Qu’est-ce qui est en notre pouvoir ? Les vœux formulés chaque début d’année sont une manière, sinon magique, au moins volontariste de répondre à cette question.
Au travail quotidiennement, nous y répondons de manière concrète, observable, organisée, en veillant à coordonner la part individuelle et la part collective. Notre réponse est nécessairement contrainte, soumises aux possibilités techniques, aux délais, aux évènements, aux aléas. Ça ne marche pas toujours comme on voudrait, mais le professionnalisme s’atteste par la capacité à trouver alors le plan B ou C pour atteindre ou approcher le résultat attendu.
Bien sûr, il faut prendre cette tradition des vœux pour ce qu’elle est avant tout, une manière de rester en contact, de préserver un moment d’amitié, de fraternité, de bonne volonté. Je ne vais pas faire la liste de tous les vœux reçus pour une année joyeuse, enthousiasmante, sereine, douce, une année au cours de laquelle, promis, nous allons nous revoir et œuvrer à plus de justice. La vitalité de cette tradition, facilitée aujourd’hui par les SMS et autres boucles WhatsApp, nous dit plus que cela.
Elle nous dit que nous ne pouvons pas nous satisfaire d’efficacité pour atteindre des objectifs imposés et quantifiables. Ces vœux ne concernent pas exclusivement la sphère personnelle. Ils s’adressent, souvent explicitement, à ce que nous sommes et devenons dans nos activités professionnelles, sociales et civiques. Cette interrogation initiale sur ce qui est en notre pouvoir est bancale tant qu’elle n’est pas associée à celle sur ce que nous souhaitons, fait autant de considérations éthiques, politiques, idéales, que de Facts & figures ou de KPI. À l’ oublier, le pouvoir, qu’il soit suprême ou très limité, n’a plus ni boussole, ni sens. Réfléchissons également au pouvoir qui est le nôtre sur des sujets aussi essentiels que la santé ou les catastrophes dites « naturelles ». Ils disent l’enchevêtrement et les interactions entre ce qui dépend de nous et ce qui procède « d’ultraforces » qui nous dépassent.
Assez de considérations générales, venons-en à 2025. La chute rapide d’un dictateur à Damas rappelle que tout pouvoir, y compris les plus arbitraires et les plus brutaux, sont des « tigres de papier ». La force sans perspectives n’est qu’une apparence, elle ne règle rien. Les résistances sont souterraines, elles travaillent à bas bruit, quoi que les dictateurs fassent, elles sont là. Les fauteurs de guerre devraient s’en souvenir. Le monde se porterait mieux.
Que dire de la nouvelle Commission européenne, en partie reconduite de la précédente ? La signature controversée du traité du Mercosur n’est pas un bon signal. Le Plan de relance et le Green deal sont tous les deux à la peine. Les Digital Markets Act (DMA) et Digital Services Act (DSA) sont orphelins du Commissaire qui les a imposés. Pourtant, tant d’enjeux sont européens, les normes en matière d’environnement ou du travail, les règles imposées aux GAFAM, les traités concernant les échanges internationaux. Le président polonais, Donald Tusk vient de succéder pour six mois au hongrois Viktor Orban à la présidence du Conseil de l’UE. C’est indéniablement une bonne nouvelle, aux effets malgré tout limités. Y compris malheureusement pour la résistance de l’Ukraine à l’agression russe.
La politique intérieure française parait, elle, échapper à tout pouvoir. Les partenaires sociaux semblent enfin pris au sérieux. Ils sont reçus. On leur promet dialogue et concertations. Rien de précis encore, notamment sur le sujet qui a tant mobilisé en 2024, celui des retraites. On est tenté de dire « attendons », mais l’impatience gagne. Pascal Chabot dans un livre publié en 2017, Exister, résister : Ce qui dépend de nous, constatait que nous étions passés « du simple au complexe, puis du complexe au perplexe » et que si nous y gagnons en richesses et en possibles, la perplexité « ajoute l’idée de confusion, d’embarras, d’enchevêtrement obscur que la raison ne peut surmonter ».
Deux vœux enfin, « en toute subjectivité », comme on dit à la radio. Ils concernent la lutte contre les discriminations. Sandrine Foulon sur France Inter attirait l’attention sur les inégalités ethno-raciales dans l’accès à l’emploi et le niveau de rémunération. L’étude citée de Mathieu Ichou et Ugo Palheta montre que, à même niveau de diplôme, âge, origine sociale des parents et lieu d’habitation, le salaire moyen d’un homme dont les deux parents sont originaires d’Afrique subsaharienne est en moyenne inférieur de plus de 400 euros à celui d’un enfant « blanc ». L’étude porte exclusivement sur des personnes de nationalité française, nées et vivant en France métropolitaine. La ségrégation atteint également les personnes originaires des départements d’outre-mer, alors qu’elle est plus faible pour les enfants de parents immigrés européens. Il s’agit d’une ségrégation raciale, raciste. On peut en rendre exclusivement responsables les employeurs, privés ou publics. Serait-elle possible sans notre cécité, notre aquoibonisme, notre tolérance implicite ?
2024 a été marqué par deux bonnes nouvelles pour les personnes en situation de handicap. Un petit truc en plus, le film de Artus a dépassé les 10 millions d’entrées et les Jeux Olympiques ont fait une place exceptionnelle aux Jeux Paralympiques. Je pourrais ajouter, le choix de la santé mentale, érigée en grande cause nationale pour 2025, avec comme objectif de dé-stigmatiser les maladies mentales. Y compris au travail. Tout cela est de bon augure, mais l’impact en profondeur est tout sauf garanti. Aujourd’hui, nettement moins de la moitié des personnes handicapées est en emploi.
Ces sujets ne sont pas des petits sujets. Ils sont au cœur de la conception que nous nous faisons de notre société, faite de performance, mais aussi d’humanité. Ils ont en commun de dépendre autant de chacun de nous que des lois ou du « système ». Les affronter ne creusera pas le déficit des comptes publics. Il s’agit de justice et d’accord entre nos valeurs démocratiques et leur mise en œuvre. Et cet accord fait du bien !
Au nom de toute la rédaction de Metis Europe, je souhaite une bonne et heureuse à année à chacune et à chacun.
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