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Une réforme de l’enseignement professionnel est en préparation. Afin de mieux situer la France par rapport à d’autres pays en Europe et sans aborder l’ensemble des thèmes d’une récente recherche du CEDEFOP, cet article de Jean-Raymond Masson reprend ceux qui semblent les plus pertinents. Il s’agit de s’intéresser aux relations de l’enseignement professionnel avec l’enseignement général, l’enseignement supérieur, la formation des adultes et le marché du travail, à la mise en œuvre d’actions de formation en situation de travail, au développement d’approches individuelles, et à l’autonomie des établissements.

Les indicateurs cités sont extraits des rapports du CEDEFOP : « On the way to 2020 : data for vocational education and training (VET) policies. Indicator overviews. 2019 update » (publié en 2020), et les deux premiers volumes de la recherche engagée en 2022 sur le devenir de la formation et de l’enseignement professionnels en Europe, celui consacré aux questions concernant les qualifications et les compétences : « The changing content and profile of VET; epistemological challenges and opportunities » et celui traitant des questions institutionnelles sous le titre « Delivering VET ; institutional diversification and/or expansion ? » (1).

Les enjeux et les grands objectifs 

Depuis les années 1990, les systèmes d’enseignement et de formation professionnelle (EFP) européens ont été affectés par les changements dans l’ordre économique et social, en particulier la mondialisation des échanges, la digitalisation et la transition écologique, et plus récemment par la pandémie et les efforts de réindustrialisation. Tous ces facteurs ont conduit à des changements considérables dans les besoins de qualifications et dans les réponses apportées par les systèmes d’éducation et de formation au sein desquels une attention accrue s’est portée sur l’EFP, alors même que ce dernier continue à souffrir d’un discrédit vis-à-vis des filières d’enseignement général.

Les systèmes d’enseignement professionnel restent caractérisés par la poursuite de deux objectifs majeurs, répondre aux besoins du marché du travail en adaptant régulièrement les programmes et en attirant suffisamment d’élèves au niveau secondaire supérieur. Le premier objectif s’est traduit principalement par l’adoption des approches par compétences et de la définition des référentiels de certification en termes de résultats d’apprentissage (« learning outcomes »). Les référentiels restent définis au plan national et l’influence des partenaires sociaux reste déterminante. En même temps, une autonomie accrue a souvent été donnée aux établissements tandis qu’on procédait à leur regroupement dans des entités plus puissantes offrant des prestations spécifiques à des publics diversifiés où la frontière s’estompait entre formation initiale et formation continue.

Le second objectif est toujours un défi dans la plupart des pays en raison de la préférence des jeunes pour les enseignements généraux. Les changements intervenus en matière économique et sociale et notamment l’élévation des niveaux de qualification ont constitué des opportunités. Trois voies ont été privilégiées susceptibles de revaloriser l’enseignement professionnel et de provoquer une motivation accrue des élèves : la poursuite d’études dans l’enseignement supérieur, le développement de la formation en situation de travail notamment dans le cadre de l’apprentissage ainsi que la recherche d’une réduction parfois drastique du nombre des programmes et des certifications proposées permettant d’assurer une meilleure visibilité du système.

Quelques questions clés

Les développements de la formation en situation de travail au sein de l’enseignement secondaire professionnel (ESP)

Un développement accru de la formation en situation de travail s’observe dans tous les pays, mais selon des dispositifs variés, allant de l’intégration au sein du processus de formation (sans qu’on puisse la référer à une phase particulière comme en Allemagne) à une division des rôles entre l’établissement de formation et les lieux, entreprise, atelier ou laboratoire dédié au sein de l’établissement. Ces avancées ont été plus difficiles dans certains pays qui n’avaient pas cette tradition (Norvège, Angleterre, et aussi la Suède [Voir « Suède : la longue marche vers l’apprentissage » Metis, décembre 2018].) En règle générale, on observe une augmentation du temps consacré à la FEST au détriment du temps passé en classe, par exemple en Italie, où la situation de travail n’est plus le lieu de mise en pratique de leçons apprises en classe, mais plutôt celui du développement de compétences spécifiques.

