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Comme dans les autres pays européens, le télétravail a connu une très forte expansion (de 4 à 27 %) depuis que les mesures sanitaires ont été mises en place en Allemagne pour affronter la pandémie du coronavirus. Une enquête de la Fondation Hans-Böcler fait le point.

Selon cette enquête menée auprès de 7 677 travailleurs par la Fondation Hans-Böckler — institut de recherche des syndicats et institution de conseil auprès des comités d’entreprise —, publiée le 21 avril dernier, le taux de ceux qui travaillent la majorité du temps en télétravail est passé de 4 % à 27 %. D’après une enquête menée par l’Agence pour la sécurité et la médecine de travail, 9 % des employés effectuaient du télétravail en alternance (souvent un ou deux jours par semaine) ou en permanence en 2016 (Baua, 2017).

Ainsi beaucoup d’employés expérimentent en ce moment le télétravail pour la première fois. Plus de la moitié travaillaient dans des entreprises n’ayant pas de règles ou dispositifs en place sur ce sujet. Ce sont surtout les grandes entreprises qui ont des règles ou qui ont signé des accords. Quand de tels accords existent, la satisfaction des employés en télétravail est généralement plus élevée.

Le débat des dernières années autour du télétravail en Allemagne a mis en évidence le fait que certaines compétences de la part des travailleurs comme des managers et chefs d’équipe étaient nécessaires. Pour les salariés, il s’agit de savoir organiser son temps et son travail, donc de l’autodiscipline et de l’autonomie. Ceux qui n’ont pas ces compétences sont moins efficaces. Pour d’autres, il y a aussi une tendance à travailler plus, et donc des risques de surmenage qui peuvent peser sur la santé. Quant aux managers, ils doivent être en mesure d’adapter leur culture de communication, de définir des objectifs et la façon d’évaluer s’ils ont été atteints. Il s’agit surtout d’établir des relations de confiance.

Le plus grand frein au télétravail a été pendant de longues années la méfiance des employeurs et leur crainte de perte de contrôle. Aujourd’hui, beaucoup de travailleurs et leurs responsables se sont vus confrontés à cette nouvelle forme de travail sans y être bien préparés.

Une autre difficulté est que le télétravail est arrivé en même temps que le confinement des enfants et la « télé-école », ce qui représente une charge très lourde pour les parents. Il n’est donc pas étonnant que les travailleurs avec des enfants trouvent le télétravail très pesant, selon l’enquête de la Fondation Hans Böckler : 40 % des personnes en télétravail qui doivent garder des enfants de moins de 14 ans à la maison trouvent leur situation de travail difficile ou très difficile, alors que les personnes sans enfants à garder trouvent le télétravail facile ou très facile.

Pourtant pour les parents, le télétravail représente une possibilité de continuer à travailler, mais souvent à volume réduit. Une enquête menée par le WZB (Centre de recherche en sciences sociales à Berlin), durant la semaine du 23 mars au 5 avril auprès de 6 200 personnes en activité, montre que les parents en télétravail qui ont des enfants à la maison ont plus souvent réduit leurs heures de travail comparés à ceux qui n’en ont pas (+ 20 points de pourcentage). En revanche, les parents qui travaillent sur leur lieu de travail habituel n’ont que très peu réduit leur temps de travail. Plus généralement, ceux qui se retrouvent en télétravail à cause de la pandémie ont plus souvent réduit leurs heures de travail que ceux qui travaillent sur leur lieu de travail habituel (+ 17 points de pourcentage). Il y a de multiples raisons pour expliquer cela : une diminution de la demande de travail, des limites du type d’activités qui peut être effectué en télétravail et la garde d’enfants.

L’enquête du WZB montre aussi que les personnes âgées de 35 à 46 ans travaillent plus souvent à la maison que leurs aînés (+ 5 points de pourcentage comparé à la classe d’âge 46-55 ans et +10 points de pourcentage par rapport aux 56-65 ans). Par ailleurs ce sont majoritairement les personnes ayant un diplôme universitaire qui sont en télétravail (+20 points de pourcentage comparé à ceux sans diplôme universitaire). Ceci est lié d’une part au type d’activité et d’autre part aux compétences d’autonomie dans l’organisation du travail. Les personnes enquêtées ayant des salaires moins élevés et les indépendants ont été plus souvent obligées à ne plus travailler du tout.

Ce sont surtout des employés des grandes entreprises qui ont pu transférer leur lieu de travail de l’entreprise vers la maison. Dans les petites entreprises, lorsque la probabilité de travailler à la maison était importante avant la pandémie, le transfert de l’activité vers la maison était moins souvent faisable. Les indépendants qui travaillent à la maison pendant la pandémie le faisaient souvent déjà avant, selon l’enquête du WZB.

L’expansion du télétravail depuis le début de la pandémie a certes permis de sauvegarder une partie importante de l’activité économique et donc des emplois. Néanmoins, un « droit au télétravail », comme l’a proposé récemment le ministre du Travail Hubert Heil (SPD), est loin d’être instauré. Les employeurs restent fermes sur la question, ils rejettent depuis des années toutes les propositions de ce genre. Dans le cadre du dialogue autour du futur du travail (« Travail 4.0 »), mené par le gouvernement en 2015 et 2016 avec les partenaires sociaux, des représentants de la société civile et des chercheurs, la revendication d’un droit au télétravail (mais pas d’une obligation au télétravail) avait déjà été mise en avant.

Le syndicat allemand DGB évalue le pour et le contre du télétravail, il revendique un droit au télétravail et en même temps demande des règles pour que les heures de repos soit respectées et pour éviter qu’il y ait des abus, voire que les employés travaillent plus que les heures contractées (Frankfurter Allgemeine Zeitung, 3 mai 2020). Le positionnement est délicat entre les avantages de la flexibilisation du temps de travail et du lieu de travail d’un côté et la protection de l’employé de l’autre.

Pour en savoir plus 

– Bünning, Mareike ; Hipp, Lena ; Munnes, Stefan: Erwerbsarbeit in Zeiten von Corona, WZB, 15. April 2020

– Bundesanstalt für Arbeitsschutz und Arbeitsmedizin (BAuA): Flexible Arbeitszeitmodelle Überblick und Umsetzung, 2017

– Hans-Böckler-Stiftung: Neue Umfrage, Corona-Krise: 14 Prozent in Kurzarbeit – 40 Prozent können finanziell maximal drei Monate durchhalten – Pandemie vergrößert Ungleichheiten, 21.04.2020

– Kurt Vogler-Ludwig, Karin Behring, Nicola Düll, Angela Franke, Herbert Hofmann, Klaus Kiemer, Wolfgang Meyerle, Jörg Schneider (2000), Teleworking in der postindustriellen Gesellschaft  (Teleworking in the Postindustrial Society); Wüstenrotstiftung (Hrsg.), Verlag W. Kohlhammer, Stuttgart

« Hubertus heil gesetz coronavirus pandemis », Zeit, 26/04/2020

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Économiste du travail, Associée Economix Research & Consulting, Munich