bas (13 %). Suivent le Danemark, la Suède, le Portugal, l’Italie et l’Espagne qui se situent au niveau de la moyenne européenne. Dans ce contexte, la France ainsi que l’Autriche, l’Allemagne et la Hongrie se retrouvent au bas de l’échelle, ceci traduisant une faible mobilité (ou perméabilité) entre FPI et enseignement supérieur. C’est sans doute ce qu’on continue d’observer en France avec les difficultés des titulaires d’un bac pro à trouver des solutions dans les campagnes de « Parcours Sup ». Le rapport souligne cependant les efforts accomplis récemment en France, en Allemagne ou en Autriche pour favoriser l’accueil des diplômes de FPI dans l’enseignement supérieur, mais il rappelle que dans de nombreux pays les institutions d’enseignement supérieur accueillaient depuis longtemps des candidats issus de la FPI tels le Royaume-Uni avec ses filières d’apprentissage (advanced apprenticeship), la Norvège avec les possibilités données à des collèges universitaires d’accueillir des titulaires de certificats d’apprentissage ou même des candidats disposant seulement d’expérience professionnelle, sans qu’ils aient besoin de passer l’examen d’entrée, ou encore la Suède notamment avec la demande faite en 2011 à tous les établissements de FPI au niveau secondaire supérieur de mettre en place des modules de formation destinés à faciliter l’accès aux collèges universitaires.

La situation est tout autre avec l’inscription des diplômés de FPI (toujours de 20 à 34 ans) dans des activités de FPC, qui traduit une forme de mobilité « horizontale ». Cette fois-ci, ce sont le Danemark, la France, la Suède et le Royaume-Uni qui prennent les premières places, suivis du Luxembourg, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Finlande qui se situent également au-dessus de la moyenne européenne. Le Danemark est cité en exemple avec une série de mesures incitatives auprès des individus prises en 1999 puis en 2006, ainsi que la Suède avec le financement systématique de formations complémentaires destinées au soutien de certains secteurs de l’industrie en cas de besoin. A l’opposé et sans surprise, on trouve la quasi-totalité des nouveaux pays membres, mais aussi la Grèce et la Belgique. La position de la Belgique pourrait s’expliquer par le fait que les multiples initiatives prises récemment pour promouvoir la formation tout au long de la vie bénéficiaient surtout aux plus diplômés. Du croisement de ces deux indicateurs il résulte qu’aucun pays ne conjugue un score élevé dans les deux dimensions. Seuls le Danemark et les Pays-Bas combinent une perméabilité élevée ou moyenne dans les deux cas de figure. A l’opposé, la mobilité est très limitée à Chypre, Malte et en Hongrie ainsi que dans les trois pays baltes.

Selon les auteurs, la mise en œuvre de cadres nationaux de certification (CNC) a joué (et joue) un rôle important dans ces développements et en particulier dans la réduction des obstacles dans la progression au sein des systèmes d’éducation et de formation. Le rapprochement entre les dispositifs de formation initiale et continue, entre les formations formelles et non formelles, et les progrès en direction des apprentissages tout au long de la vie (lifelong learning). Une mesure importante a consisté à introduire dans les CNC les certifications acquises en dehors du système formel comme en Irlande, en France, en Slovénie, en Suède, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. En Allemagne, en Autriche et en Italie, les CNC couvrent les qualifications provenant de l’enseignement professionnel et de l’enseignement supérieur, mais s’enrichissent étape par étape afin de bâtir des cadres globaux. La validation des acquis de l’expérience (VAE) joue un rôle important dans ces développements par la reconnaissance et la validation des apprentissages acquis dans des contextes non formels et informels. C’est ainsi qu’en France, en Norvège, au Portugal et en Finlande les progrès de la VAE contribuent à l’essor et aux changements des systèmes de FPC en lui ouvrant de nouveaux publics.

En conclusion de l’examen de ces indicateurs le rapport esquisse un jugement d’ensemble sur les développements dans les différents pays des systèmes de formation professionnelle en direction de la formation tout au long de la vie : au premier rang figurent la Finlande, la France et la Norvège, suivies du Danemark et des Pays-Bas, puis du Luxembourg, de la Suède et du Royaume-Uni. Le rapport souligne aussi le besoin de prendre en considération la complémentarité et l’équilibre entre les mesures, notamment entre les dispositifs formels et non formels et de veiller à assurer en même temps la perméabilité horizontale et la perméabilité verticale entre les sous-systèmes.

Selon les secteurs, moins de frontières entre formation initiale et continue

Ces constats généraux masquent cependant des diversités encore plus grandes entre les secteurs d’activité. Un des intérêts du document tient justement au fait qu’il analyse plus précisément ces questions dans trois secteurs [2] : l’industrie manufacturière où les dispositifs restent bien établis faisant de plus en plus appel aux apprentissages (learning) sur le lieu de travail et notamment à l’apprentissage (apprenticeship) ; les TIC où les changements ont été radicaux dans les 20 dernières années et où les besoins en compétences ne peuvent se contenter des services fournis par les entreprises et exigent une adaptation du système éducatif dans son ensemble ; et le commerce de détail qui a subi les bouleversements du e-commerce, de la constitution de groupes de plus en plus grands et de l’internationalisation, et où on assiste à une polarisation croissante entre les managers et les personnels de la force de vente et à l’incapacité des systèmes de FPI d’apporter des réponses satisfaisantes et d’enrayer cette polarisation.