Selon une enquête spécifique conduite auprès de chefs d’établissement et d’enseignants dans dix pays (2), la France se situe dans la moyenne de ceux où la place des apprentissages en situation de travail a augmenté depuis 2010, mais derrière la Finlande, les Pays-Bas, la Roumanie et l’Italie. Quant à l’appui dans les enseignements sur des cas concrets liés à des processus de travail, la France se trouve également dans la moyenne, loin derrière les Pays-Bas, l’Autriche ou l’Italie. En revanche elle se positionne dans le peloton de tête des pays où la prise en compte des besoins des entreprises a le plus augmenté (sans doute en lien avec la montée de l’apprentissage), à un niveau comparable à ceux de la Slovénie, de la Finlande, des Pays-Bas ou de l’Italie. Enfin, elle est plutôt en dessous de la moyenne des pays où le rôle de la classe (la salle de classe) a diminué, nettement distancée par la Finlande, les Pays-Bas, l’Italie et la Slovénie, tout en étant, comme la Finlande un des seuls pays où l’importance de l’enseignement général a décru depuis dix ans (peut-être en raison de la réduction de 4 à 3 ans de la formation au bac pro).

En Autriche la répartition entre les environnements de formation varie selon les qualifications et leur niveau, et elle diffère substantiellement entre les parcours des apprentis (majoritaires) et ceux des « scolaires ». Dans le premier cas (majoritaire), la FEST occupe plus de 80 % du temps (75 % dans le système dual allemand) et s’organise quasi exclusivement en entreprise ; dans le second, la FEST occupe entre 30 et 40 % dont les trois quarts se déroulent dans les lycées (dans le cas de l’ingénierie mécanique, pour les formations de niveau intermédiaire en lycée, 33 % du temps est consacré aux sujets généraux, 25 % aux aspects théoriques liés au domaine, 31 % aux apprentissages pratiques au sein du lycée et 11 % en entreprise).

À l’inverse, avec la loi de 1996 sur l’enseignement professionnel, les Pays-Bas ont procédé à l’unification d’un système où cohabitaient la filière « scolaire » (school-based) et l’apprentissage. Ces parcours « intégrés » et de plus en plus individualisés sont maintenant mis en œuvre dans un nombre restreint de grands centres régionaux de formation (ROCs) disposant d’une large autonomie et combinant formation des jeunes et des adultes. Une place prépondérante y est donnée aux compétences générales et transversales et la FEST s’y développe selon des formats hybrides entre l’établissement et l’entreprise.

En Finlande, une série de réformes se sont succédé depuis les années 1990 : la réforme de l’apprentissage en 1993 suivie de son intégration en 1998 au sein du système de formation professionnelle (initial et continue), l’adoption de certifications basées sur les compétences en 1994, l’allongement à trois ans de la durée de l’enseignement secondaire professionnel (ESP) s’appuyant sur au moins 20 semaines par an en situation de travail en 2000. Les réformes n’ont cessé de chercher à maintenir des passerelles entre enseignement général et professionnel, notamment par la possibilité pour les élèves de viser la double certification en fin d’enseignement secondaire. La réforme de 2017 a assuré l’intégration entre les systèmes de formation professionnelle initiale et continue (FPI et FPC), favorisant l’individualisation et la flexibilité des parcours, ainsi que la validation des acquis de l’expérience ; elle facilite ainsi la mise en œuvre de la FEST, parallèlement à la formation en entreprise sous statut d’apprenti. Depuis les années 2010, ces actions se sont enrichies de dispositifs sophistiqués de formation à distance (voir « En Finlande, une approche bienveillante de l’apprentissage professionnel » Metis, décembre 2022).

En Norvège une grande réforme a été engagée en 1994 afin de revoir la structure et les contenus de l’ESP et de faciliter la transition vers le marché du travail ou vers l’enseignement supérieur. Dans ce cadre, l’apprentissage a été pleinement intégré au sein de l’ESP sous la forme d’une formation de 4 années (parallèle à la filière générale qui elle ne dure que 3 ans) les deux premières organisées dans l’établissement et les deux dernières en entreprise. Le système a été assoupli et autorise aujourd’hui selon les cas une organisation en 3 (en entreprise) + 1 (dans l’établissement) ou 1 + 3.

En Angleterre on note la mise en place en 2020 de programmes de deux ans nommés « T-levels » créés à la demande des employeurs pour des besoins spécifiques et qui supposent un placement en entreprise d’au moins 45 jours.

