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Article publié le 12 juin 2022

Nous avions publié en 2022 un article à propos du livre de Madeleine Riffaud Les linges de la nuit. Elle vient de nous quitter mais son livre reste d’actualité. En 1974, elle se glissait dans la peau d’un agent hospitalier. Dans son livre elle faisait le récit de cette immersion incognito. Cinquante ans après, le livre est réédité chez Michel Lafon.
Philippe Denimal était son ami le plus proche depuis des années, en l’absence de famille, il l’a accompagnée dans ses joies comme dans ses douleurs et jusqu’au bout de son chemin exemplaire.

Jeune résistante, Madeleine Riffaud a participé activement à la Libération de Paris en 1944 dont elle est désormais l’une des dernières survivantes. Elle fut ensuite correspondante de guerre ; Indochine, Algérie, Viêt Nam… Journaliste et poète de surcroît, amie d’Eluard, de Vercors, de Picasso et d’Hô Chi Minh, parmi d’autres. Un parcours hors du commun, plusieurs vies qui font l’objet d’une série de bande dessinée en cours (Bertail, Morvan, Riffaud : Madeleine, Résistante. 1 La Rose dégoupillée, Air Libre, édition Dupuis, 2021).

Son ouvrage Les Linges de la nuit fut un best-seller lorsqu’il est paru en 1974, vendu à un million d’exemplaires. Il a été réédité en 2021 tant il est apparu d’une singulière actualité.

Ce récit est le fruit de son immersion discrète dans le monde de la santé, tout à la fois témoignage journalistique par observation participante et expérience humaine personnelle. Madeleine Riffaud fut en effet l’espace de quelques mois agent hospitalier, confrontée aux difficultés quotidiennes de ces métiers peu reconnus, peu valorisés, mal payés.

Florence Aubenas fait souvent référence à Madeleine Riffaud pour expliquer sa propre démarche ayant donné lieu à son livre Le Quai de Ouistreham (L’Olivier, 2010).

Il est question d’humanité dans cet ouvrage. Les relations entre soignants et soignés sont à l’évidence singulières : aides de toutes sortes, dévouement, empathie, dépendance, compassion, délicatesse sinon tendresse, se combinent au quotidien et ne peuvent pas être minorées ou occultées sur l’autel du seul travail rémunéré. Cette dimension est le fil conducteur de ce témoignage.

Mais le livre touche également à toutes les difficultés très concrètes rencontrées par les soignants en moyens humains et matériels avec la grande ambition du soin qui se trouve bousculée par un « système » hospitalier qui, hier comme aujourd’hui, montre ses limites. Les sujets sont parfois strictement identiques, à près de 50 ans d’écart, parfois datés et partiellement résolus ou remplacés par d’autres, tout aussi délétères.

L’ouvrage offre des pépites propres à passionner les sociologues et à intéresser n’importe quel acteur social, pour peu qu’il ait fait l’expérience de ce monde hospitalier, à un titre ou à un autre.

S’agissant du geste professionnel, relevons ce joli décryptage : « Quand je regarde (Justine) soulever un malade, seule, sans faire gémir celui-ci, sans effort apparent, je cherche à comprendre d’où ce corps fragile tire une telle force. De l’adresse plus que des muscles ? Sûrement. Mais encore une certaine puissance venue du cœur, non prévue par le règlement » (p. 67).

Dans la rubrique du « travail bien fait » et des moyens disponibles : « Mes compagnons ayant fini leur service, je me retrouvais seule jusqu’à 11 heures du soir. Mais le menu annonçait un repas facile à servir : œufs à la coque, légumes, dessert. J’avais tout prévu, sauf que pour vingt-sept œufs à la coque le placard de l’office n’allait disposer que de cinq coquetiers. On n’est pas riche, à l’AP… J’avais donc distribué les coquetiers aux plus handicapés, chuchotant aux autres avec démagogie : “Pour vous, je ne m’inquiète pas. Vous vous débrouillerez très bien’’. Hélas ! Quand j’ai desservi, les tables étaient peintes au jaune d’œuf, les assiettes aussi. On n’imagine pas ce qu’il colle, ce jaune. Même les draps étaient tachés. Quelle vaisselle je me suis payée ! J’ai repris le métro avec une heure de retard. Contente, quand même » (p. 117).

Enfin, Madeleine Riffaud lie parfois le passé et le présent sensibles — le passé et le passé devrait-on dire désormais — lorsqu’elle évoque le décès d’une patiente : « Elle est morte (…). J’ignore, moi qui ai photographié la guerre un peu partout dans le monde, comment on se conduit envers un cadavre en temps de paix » (p. 177).

Madeleine Riffaud, Les Linges de la nuit, Michel Lafon, 2021, 288 pages

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Sociologue du travail et consultant depuis une trentaine d’années. Après avoir bénéficié des enseignements d’Alain Binet, René Bureau, Albert Memmi, Renaud Sainsaulieu… j’ai toujours exercé mon activité en combinant cette sociologie qui m’a façonné et les très opérationnelles ressources humaines.
Les problématiques que je traite touchent à la rémunération et à la reconnaissance du travail. J’accompagne les commissions paritaires de branches professionnelles ou les partenaires sociaux dans les entreprises : la concertation sur ces sujets sensibles est nécessaire, complexe, passionnante.