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Le livre de Monique Canto-Sperber Une école qui peut mieux faire reprend les critiques adressées au système d’enseignement français mais surtout contient des informations précieuses sur le développement des « free schools » ou « charter schools » en Suède, aux USA et en Angleterre. Il dessine des organisations de l’école différentes dans leurs organisations et aux effets contrastés, pas toujours ceux attendus.

Pour rappel, quelques-unes des critiques formulées à l’endroit de cette « école qui pourrait mieux faire » en France : les enseignants n’ont en principe pas la possibilité de se regrouper pour enseigner à plusieurs, environ 20 % des élèves ne maitrisent ni l’écriture ni la lecture à leur entrée en sixième, l’ensemble est trop centralisé et uniforme… et selon l’auteur « la scolarisation de masse ne s’est pas accompagnée d’une réussite de masse ».

Une solution (la solution ?) pourrait-elle se trouver dans une plus grande autonomie laissée aux établissements en termes de stratégie, de choix pédagogiques, de recrutement des enseignants et de gestion ? Comment font les autres pays ?

L’histoire de l’enseignement en France montre d’ailleurs un certain attachement des fondateurs de l’école publique à l’autonomie des établissements. C’est au 20e siècle et tout particulièrement après 1945 que l’autorité centrale sur le système éducatif s’est renforcée, entrainant des critiques. Ainsi lors du «  Colloque d’Amiens » en mars 1968, on peut voir les participants appeler à « un nouveau type d’établissement » responsable de ses choix éducatifs et de sa gestion ainsi qu’à une plus grande diversification des parcours proposés aux élèves. Ces discussions sur l’autonomie des établissements se développeront plus largement après 1968, mais les expérimentations (quelques lycées « auto-gérés »…) resteront limitées.

Financement de l’école par des chèques (voutchers) par enfant

La Suède raconte l’histoire de la création en 1992 (sous un gouvernement libéral qui a succédé à des années de politiques sociales-démocrates) des « Écoles libres », en parallèle avec des mesures de municipalisation prises en 1989, dont les principes ont d’ailleurs été conservés. Les « free schools » sont créées « au sein » du système public, financées par l’État, elles ne choisissent pas leurs élèves, sont dirigées et gérées par des enseignants, des groupes de parents, des ONG, ou par des entreprises privées voire des groupes cotés en bourse.

Chaque famille est « dotée » d’un budget par enfant (voutchers system) et choisit les établissements dans lesquels iront leurs enfants. Ces financements passent par les municipalités et arrivent aux établissements qui bénéficient d’une large autonomie. Le système combine une certaine égalité et un principe de liberté de choix des familles. On peut penser à ce que nous faisons en France pour la médecine libérale (qui vit de l’assurance maladie), ou au mécanisme introduit en 2018 pour le financement des Centres de formation par l’apprentissage sur la base d’un « coût apprenti » unique déterminé par branches professionnelles, multiplié par le nombre d’apprentis…

Cette philosophie de « liberté de choix » des individus ou des familles est au cœur de bien des institutions suédoises et elle est centrale dans le pays. Elle s’appuie également sur l’idée que l’école n’est pas seulement une affaire publique (par opposition à la vision française de « l’école de la République »), mais est l’affaire de la société toute entière, en particulier des parents, des ONG et des acteurs privés (voir dans Metis, le compte rendu du voyage de l’IHEDATE en Suède en mai 2022). Lorsque les socio-démocrates revinrent au pouvoir en 1994, ils ont poursuivi sur cette voie avec des voutchers égaux pour tous les enfants.

Des résultats mitigés en Suède

Monique Canto-Sperber les résume ainsi :

  • Les parents se sont peu impliqués
  • Les écoles libres gérées par des entreprises privées représentent aujourd’hui 65 % de l’ensemble des free schools
  • Les marges de manœuvre pédagogiques ont été peu utilisées et les innovations relativement rares
  • Les élèves qui fréquentent les free schools sont surtout des enfants de diplômés ou « d’étrangers ayant de fortes ambitions pour leurs enfants »
  • Les inégalités se sont accrues et les parcours des élèves reflètent largement leurs origines familiales
  • L’État n’a pas suffisamment défini les cahiers des charges ni les sanctions en cas de manquement
  • La formation des enseignants (devenus employés par les collectivités locales) et des directeurs d’établissement n’a pas suivi.

Dans un premier temps, la Suède a vu les indicateurs PISA concernant le pays se dégrader et surtout a rejoint la France dans le groupe des pays « où les inégalités à l’école reproduisent le plus les différences d’origine sociale ». Pas très brillant.

D’autant que les résultats des free schools gérées « for profit » (sociétés ou groupes internationaux cotés en bourse…) étaient parmi les pires.

À partir de 2015 des corrections ont été apportées et le contrôle renforcé, et elles ont eu un impact sur les résultats.

Les « charter schools » aux USA

Le livre de Minque Canto Sperber développe également l’exemple des États-Unis et de la Grande-Bretagne, en particulier dans la période de la « big society ».

Les écoles libres aux USA ont une longue histoire et étaient déjà très nombreuses et diverses lorsque fut  créée en 1991 dans le Minnesota la première école Montessori, financée en grande partie par l’État. Elle s’adressait directement aux élèves en échec, rejetés de l’école traditionnelle. L’expression « charter school » renvoie à l’importance de la charte constitutive qui contient véritablement le projet de l’établissement et les détails de son fonctionnement.

Le paysage des charter schools est très varié, elles sont souvent portées par des fondations (non profit) et maintenant de plus en plus souvent par des patrons d’entreprises du Net. Mais leurs résultats sont très différents des écoles libres suédoises : ainsi en 2014, les deux tiers des élèves des charter schools venaient des milieux défavorisés ou des minorités. 44 des États américains ont voté des lois pour favoriser le développement de ce type d’écoles.

Le livre Une école qui peut mieux faire est un parcours intéressant des chemins suivis par différents pays quant à leurs systèmes éducatifs et un plaidoyer pour l’autonomie des établissements d’enseignement.

Pour la Suède c’est aussi, comme l’est souvent l’école, un bon analyseur de la transformation profonde, et déjà ancienne, du modèle social du pays.

Pour en savoir plus 

  • Monique Canto Sperber, Une école qui peut mieux faire, Albin Michel, 2022
  • Jean-Paul Delahaye et autres, L’autonomie de l’établissement public local d’enseignement, Berger-Levrault, 2011
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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.