L’importance croissante des compétences générales et transversales

Il est difficile de séparer les compétences générales et transversales tellement elles sont imbriquées dans des définitions et des dispositifs variables. En revanche il est clair que leur importance conjointe s’est accrue dans la plupart des pays. Ainsi on observe le renforcement de la composante d’enseignement général au sein des programmes de formation, soit dans le cadre d’enseignements distincts, soit de leur intégration au sein des curricula professionnels. Cependant, l’accent mis sur les compétences générales ne s’exerce pas au détriment des apprentissages en situation de travail ; il se développe dans le contexte d’approches pédagogiques de plus en plus individualisées et flexibles et d’une combinaison de contextes d’apprentissage sur le lieu du travail ou au sein de l’établissement de formation et où il importe d’assurer une collaboration efficace entre formateurs et tuteurs.

De même les compétences transversales se retrouvent au sein des référentiels de certification et des programmes dans la majorité des pays. Là encore, ce mouvement donne lieu à une grande variété de dispositions, ces compétences figurant comme des éléments distincts, le plus souvent au sein des enseignements généraux, mais aussi moins souvent au sein des contenus professionnels, ou encore résultants d’approches pédagogiques diverses comme l’exemple en est donné en Allemagne avec le programme cadre du système dual où on ne trouve aucune décomposition des apprentissages entre général et professionnel, ainsi qu’entre théorique et pratique. En règle générale, de même que pour les compétences générales (maths et langues) l’accent mis sur les compétences transversales (résolution de problèmes, travail en équipe, communication) accompagne la démarche visant à éviter une spécialisation trop précoce et la création de formations cul-de-sac, mais aussi à promouvoir la formation tout au long de la vie et la poursuite d’études. Cependant les définitions et les frontières sont mouvantes.

En Finlande les compétences transversales sont intégrées aux compétences générales au sein des « études communes » qui couvrent au sein de chaque programme 1) la communication et l’interaction, 2) les maths et les sciences naturelles, et 3) les compétences sociétales et de la vie de travail. Aux Pays-Bas où l’enseignement professionnel vise à la fois, la formation au marché du travail, la préparation à la formation tout au long de la vie et la formation du citoyen, la certification prend en compte trois aspects distincts : 1) les qualités clefs : complexité, responsabilité et autonomie, savoir et compétences techniques, 2) les process de travail : description, résultat, comportement et 3) les aspects transversaux, langue hollandaise, maths, carrière et citoyenneté. Les langues, les maths et les compétences digitales relèvent d’examens nationaux, tandis que les autres aspects sont évalués et sanctionnés au niveau des établissements de formation. En Autriche, les « curricula » font clairement référence aux compétences transversales, mais avec d’importantes variations selon les domaines et les niveaux.

Le renforcement des liens avec l’enseignement supérieur

Liée à la demande croissante de qualifications de niveau supérieur, la possibilité de poursuivre des études dans l’enseignement supérieur a été un des arguments utilisés dans la plupart des pays pour inciter les jeunes à choisir la voie professionnelle au moment de l’entrée au lycée. Cet objectif a conduit au renforcement des liens avec l’enseignement supérieur notamment en favorisant l’accès des sortants de l’ESP aux filières universitaires. Ces réformes ont entrainé l’enrichissement des programmes (au niveau secondaire) par des modules spécifiques, l’allongement des études, ou le développement de parcours à double finalité.

Plusieurs approches ont facilité la poursuite d’études des diplômés de l’ESP, telles que l’expansion des systèmes d’apprentissage au niveau supérieur comme en Allemagne avec le développement des « études duales » jusqu’aux niveaux 6 (bachelor) et 7 (maitrise) du CEC (cadre européen des certifications) dans les années 1990. Aux Pays-Bas, un programme de formation professionnelle de deux ans a été introduit puis généralisé en 2013 au sein des universités de sciences appliquées (UAS) en coopération avec les ROCs ; destiné aux diplômés de l’ESP, il leur permet à l’issue des deux ans d’accéder au niveau « bachelor » (niveau 5 du CEC) en deux ans au lieu de quatre ; en 2021 on comptait 316 programmes de ce type qui accueillaient près de 20 000 étudiants. En Finlande, l’accès aux sortants de l’ESP aux universités de sciences appliquées a été ouvert au début des années 2000 puis facilité ultérieurement avec l’objectif de constituer la voie privilégiée de leur accès à l’enseignement supérieur. En Norvège, créés en 1960, des « collèges professionnels » permettent aux diplômés de l’ESP (ou après validation des acquis de l’expérience) de poursuivre leurs études et d’améliorer leur qualification.

