par Henri Vacquin, Christophe Teissier
De la charte d’Amiens à l’autonomie syndicale
Il y a cent ans, nous étions en pleine révolution industrielle, le Cartel des gauches était aux affaires et l’année avait très mal commencé avec le drame de Courrières où un coup de grisou avait fait plus de 1000 morts chez les mineurs. Six semaines après, le 1er mai fut un exutoire de colère sans précédent où l’armée fut envoyée face aux grévistes. La CGT avait décidé qu’à compter de ce jour la durée du travail n’excéderait plus huit heures. En juillet, le parlement avait voté le repos hebdomadaire pour les ouvriers. Les fonctionnaires quant à eux se voyaient promettre le droit d’association mais surtout pas le droit syndical.
Début octobre 1906, le syndicalisme se dotait de la « charte d’Amiens » et le 25 octobre le ministre Clemenceau par décret créait le premier ministère du « Travail et de la Prévoyance ».
Ni Dieu ni maître politique
A l’époque,1830, 1848, 1871 n’ont pas laissé chez les salariés une confiance illimitée à l’égard des partis politiques. Le Vatican a mis à l’index Lamenais et Lacordaire, l’anarcho syndicalisme a pris le haut du pavé de la mobilisation, Marx et les diverses écoles socialistes mordent encore peu sur les masses, le brouillon russe de 1905 a échoué. Le congrès d’Amiens à une très large majorité va se prononcer pour l’autonomie syndicale à l’égard des partis politiques « ni Dieu ni maître politique ». Le congrès de Tours, qui marquera la scission entre socialistes et communistes, n’a pas encore eu lieu et seuls les guésdistes sont favorables à une synergie syndicale avec le parti socialiste. Ils étaient seuls encore à prôner un syndicat courroie de transmission du parti au sein de la CGT.
La CGT a attendu la mort clinique du PCF pour affirmer son autonomie
La « charte d’Amiens » pourtant massivement méconnue dispose de beaucoup d’adeptes dans l’opinion : les sondages n’incriminent-ils pas en premier lieu dans les critiques qu’ils adressent aux syndicats d’être trop dépendants des partis politiques ? Un aspect dont les militances syndicales, elles, ont mis beaucoup de temps à se défaire. En effet, quelle que soit la référence en permanence faite à la Chartes d’Amiens par les cégétistes, chaque scission entre socialistes et communistes depuis cette époque se traduira par une scission syndicale, la dernière en date étant celle de la création de la CGT-FO en 1947. Ainsi notre CGT aura du attendre la mort clinique du PCF pour affirmer son autonomie à son égard.
Viviani en 1906 : Le droit collectif doit-il anéantir le droit individuel ?
Le premier ministère du travail fut le fruit d’un décret et non d’un vote au Parlement, voici les termes dans lesquels le premier ministre du travail René Viviani en accentuera la légitimité depuis la chambre des députés le 8 novembre 1906.
« Messieurs, ici dans cette enceinte et hors de cette enceinte, un malentendu formidable s’appesantit généralement sur les problèmes sociaux. En se retournant vers le passé, on aperçoit la Révolution française avec le droit individuel qu’elle a forgé de ses mains puissantes, de ses mains exaspérées contre la réaction économique des corps privilégiés et contre la réaction politique de l’ancien régime. Et, le regard ébloui par l’éclat qui se dégage de cette Révolution, on n’aperçoit pas toujours une autre Révolution silencieuse, obscure, profonde, qui s’appelle la révolution économique. Par la concentration des capitaux entre quelques mains et par le développement du machinisme sur le même champ de travail, deux collectivités sont dressées : les intérêts capitalistes ont pris corps sous la forme de sociétés anonymes ; les intérêts ouvriers ont pris corps sous la forme de collectivités ouvrières, qui hélas ne sont pas toujours des collectivités syndicales. Et alors, de ces collectivités ouvrières, peu à peu s’est dégagée une âme collective, peu à peu a surgi le droit collectif. C’est ici que le malentendu commence. Le droit collectif doit-il absorber, anéantir, dissoudre le droit individuel ? Je pense qu’il n’y a pas de régime qui se propose pour but l’abolition du droit individuel, l’anéantissement de cette liberté personnelle qui se rattache à l’essence de l’être humain. (Vifs applaudissements.). Je pense que si l’on regardait de plus près ces collectivités ouvrières, on verrait que les unités qui les constituent sont venues précisément demander à la puissance de l’action collective de décupler la puissance sociale de l’individu (nouveaux applaudissements) ; que les hommes viennent précisément y défendre cette liberté personnelle, ce droit individuel, opprimés depuis un siècle par toutes les puissances sociales, financières et économiques déchaînées sur la démocratie. (Vifs applaudissements.)
