Les études syndicales sur les enjeux emploi et compétences de la transition écologique, bien que partielles et ne prétendant pas à l’exhaustivité, ont des qualités spécifiques qui s’avèrent aujourd’hui précieuses, dans un contexte où les mutations industrielles, énergétiques et numériques placent le dialogue social à un niveau central. Le besoin d’améliorer et de mieux anticiper les évolutions en matière d’emploi et de compétences est perçu comme de plus en plus fondamental pour préparer et accompagner la transition écologique.
C’est ce qu’a montré la journée d’étude organisée par l’IRES le 3 novembre 2015 au Conseil Economique Social et Environnemental (CESE). Cette journée visait tout particulièrement à mutualiser les études réalisées et commanditées à la demande des organisations syndicales dans le cadre des « Agences d’objectif » de l’IRES.
L’une des tables rondes a rassemblé des chercheurs et des responsables syndicaux, autour des enjeux emploi-compétences de la transition écologique. Elle a été l’occasion de souligner la spécificité de l’approche syndicale, qui peut se résumer comme suit :
• Ces études sont, du point de vue de leur couverture, la plupart du temps partielles : centrées sur une filière, (les chaînes de valeur liées à un secteur donné d’activité), quelques secteurs dans un territoire. On est loin des exercices « globaux » et « bouclés », visant à capter l’ensemble des interdépendances.
• Elles possèdent cependant deux atouts majeurs : 1) Confronter les éléments de méthode à la réalité concrète des enjeux de transition. Dit autrement, elles s’interrogent sur la faisabilité du cheminement de la transition, ce qui est très rarement le cas dans les approches « macro-économiques » bouclées; 2) Porter un intérêt à la faisabilité du cheminement et à la mobilisation des acteurs.
Il en résulte ainsi une forte capacité à s’intéresser, dans une approche prospective, aux passerelles et à porter des questionnements transversaux d’accompagnement des acteurs dans la transition.
Or, ces dimensions sont de plus en plus considérées comme fondamentales pour préparer et accompagner les stratégies de transition écologique. La Stratégie nationale de transition écologique vers un développement durable (SNTEDD) 2015-2020 a ainsi inscrit parmi ses priorités : l’anticipation des effets sociaux des mutations économiques induites et l’accompagnement des transitions professionnelles. Dans son avis de juin 2015 sur « L’emploi dans la transition écologique », le CESE insiste sur le développement des capacités de veille prospective, sur les besoins de mutualisation des moyens consacrés à la veille prospective dans une logique transversale – interprofessionnelle, territoriale -, sur les enjeux de sensibilisation et de mobilisation par le dialogue social. En somme une approche moins sectorielle.
Deux études présentées lors de la table ronde résument bien ces spécificités de l’approche syndicale des enjeux emploi compétences de la transition écologique.
Le contrat d’étude prospective « Évolutions Compétences Emplois Climat Île-de-France » de juillet 2014 réalisé par le cabinet Syndex en collaboration avec FondaTerra, cofinancé par la région Ile de France et le FSE, se donnait pour objectif d’effectuer une analyse des impacts sur l’emploi du schéma régional climat air énergie de la région Ile de France (SRCAE), de la territorialisation des lois Grenelle de l’Environnement et du projet du « Nouveau Grand Paris ». L’étude a été menée sans recherche d’exhaustivité, en retenant cinq secteurs (transports, automobile, énergie, eau et bâtiment). Mais la dimension mobilisation d’acteurs était très présente, avec un comité de pilotage qui a réuni une soixantaine d’acteurs représentant les organisations professionnelles. L’un des objectifs privilégiés par l’étude a été d’identifier les passerelles entre les différents secteurs, nées des mutations anticipées. Comme le souligne le CESE dans son avis de juin 2015, la réalisation de ce Contrat d’études prévisionnel nommé ECECLI illustre parfaitement en quoi la dimension intersectorielle et transversale du sujet de la transition écologique nécessite que soient associées plusieurs branches dans la co-construction de démarches prospectives adaptées. Les ateliers transversaux réunissant des acteurs de plusieurs secteurs d’activité ont ainsi fait émerger un besoin très fort de désignation des enjeux et des fonctions plutôt que des métiers eux-mêmes.
Le laboratoire LEST a réalisé en 2013, à la demande de la CGT, et dans le cadre d’une agence d’objectifs de l’IRES, une étude concernant l’évolution du bâtiment par rapport aux nouvelles contraintes de la transition énergétique. Après qu’une première étude ait démontré l’importance de la montée en qualification au sein de ce secteur pour parvenir à respecter un certain nombre de normes environnementales, l’étude « Vers de nouveaux rapports entre les acteurs de l’acte de construire ? » (en région PACA) s’est concentrée sur les aspects organisationnels du secteur, en constatant que sa très grande hiérarchisation constituait un obstacle à la coopération, et donc à l’innovation. Il existe de fait une séparation voulue par les textes entre la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre, qui peut être source de dysfonctionnements. En outre, dans une logique financière de croissance, l’entreprise générale de bâtiment est maîtresse de ses relations avec les sous-traitants dont elle tire bénéfice, ce qui occasionne une « moins-disance » sociale. Enfin, les mondes professionnels sont très séparés entre architectes et ingénieurs. L’étude montre que le pôle de compétitivité POLEBAT, créé en 2008, et reconnu par la Région PACA, a su répondre à la demande des acteurs en remettant en cause la division du travail existant actuellement dans le bâtiment, en se révélant un espace d’expérimentation appliqué par la suite à de nouveaux bâtiments.
Très pragmatiquement, on assiste depuis quelques année à une montée en charge des lieux dédiés au dialogue social sur la question des mutations industrielles liées à la transition énergétique : au niveau des filières, des branches, des territoires, de l’interprofessionnel, ministériel et interministériel (voir le schéma). L’avis du CESE de juin 2015 formule ainsi des recommandations concrètes en termes de renforcement de la capacité de veille prospective des observatoires de branche (OPMQ) et des observatoires régionaux emploi-formation (OREF), ainsi qu’une plus grande articulation entre les approches filières (CNI, COSEI) et les approches transversales. Le CESE préconise également une meilleure articulation avec les actions et réflexions prospectives menées au niveau national dans le cadre du Réseau Emploi Compétences piloté par France Stratégie. En outre, les nouvelles instances créées dans le cadre de la loi réforme de la formation professionnelle de 2004 ont accru de manière assez conséquente le besoin d’appréhender les métiers d’un point de vue prospectif et transversal, dans leur dimension de mobilité et de transition professionnelle.De quoi permettre à l’approche syndicale sur les mutations industrielles en lien avec la transition écologique de gagner en visibilité et de déboucher sur des actions.
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