En 2018 au sein de l’Union européenne, 68 % des élèves de l’ESP avaient accès à l’enseignement supérieur. En tête de liste, la Finlande avec 100 %, où tous les programmes proposés dans les lycées autorisent l’accès à l’enseignement supérieur une fois validés, ce qui n’est pas le cas dans la grande majorité des pays où coexistent plusieurs filières aux vocations différentes. Les pays dotés d’un système dual se retrouvaient dans le haut du tableau, l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse à plus de 90 %, le Danemark avec près de 80 % ; l’Italie également était à 90 %. À l’autre extrême, on trouvait les Pays-Bas et le Royaume-Uni avec 50 % et même la Belgique avec 20 %. Avec un taux de 63 %, la France se positionne entre ces deux extrêmes. Bien évidemment, ces données ne disent rien sur l’accès réel des étudiants de l’ESP à l’enseignement supérieur. Nous verrons plus loin que l’Allemagne se situe au bas de l’échelle selon ce critère, alors que la France et le Royaume-Uni sont au plus haut, ce qui traduit surtout une bien meilleure insertion dans l’emploi des sortants du système dual. En revanche, ces données signifient les limites à la poursuite d’études des sortants de l’ESP dans des pays comme la Belgique, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni.

Quelques aspects institutionnels et des tendances parfois opposées

 En raison notamment de la place grandissante prise par les compétences générales et transversales au sein de l’ESP ainsi que des mesures prises pour faciliter l’accès des sortants de l’ESP à l’enseignement supérieur, les frontières se sont quelque peu brouillées entre enseignement général et enseignement professionnel. Néanmoins, les deux systèmes restent deux entités distinctes et leurs relations n’ont pas fondamentalement changé depuis 25 ans, même si dans certains pays les deux voies coexistent dans les mêmes établissements, et si l’on voit des initiatives permettant à des élèves d’emprunter des parcours mixtes combinant les deux (Norvège, Finlande où la double certification est possible, Autriche où il en va de même au prix d’une année supplémentaire). Les objectifs restent spécifiques, l’enseignement professionnel débouche sur l’obtention de compétences professionnelles. L’enseignement général et l’ESP relèvent de lois distinctes.

Les rapprochements entre FPI et FPC sont beaucoup plus conséquents. Il arrive que la même loi gouverne les développements de l’ESP (y compris de l’apprentissage), et de la formation des adultes (Finlande). Dans la plupart des pays, l’ESP joue un rôle important dans les développements de la FPC et ses établissements accueillent une large proportion de jeunes adultes de 20-24 ans et parfois au-delà (plus 60 % au Danemark et en Finlande). Cependant les Pays-Bas ont pris en 2015 l’initiative de dissocier formation professionnelle initiale et continue en donnant aux municipalités la possibilité de développer cette dernière et en ouvrant ainsi un marché concurrentiel, notamment en ce qui concerne la promotion des compétences de base.

Ces changements ont souvent été assurés en même temps qu’une réduction substantielle du nombre d’établissements, le plus souvent par fusion de petites structures. En Finlande il est passé de 221 à 82 entre 2000 et 2020 tandis que les effectifs d’élèves augmentaient de 136 000 à 208 000. Aux Pays-Bas, la réduction a été drastique passant de plus de 300 en 1990 à environ 80 dès le début des années 2000 en même temps que le nombre d’élèves passait de 200 000 à près de 300 000 (500 000 aujourd’hui) ; mais la tendance s’est renversée depuis avec la création de centres de formation par les municipalités. En Angleterre, il a diminué nettement depuis 2010 en raison notamment de substantielles réductions du financement public. Corrélativement, ces établissements de taille plus conséquente ont reçu une autonomie croissante dans la mise en œuvre des programmes même si les curricula restent définis au plan national, ainsi que dans l’élaboration de certains modules bâtis en fonction des besoins spécifiques locaux/régionaux. Ceci a permis d’introduire des évaluations individualisées et des programmes de formation à la carte (Pays-Bas, Finlande où il est possible de s’engager dans un parcours d’apprentissage à n’importe quel moment dans l’année) y compris des programmes limités à certains modules, en fonction des besoins. Dans ces pays, le défi est d’assurer une bonne combinaison entre l’autonomie, le suivi et l’évaluation, aux plans national et/ou régional afin d’assurer l’efficacité de l’ensemble.

