Dans le Parlement des invisibles, Pierre Rosanvallon rappelle le rôle des grands romans du XIXe siècle : « Balzac, Hugo, Flaubert ou Zola, pour ne mentionner que les géants, ont mêlé l’exploration de l’intime et la saisie du collectif, dépassé l’opposition entre le registre de la fiction et celui de la pensée ». La collection Raconter la vie, maintenant arrêtée, avait l’ambition, non seulement de raconter les vies ordinaires, mais aussi, grâce à ça, d’ouvrir la voie « à la définition de nouvelles catégories d’analyse permettant de mieux saisir les problèmes et les potentialités de la société ».
L’importance qu’a pris la lutte contre les fake news et autres vérités alternatives ne doit pas nous faire oublier que « pour dire que quelque chose est erroné ou faux ou que c’est l’effet d’une falsification, il faut avoir une notion de ce qui est correct ou vrai ou authentique » (Umberto Eco, Reconnaître le faux. Grasset, 2018). Même sans intentions malveillantes ou lunettes idéologiques déformantes, sans désir de mentir ou zèle propagandiste excessif, il arrive (souvent) que nous nous trompions.
Comment faisons-nous pour nous « approprier le monde et dire la vérité des existences » ? Il n’existe pas de réponse simple et définitive à cette question : « il y a bien des façons de concevoir la connaissance et l’intelligence des êtres et des choses » et bien des façons d’imaginer ce que nous pourrions faire. Les voies que nous empruntons sont multiples. Chacune, à sa manière, est « une de ces fenêtres ouvertes sur le monde, un moyen de le déchiffrer » (Jacques Rancière, Les écarts du cinéma. La Fabrique 2011). Entre elles aucune hiérarchie ni aucune frontière ne valent et nous devons nous méfier des tentations hégémoniques, de la théologie et de la philosophie hier, de l’économie et des sondages aujourd’hui. Il n’y a pas en soi plus de vérité des chiffres et des théories que des images ou d’une expérience personnelle, et nous devons être attentifs aux uns comme aux autres.
C’est le sens que nous donnons à la publication de commentaires sur des films à l’affiche, qu’ils soient documentaires ou de fiction, ou de notes de lecture, qu’elles concernent des enquêtes, des essais, des témoignages ou des romans (trop rarement sans doute) et qu’ils soient l’œuvre de journalistes, de sociologues, d’économistes, d’anthropologues, de philosophes ou de romanciers. Ainsi en lien avec notre dossier sur les métiers du quotidien :
Dans la rubrique Cinéma
- Rien à foutre, de Emmanuel Marre et Julie Lecoustre avec Adèle Exarcopoulos. 2022
- Ouistreham, d’Emmanuel Carrère avec Juliette Binoche et Hélène Lambert. 2022. D’après le livre de Florence Aubenas Le quai d’Ouistreham. L’Olivier. 2010.
- Debout les femmes, documentaire de François Ruffin et Gilles Peret. 2021
- Sorry we missed you de Ken Loach avec Debbie Honeywood et Kris Hitchen. 2019
- Les invisibles de Louis-Julien Petit avec Audrey Lamy, Corinne Masiero, Noemie Lvosky, Deborah Lukumuena. 2019
Dans la rubrique Bibliothèque
- Les aides à domicile, un autre monde populaire de Christelle Avril. La Dispute. 2014
- Les épreuves de la vie. Comprendre autrement les français de Pierre Rosanvallon. Le Seuil. 2021
- Sociologie des classes populaires contemporaines de Yasmine Siblot, Marie Cartier, Isabelle Coutant, Olivier Masclet, Nicolas Renahy, Armand Colin, 2015
- Derrière les écrans – Les nettoyeurs du Web à l’ombre des réseaux sociaux de Sarah T.Roberts. La Découverte. 2020
- Moi, Anthony, ouvrier d’aujourd’hui. Le Seuil, Raconter la vie. 2014
Et nous signalons
- Invisibles : les travailleurs du clic, documentaire de Henri Poulain et Julien Goetz
- Deux millions de travailleurs et des poussières. L’avenir des emplois du nettoyage dans une société juste de Julie Valentin et François-Xavier Devetter. Les Petits matins. 2021.
- C’est du propre ! Syndicalisme et travailleurs du « bas de l’échelle ». Cristina Nizzoli, Presses universitaires de France, Paris, 2015
- Rapport de l’IRES – Dans le cadre d’un appel à projets pour la DARES (post-enquête Réponse), l’IRES a réalisé un travail sur les nouvelles formes d’articulations entre négociations de branche et d’entreprise sur 4 branches d’activités dont la propreté. Le rapport final, est disponible sur le site de l’IRES.
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