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Des sondages récents montreraient que les salariés ont plutôt trouvé les syndicats « utiles » dans cette période mouvementée pour le travail et l’emploi. Avec Travail Et ambition sociale, Plaidoyer pour une refondation du syndicalisme, Paul Santelmann livre une critique à grandes enjambées des travers du syndicalisme « à la française ».

En 12 chapitres concis, l’auteur chevauche les périodes historiques, mêle les sources et les travaux. Peut-être parce que les « travers » qui sont dénoncés ne datent pas d’aujourd’hui et trouvent leur origine dans une histoire qu’il a bien connue.

Un syndicalisme de secteur public « protégé »

La division syndicale, et même l’extrême division « n’a plus que des justifications historiques douteuses qui échappent à l’entendement des salariés », lesquels n’ont « aucun moyen de pénaliser cet émiettement ». Aux sources de cet éclatement, la naissance des syndicats dans le cadre d’une tradition « révolutionnaire » qui a laissé d’autant plus de traces que le syndicalisme français s’est essentiellement développé dans les fonctions publiques et les grandes entreprises (historiquement « nationales » même si ce n’est plus le cas aujourd’hui).

C’est l’un des « nœuds » centraux du livre de Paul Santelmann : la domination en France du « syndicalisme de secteur public », protégé, financé et corporatisé a marqué durablement les structures et méthodes de défense des salariés. Il montre comment au fil du temps les principaux responsables syndicaux, les « cadres » des mouvements, sont issus du public ou des grandes entreprises publiques, et donc peu enclins à prendre en compte les considérations économiques et les transformations mondiales. Et peu enclins à rechercher des compromis avec les chefs d’entreprise ou leurs représentants.

Se déployant dans cette logique de secteur public, les syndicats français ont avant tout recherché le dialogue avec l’État, source d’une centralisation de la discussion, et ont déployé une technicité de type corporatiste centrée sur les catégories et strates de la fonction publique, lesquelles sont fort nombreuses et subtiles comme on le sait. Nombre de responsables syndicaux ont ainsi une culture économique « a-économique » et une culture de gestion des ressources humaines assimilée à la gestion des « avancements », grades et indices du public.

L’auteur intègre dans son argumentation la forte connivence entre hauts fonctionnaires et responsables syndicaux, dénotée par exemple par la présence de nombreux syndicalistes après l’arrivée au pouvoir de la gauche en 1981. Il n’est pas certain que cet épisode soit à mettre à ce compte-là : d’ailleurs les directeurs de cabinet et hauts fonctionnaires étaient plutôt membres de la CFDT qui est (et reste) après tout le syndicat le plus présent dans le secteur marchand.

Un syndicalisme appuyé sur l’État

La négociation entre partenaires sociaux a longtemps vécu sous l’aile paternaliste et parfois dirigiste de l’État, et l’on voit encore aujourd’hui le gouvernement « dicter » aux partenaires ce qu’ils doivent négocier et reprendre la main s’ils ne s’exécutent pas. Les conventions collectives doivent être toujours être « étendues » par le ministère du Travail pour prendre effet. L’absence d’autonomie de la négociation sociale ajoutée à la culture « anti-économique » de la fonction publique boucle la boucle et produit ce que l’auteur nomme « une stérilisation croisée ».

La critique des « syndicats piégés » dans les institutions est un classique des travaux sur le mouvement social depuis bien longtemps : la participation à quantité de « commissions », « comités », « conseils d’administration d’agences publiques » ou de grandes associations, le tout au niveau européen, national, régional, local ou très local multiplie certes les occasions de bien s’informer, de développer des compétences, voire une grande technicité pour certains, mais éloigne les syndicalistes des situations concrètes de travail qu’ils ne connaissent plus. Et donc des salariés. Le domaine de la formation professionnelle, même rebaptisée « formation tout au long de la vie », domaine que connait très bien Paul Santelmann, en est un bon exemple et la récente Loi « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel » qui se voulait une loi de simplification ne semble guère remplir son objectif.

Des idées pour la suite ?

À considérer le nombre de pages consacrées à la critique et celui dédié aux propositions, il semblerait que la « refondation » soit encore lointaine… C’est que Paul Santelmann propose davantage des concepts que des réformes.

Se rapprocher du travail (et des salariés) : voilà bien une idée que Metis développe dans de nombreux articles. Le travail n’est pas « une corvée » ! (un tacle pour l’expression de Martinez « les premiers de corvée ») et comme le souligne Christine Erhel (Metis, entretien avec Jean-Louis Dayan le 10 mai 2021) : « le problème, c’est que le statut social de ces emplois (les emplois de “deuxième ligne”) interdit aux salariés eux-mêmes d’en percevoir le contenu ». Et l’utilité pour tous !

Peut-on alors conserver le raisonnement selon lequel « l’emploi public relève de l’intérêt général et du financement par l’impôt, tandis que l’emploi marchand relève de l’économie et obéit aux lois de la concurrence ? ». Alors que les « deuxième ligne » sont pour l’essentiel dans le privé, mais ont des activités d’intérêt social et sociétal, tout en étant privés du tacite contrat du secteur public  (« je suis mal payé, mais je suis fonctionnaire »).

En se rapprochant du travail, ne faudrait-il pas mettre plus d’énergie et d’intelligence dans les descriptions et formalisations des activités en vue de leur « certification » et de leur reconnaissance : justement ce que Philippe Denimal recommande vivement (« Une juste valorisation des emplois », Metis, avril 2021)

Se confronter aux réalités du travail d’aujourd’hui (télétravail, travail à distance, portage salarial, travail indépendant…), mais ne pas se contenter du modèle « du professionnel compétent, mais isolé », car on travaille toujours en fonction des autres.

On voit que les idées évoquées regardent du côté d’Yves Clot, d’Alain Supiot, de Bruno Trentin jusqu’aux mots de la fin du livre « considérer ce que l’on fabrique et comment on le fabrique ». Et là c’est une autre paire de manches !

Paul Santelmann, Travail et ambition sociale, Plaidoyer pour une refondation du syndicalisme, Editions l’autreface, 2021

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.