L’individualisation et la flexibilisation des programmes et des parcours se sont également appuyées sur une autre tendance observée dans une majorité de pays, celle de la réduction du nombre des certifications en même temps que de l’élargissement des profils de compétences et de qualifications ; ces changements ont été permis grâce à l’identification croissante de modules communs au sein de programmes visant des certifications distinctes et à leur regroupement dans des familles ou des champs (Lernfelder en Allemagne), sous les effets de stratégies délibérées au niveau national et des dynamiques du marché du travail. Dans 10 pays (dont le Danemark, l’Autriche, la Finlande, la Norvège et les Pays-Bas) on observe ces phénomènes accompagnés le plus souvent du développement de la reconnaissance ou de la validation des acquis de l’expérience. À noter que 6 pays exhibent une augmentation du nombre de certifications, en particulier l’Angleterre, la Pologne et l’Italie, tandis que leur nombre est resté stable selon les auteurs dans 5 pays, dont l’Allemagne et la France. Ainsi on est passé de 348 à 324 entre 2010 et 2019 en Allemagne tandis qu’en Finlande, dans la même période, le nombre de certifications était passé de 351 à 44 certifications au niveau 4 du cadre européen des certifications (CEC) possiblement prolongées par 64 certifications destinées aux publics adultes disposant d’une expérience professionnelle (au même niveau 4 et par 55 certifications plus spécialisées au niveau 5). Aux Pays-Bas la réduction était de 675 en 2012 à 473 en 2021.

Quant au rôle des partenaires sociaux dans ces changements et dans les nouvelles configurations, il est resté majeur sauf aux Pays-Bas où l’autonomie renforcée des grands centres régionaux de formation s’est accompagnée d’un amoindrissement de leur influence. Il s’est également quelque peu transformé en Angleterre avec l’importance prise par les employeurs notamment avec les développements des T-levels.

Les performances du système français d’enseignement secondaire professionnel

Tel qu’on pouvait l’évaluer en 2017 (sur la base de données datant pour la plupart de 2015) en comparaison avec les pays européens (« Formation professionnelle : les performances françaises par rapport aux pays d’Europe», Metis, mars 2017) l’enseignement professionnel français montrait quelques faiblesses. Bénéficiant d’un financement public en dessous de la moyenne européenne, notamment vis-à-vis de la Suède, des Pays-Bas, de l’Autriche et de l’Allemagne, il scolarisait 43 % de l’ensemble des élèves des lycées, un ratio légèrement inférieur à la moyenne européenne, voisin de ceux observés en Suède, au Danemark ou au Royaume-Uni, mais nettement inférieur à ceux constatés aux Pays-Bas, en Autriche et en Italie. La part de la formation assurée en entreprise se situait très en dessous des scores atteints en Autriche, au Royaume-Uni, et surtout en Allemagne et au Danemark. Particulièrement préoccupant, le taux d’emploi des sortants de la formation professionnelle initiale (FPI) se révélait inférieur au résultat atteint pour les sortants de l’enseignement général, alors qu’il leur était supérieur dans la grande majorité des pays et même très supérieur en Allemagne, au Danemark, en Autriche ou aux Pays-Bas. On observait le même écart vis-à-vis de ces pays en ce qui concerne la proportion de NEETS parmi les 18-24 ans ou encore le taux d’emploi des 20-34 ans.

Trois ans plus tard, on note quelques changements significatifs (“On the way to 2020 : data for vocational education and training policies, indicator overviews 2019 update”   CEDEFOP 2020). Par rapport aux données de 2015, le financement public consacré à la FPI est resté stable en France et en Allemagne tandis qu’il a augmenté légèrement aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Norvège, et diminué en Suède et en Finlande (où il reste cependant en tête de tous les pays). La part des lycéens en formation professionnelle initiale (FPI) s’est maintenue ou a légèrement diminué en France (de 3 % entre 2005 et 2019), en Allemagne, en Autriche ou aux Pays-Bas, tandis qu’elle a diminué plus notablement au Danemark (où l’on constate l’échec de la politique de revalorisation de l’enseignement professionnel engagée en 2014) et surtout en Suède, et qu’elle a augmenté sensiblement au Royaume-Uni (sans doute du fait de l’introduction des T-Levels). En Finlande elle a baissé de 42 % à 40 % entre 2016 et 2019 après avoir augmenté de 5 % entre 2005 et 2016). En ce qui concerne la part de la FPI assurée en entreprise, l’écart reste conséquent entre la France (24 %), et ses voisins allemands (87 %), danois (100 %), autrichiens (47 %) et britanniques (49 %) ; à noter que cette formation « en situation de travail » ou en apprentissage s’est fortement accrue en Norvège (de 33 à 67 %).

