On fête la charte d’Amiens de 1906 comme, d’une certaine manière, 100 ans après le premier jugement énoncé sur la dangerosité de l’amiante, c’est le pénal qui fait sa fête à l’amiante. D’autres que nous en Europe ont été plus rapides. En ce qui nous concerne, il a fallu attendre que nos scientifiques, en l’occurrence l’Inserm, viennent prouver la nuisance pour la rendre crédible et qu’il soit légiféré en 1998, en qualifiant les négligences managériales de « faute inexcusable ». Un concept né de la jurisprudence qui ne plaisante pas avec « l’omission volontaire et intentionnelle », même s’il peut y avoir de la « responsabilité sans faute » et qu’en qualité de manager, il vous échoie aujourd’hui non seulement d’agir mais surtout de prévenir les risques. Une « faute inexcusable », antérieurement sanctionnée à coups de franc ou d’euro symboliques. Mais le 4 septembre 2006, le tribunal correctionnel de Lille a multiplié la sanction par 75 000. Quant au directeur du site de l’époque, il écope de 9 mois de prison avec sursis et de 3 000 euros d’amende. Nul n’est censé, en effet, ignorer la loi. On devine dès lors sans peine l’inquiétude probable qui peut atteindre quiconque dirige quelque chose, même si en l’instant, ce sont apparemment les seuls directeurs d’usine qui sont en première ligne. Une inquiétude au présent, mais valable aussi pour le passé. La loi de 1998 autorise en effet de rouvrir des dossiers à partir du 1er janvier 1947. La retraite ne met pas plus à l’abri un directeur d’usine, qu’une personne morale.
Pour parfaire le tableau amiantesque, il faut préciser qu’il existe même un « fond d’indemnisation des victimes de l’amiante » (Fiva) et une association des victimes de l’amiante (Andeva). La « faute inexcusable » en matière d’amiante tombe désormais comme la gravelote : Alsthom Power, Ferodo Valéo, Michelin en à peine 2 mois. Pauvres managers responsables, confrontés à une faute inexcusable avec ou sans fautes, quand l’air du temps va les placer entre la pression des objectifs à court terme et l’épée de Damoclès de la responsabilité sociale et sociétale qui pèse désormais sur eux. De temps en temps, lors de l’élaboration des objectifs et des moyens afférents à leur réalisation, il n’est pas à exclure que quelques exigences nouvelles émergent que les seules stock options ne parviendront pas à éteindre. Un problème qui mérite de penser le « principe de précaution » dans l’exercice managérial lui même, indépendamment de la prise en compte d’un concept qu’a légitimé l’amiante. L’amiante n’est en effet qu’un début, il y aura demain des associations des victimes des pesticides quand en dernier lieu l’Inserm ou quelques scientifiques institutionnels crédibles finiront bien, sous la pression, par révéler la vérité.
Quant aux délais, souvent très longs entre les effets et la preuve scientifique de leur origine, tout indique qu’il va être de plus en plus difficile de faire traîner les choses.
Il existe, à ce propos, un réchauffement des opinions publiques qu’on aurait tort de ne pas intégrer dans les critères de la prise de décision. Quant à nos managers syndicaux, peut être pourraient-ils trouver avec ce risque managérial, un nouveau créneau marketing de syndicalisation de l’encadrement, au-delà même de ce que l’organisation cadre de la CGT, l’Ugict, tire comme leçon des jugements de Lille en faveur de la mobilisation des médecins du travail.
Henri VACQUIN
Pour aller plus loin :
http://www.senat.fr/rap/o97-041/o97-041_toc.html
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