Dans l’industrie manufacturière, la FPI et la FPC conservent toutes deux des rôles essentiels dans la production et le perfectionnement des qualifications même si celui de la FPI reste prédominant ; et la séparation reste franche entre les systèmes de FPI et de FPC, comme en Norvège et au Royaume-Uni, mais aussi en Italie où la FPI est complètement intégrée au sein du système éducatif national tandis que la FPC s’appuie sur un vaste ensemble d’opérateurs de petite taille ; cependant des rapprochements s’observent, notamment dans le cadre des développements de la formation en situation de travail (Italie, Norvège).

Dans le commerce de détail, la FPI n’a pas été en mesure de répondre aux bouleversements du secteur et se voit progressivement remplacée par de la formation « sur le tas ». C’est ainsi que les qualifications des niveaux inférieurs risquent de perdre toute reconnaissance formelle au plan national et international. La FPC tente de prendre le relais, surtout par le développement des opérateurs de formation non formelle, mais ses effets sont limités par les difficultés à promouvoir la formation auprès des TPE encore très présentes (Italie). Le Royaume-Uni s’en tire mieux avec les développements de l’apprentissage, utilisé de plus en plus comme forme de FPC et qui va bénéficier de l’introduction d’une taxe spécifique auprès des employeurs.

C’est dans le domaine des TIC que les développements de l’éducation et de la formation tout au long de la vie sont les plus visibles, avec une demande croissante de certification et la formalisation progressive des nouvelles compétences développées, la mobilisation générale des systèmes d’éducation et de formation à tous les niveaux et la disparition progressive des barrières entre formation initiale et continue (Norvège), les systèmes traditionnels de FPI semblant de moins en moins adaptés et la FPC encore insuffisamment développée.

Quelques leçons

La typologie ainsi identifiée par le CEDEFOP selon l’engagement des politiques nationales d’éducation et de formation en faveur de l’éducation et de la formation tout au long de la vie (EFTLV) semble pertinente, mais elle suscite aussi quelques questions. La première réside dans le choix limité des critères ; on peut en effet se demander pourquoi ne pas avoir considéré également les taux de participation aux actions de validation des acquis non formels et informels, l’importance des systèmes d’incitation — financière ou non — aux personnes en vue de l’élaboration de leurs projets de formation, le développement et la qualité des systèmes de conseil et d’orientation, ou encore la mise en œuvre de mécanismes d’assurance qualité pour les formations non formelles. Mais plus encore, on peut s’interroger sur la hiérarchie que semble suggérer le document selon laquelle l’engagement vers l’EFTLV serait l’indicateur privilégié de la performance des systèmes d’EFP. C’est ainsi que la position de la France au sein du « peloton de tête » des pays européens en matière d’EFP semble particulièrement flatteuse pour la France. On verra dans un article à venir qu’il n’en est rien et que la typologie ne vaut pas hiérarchie.

Cette dernière remarque semble d’ailleurs être confirmée par l’examen des trois secteurs où l’on voit que, quelles que soient les politiques d’EFP, elles peinent à répondre aux changements accélérés dans les domaines du travail et de l’emploi et que dans certains secteurs, elles sont même devenues obsolètes. C’est peut-être ce qui justifie l’accent croissant porté aux compétences et en particulier aux compétences « transversales » ou aux « compétences clés » au détriment des qualifications/certifications. C’est ce qu’on constate en Finlande où avec la réforme de 2018 de la formation professionnelle, on voit que les compétences s’élargissent en même temps que le nombre de certifications diminue drastiquement. Au contraire de la situation en France où le développement des « blocs de compétences » semble s’opérer de façon désordonnée au sein d’un système de certifications en croissance constante.

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Ingénieur École Centrale promotion 1968. DEA de statistiques en 1969 et de sociologie en 1978. Une première carrière dans le secteur privé jusqu’en 1981, études urbaines au sein de l’Atelier parisien d’urbanisme, modèles d’optimisation production/vente dans la pétrochimie, études marketing, recherche DGRST sur le tourisme social en 1980.

Une deuxième carrière au sein de l’éducation nationale jusqu’en 1994 avec diverses missions sur l’enseignement technique et la formation professionnelle ; participation active à la création des baccalauréats professionnels ; chargé de mission au sein de la mission interministérielle pour l’Europe centrale et orientale (MICECO).

Une troisième carrière au sein de la Fondation européenne pour la formation à Turin ; responsable de dossiers concernant l’adhésion des nouveaux pays membres de l’Union européenne puis de la coopération avec les pays des Balkans et ceux du pourtour méditerranéen.

Diverses missions depuis 2010 sur les politiques de formation professionnelle au Laos et dans les pays du Maghreb dans le contexte des programmes d’aide de l’Union européenne, de l’UNESCO et de l’Agence Française de Développement.

Un livre Voyages dans les Balkans en 2009.

Cyclotourisme en forêt d’Othe et en montagne ; clarinette classique et jazz ; organisateur de fêtes musicales.