Les données sur l’emploi des sortants de la FPI parmi les 20-34 ans montrent dans cette période une dynamique positive dans toute l’Europe. L’amélioration est particulièrement marquée en Europe centrale et orientale, mais aussi aux Pays-Bas de 84 % en 2015 à 88 % en 2018, en Finlande de 76 à 80 %, en Espagne de 70 à 76 %. La France n’est pas en reste qui passe de 70,5 à 74 %, mais reste au 26e rang (sur 28) suivie de l’Italie et de la Grèce. Cependant, un changement notable concerne l’écart entre les taux d’emploi des sortants de la FPI et ceux des sortants des filières générales au niveau de la fin d’études secondaires. La France se distingue avec un écart devenu positif, signe d’un taux d’emploi sensiblement amélioré pour les sortants de la filière professionnelle tandis qu’il aurait stagné pour les filières générales. Avec 5,7 %, ce « bonus » se situe à un niveau légèrement inférieur à la moyenne européenne (6,6 %) et comparable à celui de la Finlande ; mais il reste nettement inférieur à ceux atteints au Danemark, en Norvège, en Belgique ou en Suisse, et surtout en Allemagne où il a même augmenté et atteint 23 %. À noter les augmentations considérables de ce bonus observées en Italie, en Espagne, en Belgique, en Croatie, en Lituanie et en Slovénie, tandis qu’il diminuait sensiblement aux Pays-Bas et en République tchèque, qu’il devenait négatif en Estonie et même restait négatif au Royaume-Uni.

Quant à la part des diplômés du supérieur dans l’emploi parmi les 15-64 ans, avec 30 % et moins, l’Allemagne et l’Italie sont au bas de l’échelle, à l’opposé de la Belgique, de la Finlande, de la France et du Royaume-Uni où ce taux atteint 45 % et plus, le Danemark et les Pays-Bas se situant entre ces deux extrêmes. À rapprocher des données sur la « surqualification » des diplômés du supérieur en relation avec l’emploi occupé tel qu’elles apparaissaient dans « L’index européen des compétences » (CEDEFOP 2018) et où les meilleurs scores étaient atteints par l’Allemagne, les Pays-Bas ou la Finlande tandis qu’ils étaient nettement moins bons en France ou au Royaume-Uni.

En 1995, on comptait au sein de l’Union européenne 20 % des 25-34 ans qualifiés au niveau de l’enseignement supérieur tandis qu’ils étaient 42 % en 2019. En même temps les marchés de l’emploi sont de plus en plus confrontés à des pénuries de main-d’œuvre qualifiée ainsi qu’à des phénomènes de surqualification.

Quant aux NEETS, la situation s’est sensiblement améliorée au sein de l’Europe, leur taux parmi les 18-24 ans passant de 15,8 à 13,7 %. Cette baisse s’observe en France, mais à un niveau moindre, de 16,3 % à 15,2 %, tandis qu’elle atteint trois points en Finlande (de 14,6 à 11,6 %) en Italie (de 28 à 25 %), en Espagne (de 20 à 16 %) et près de quatre points dans la quasi-totalité des pays ayant accédé à l’Union européenne depuis l’an 2000.

C’est ainsi que même si on constate quelques améliorations dans les performances de la FPI française par rapport à ses voisins européens, les résultats restent modestes en regard de pays tels que l’Allemagne, la Finlande, le Danemark, les Pays-Bas ou l’Autriche. Mais il y a sans doute d’autres aspects à prendre en compte pour apprécier la singularité du système français, tels que les âges d’entrée dans les lycées professionnels et la durée des études.

Les âges d’entrée et les durées de formation 

En France, les élèves accèdent à l’ESP à 16 ans, en 10e année d’école après 9 ans de formation en primaire et au collège, dans des formations de 2 ans pour le CAP (CEC 3) ou 3 ans pour le bac pro (CEC 4) en situation scolaire ou en apprentissage ; cette durée de 3 ans est identique à celle des lycéens des filières générale et technologique.

L’accès à l’ESP à la fin du premier cycle de l’enseignement secondaire est aussi la règle à 16 ans en Norvège (11e année d’école) et en Pologne (9e année), ou à 15 ans en Italie (9e année) et à 17 ans en Finlande (10e année). Il est plus diversifié en Allemagne ou en Autriche où l’on rentre dans le système dual à 15 ans (9e année), ou bien à 16 ans (10e année) dans l’ESP en mode scolaire. Aux Pays-Bas l’entrée s’effectue à 17 ans (13e année), précédée pour une partie des élèves par un enseignement pré-professionnel de 4 ans qui démarre à 13 ans (9e année). Une situation analogue prévaut au Royaume-Uni où l’enseignement professionnel (scolaire ou en apprentissage) démarre à 15 ans (10e année) ou à 17 ans (12e année) selon les cas.

La durée des formations débouchant sur le niveau 4 du CEC diffère également selon les pays et peut être plus longue que celle qui prévaut pour la filière générale. C’est ainsi qu’elle lui est supérieure d’un an aux Pays-Bas, en Norvège ou en Pologne, et aussi en Autriche pour les programmes qui conduisent à la double certification.

Un plaidoyer pour une réforme d’ensemble

À l’issue de ce parcours dans les changements en cours et les réformes des systèmes d’enseignement professionnel en Europe, il apparaît que tout en étant partie prenante de ces transformations, le système français a pris quelques retards sur les pays les plus avancés. On le voit en particulier avec le débat en cours en France sur l’allongement de la durée des périodes en entreprise et les risques qu’il s’opère au détriment d’enseignements généraux dont le maintien et même le renforcement sont jugés indispensables à la fois pour répondre à l’élévation des besoins de qualifications et à la demande des individus. On a vu une traduction de cette crainte dans la moindre baisse du temps passé en classe dans les 20 dernières années en France par rapport aux tendances européennes. Mais l’analyse a montré que cette crainte était infondée, à la condition de bien concevoir et d’organiser la conjugaison des rôles entre la salle de classe, les ateliers des lycées professionnels et l’entreprise. Dans cette perspective, n’y a-t-il pas lieu de s’interroger sur la pédagogie comme on le fait au sein de l’académie de Bordeaux à la lumière des approches inductives à l’œuvre en Finlande dans des situations de travail ? (Voir « En Finlande, une approche bienveillante de l’apprentissage professionnel», Metis, décembre 2022)

L’examen du système finnois est également éclairant à propos du besoin d’ateliers bien équipés, mais aussi des possibilités offertes par une utilisation intelligente et néanmoins intensive des outils de travail à distance. Ce qui renvoie au retard ou plutôt au déficit identifié ci-dessus pour la France en ce qui concerne les dotations publiques pour l’ESP.

Globalement, la durée des périodes en entreprise est généralement sensiblement plus courte en France que chez les pays les plus avancés, et ceci d’autant plus que la durée en nombre d’années des formations est le plus souvent plus courte. Par rapport aux pays où les performances de l’ESP sont les meilleures (Allemagne, Autriche, Finlande, Danemark et Pays-Bas), les élèves français y accèdent plus jeunes (17 ans en Finlande et aux Pays-Bas contre 16 ans en France) pour une durée de formation plus courte (4 ans aux Pays-Bas et en Autriche) parfois faisant suite à une formation préprofessionnelle (Pays-Bas, Danemark, Autriche). Tout ceci contribue sans doute à expliquer les performances insatisfaisantes en matière d’accès à l’emploi pour les titulaires d’un bac pro notamment quand on les compare à celles des sortants des filières générales. Une des causes principales en est sans doute la décision prise en 2009 de réduire de 4 à 3 ans la durée de la formation au bac pro. On en voit les effets à la lecture des statistiques d’insertion établies par le CEREQ dans ses « Enquêtes Génération ». Où y constate que le différentiel entre le taux d’emploi 5 ans après la fin des études, en comparaison avec celui concernant le bac général, était en 1992 de 8 points en faveur du bac techno, de 14 pour le bac pro et de 22 pour le bac pro industriel, il était encore en 2010 de 6 pour le bac techno, de 16 pour le bac pro et de 20 pour le bac pro industriel ; mais selon les derniers résultats qui viennent de paraître concernant l’enquête Génération 2017, bien que les résultats agglomèrent les bac pro et les bac techno, et qu’ils concernent la situation 3 ans après la sortie, le différentiel a sensiblement diminué, n’atteignant plus que 12 points pour les diplômes industriels et 8 pour ceux du tertiaire. Si l’on veut prendre sérieusement en compte la montée des niveaux de qualification qu’expriment les besoins de l’économie, répondre à la demande des individus et revaloriser l’enseignement professionnel, ne faudrait-il pas corriger l’erreur de 2009 et revenir au bac pro en 4 ans ? 

C’est dans ce contexte que les développements de l’apprentissage suite à la loi de 2018 sont venus bousculer le système. Ils ont cependant été bien accueillis au sein de l’éducation nationale, dans les lycées professionnels et les filières technologiques des lycées qui se sont mobilisés à cette fin. Le succès a été considérable auprès des élèves qui ont manifesté une préférence pour l’apprentissage par rapport à la filière scolaire, au point que des responsables du MEN ont exprimé la crainte de vider les LP. Ce faisant ils ont aussi permis d’améliorer l’attractivité de l’enseignement professionnel (voir sur ces sujets « L’éducation nationale face au boom de l’apprentissage » Metis, avril 2022). Cependant les établissements de l’éducation nationale n’ont accueilli jusqu’alors qu’une faible part des candidats à l’apprentissage, 56 000 à fin décembre 2021, environ 11 % des apprentis de niveau CAP, bac pro et BTS. Dans ce schéma de développement concurrentiel, la grande majorité des apprentis a rejoint des CFA d’entreprises et des entreprises de formation ad hoc qui semblent surtout avoir cherché à répondre à des besoins à court terme, suivant un schéma analogue aux développements anglais.

C’est là peut-être que figure la principale différence du système français par rapport aux autres. Comme on l’a vu ci-dessus, l’apprentissage existe dans ces pays comme une modalité parallèle à la voie scolaire, mais (à l’exception de l’Angleterre) au sein d’un système unique, sous une gouvernance unique et des lois qui traitent les deux aspects en complémentarité autour d’objectifs communs. Tandis qu’en France, pour des raisons historiques on a deux systèmes distincts, aux logiques différentes, « l’apprentissage scolarisé », celui des formations dites « par alternance » au sein de l’éducation nationale, et « l’apprentissage salarié », celui des CFA, tels que les distinguait Gilles Moreau (« La scolarisation de l’apprentissage salarié », Gallimard, 2006) où il déplorait notamment l’indifférence du MEN à l’égard du second, exprimée par l’intérêt limité de ses publications « pour les apprentis qui pourtant préparent les mêmes diplômes que les élèves » (et la situation ne s’est pas vraiment améliorée jusqu’à maintenant).

Aujourd’hui, il doit être possible de réconcilier les deux systèmes sur la base de leur coopération et de leur complémentarité. Le projet « Pour un développement circonstancié de l’apprentissage dans les lycées professionnels, généraux et technologiques » présenté par l’AFDET (l’Association française pour le développement de l’enseignement technique) en aout 2022 identifie clairement les atouts des établissements de l’éducation nationale et les conditions selon lesquelles ils pourraient prendre une place plus conséquente dans ces développements. En fixant en particulier l’objectif de rechercher « une meilleure complémentarité au niveau régional entre les différentes voies de formation professionnelle initiale », notamment avec l’appui des CREFOP dans chaque région, il s’inscrit dans la démarche engagée avec la nomination en juin 2022 dans le gouvernement d’une ministre chargée de l’enseignement et de la formation professionnels (déléguée auprès du ministre de l’Éducation nationale) et dans les ambitions qu’il devrait se donner d’un rapprochement voire de l’unification des deux systèmes.

À suivre !

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Ingénieur École Centrale promotion 1968. DEA de statistiques en 1969 et de sociologie en 1978. Une première carrière dans le secteur privé jusqu’en 1981, études urbaines au sein de l’Atelier parisien d’urbanisme, modèles d’optimisation production/vente dans la pétrochimie, études marketing, recherche DGRST sur le tourisme social en 1980.

Une deuxième carrière au sein de l’éducation nationale jusqu’en 1994 avec diverses missions sur l’enseignement technique et la formation professionnelle ; participation active à la création des baccalauréats professionnels ; chargé de mission au sein de la mission interministérielle pour l’Europe centrale et orientale (MICECO).

Une troisième carrière au sein de la Fondation européenne pour la formation à Turin ; responsable de dossiers concernant l’adhésion des nouveaux pays membres de l’Union européenne puis de la coopération avec les pays des Balkans et ceux du pourtour méditerranéen.

Diverses missions depuis 2010 sur les politiques de formation professionnelle au Laos et dans les pays du Maghreb dans le contexte des programmes d’aide de l’Union européenne, de l’UNESCO et de l’Agence Française de Développement.

Un livre Voyages dans les Balkans en 2009.

Cyclotourisme en forêt d’Othe et en montagne ; clarinette classique et jazz ; organisateur de fêtes musicales.