Et de ces collectivités, quelle est donc la revendication qui monte vers nous ? Messieurs, de moins en moins le bruit des conflits politiques passera le seuil de cette Chambre, mais, de plus en plus, le bruit sinistre des conflits sociaux parviendra à nos oreilles. Quel est donc le conflit qui est d’ailleurs à la racine du monde et que personne ici ne doit ignorer ? C’est le conflit entre la misère et la propriété. […]
Qu’est-ce donc qui vous effraye ? Ce qui vous effraye dans les revendications sociales, ce n’est pas ce qu’elles contiennent, c’est ce qu’elles annoncent, ce qu’elles présagent. C’est ce cortège d’attitudes intransigeantes, de formules rudes, de violences, de paroles débordantes, c’est ce jaillissement perpétuel de pensées, c’est cet ébranlement général, cette fièvre universelle qui semblent se communiquer à tout.
Oui mais alors, s’il y a faute, à qui la faute ? Qui donc a créé l’oeuvre révolutionnaire dont les conséquences apparaissent devant tous les regards ? Quelle est donc la main puissante qui a créé l’homme moderne avec tous ses désirs, toute ses revendications, toutes ses audaces, toutes ses ambitions ?
Ah! pour votre honneur historique, ne laissez pas dire que l’homme moderne est sorti tout entier de la seule situation économique, reprenez votre part et n’opposez pas à l’héritage glorieux des grands ancêtres la mesure pratique et injurieuse du bénéfice d’inventaire. (Vifs applaudissements.) »
Un perpétuel malentendu
Certes ce discours peut avoir l’air de dater, le ministre ne s’adresse qu’à des messieurs, il n’y a pas de femmes à l’Assemblée, elles auront encore un demi siècle à attendre avant d’avoir le droit de vote ; d’une autre manière, la qualité du style et quelque chose d’un goût pour l’envolée lyrique a tous les airs de l’authenticité et de la crédibilité, contrairement au discours politique actuel.
Aujourd’hui les coups de grisou dans les mines ont lieu beaucoup plus à l’est, les nôtres ne sont plus que dans les banlieues, quant à l’envoi de l’armée en ces lieux elle n’est envisagée qu’à travers la réinsertion sociale dans des « camps humanitaires » portés non plus par les radicaux mais par des socialistes, plus dans l’air du temps que leurs ancêtres des gauches..
René Viviani évoque dans son discours un malentendu : « le droit collectif doit-il absorber, anéantir, dissoudre le droit individuel ?… Je pense que si l’on regardait de plus près les collectivités ouvrières, on verrait qu’elles sont venues précisément demander à la puissance de l’action collective de décupler la puissance sociale de l’individu ».
Un malentendu centenaire qui a la vie dure tant pour nos libéraux excessifs qui pourraient entendre que le collectif n’est pas l’ennemi de l’individu que pour nos syndicalistes qui depuis ont oublié que la défense de l’individu devait trouver sa place dans la défense des intérêts collectifs. En fait un discours qui ne date pas tant que ça. A titre indicatif sur ce terrain la France n’était pas en retard sur ses voisins européens.
Pour autant, le centenaire du ministère du travail mérite t-il une célébration ? Né du ministère du commerce en 1906, au front presque en permanence, sauf quand les conflits le dépassent, qu’il s’agisse de 1936, 1968 ou de la seconde guerre mondiale, une telle administration a-t-elle encore une utilité, une volonté d’entreprendre ? A l’heure où les régulations du travail et de l’emploi sont souvent défaillantes et où l’acteur public est lui-même en souffrance de légitimité, faut-il le reconstruire ? Au passage, cette distinction opérée en 1906 entre travail et commerce nous réinterroge sur le lien entre normes sociales et normes commerciales : le droit du travail n’est–il pas devenu accessoire voire alibi dans la mondialisation ? Qu’a-t-il à dire sur les défis de la propriété intellectuelle par exemple ? Sur ceux d’un système de relations « industrielles » qui est passé à côté des problématiques d’un mode de croissance difficilement soutenable ?
A moins qu’une synergie européenne puisse se tisser dans cette communauté d’impuissance des ministères du travail européens, un partage pour mieux se dépasser.
Henri Vacquin avec Christophe Teissier
Naissance en ministère du travail eu Europe
Au Royaume Uni, le Ministère du Travail (Ministry of Labour) est en tant que tel créé en 1916. Y succédera un Ministère de l’Emploi (Department of Employment) démantelé en 1995 et dont les fonctions seront réparties entre des ministères distincts : les relations professionnelles sont ainsi confiées au Ministère du Commerce et de l’Industrie (Department for Trade and Industry), afin de garantir une prise en compte des impératifs économiques dans l’encadrement des relations de travail, les questions de santé et de sécurité au Ministère de l’Environnement (Department of the Environment).
En Allemagne, l’office impérial du travail (Reichsarbeitamt), compétent en matière de marché du travail et de protection sociale et distinct de l’Office Impérial de l’Economie est créé en 1918. En 1919, après l’avènement de la République de Weimar, il devient le Ministère du Travail. Suite à l’établissement de la République Fédérale, est recréé un Ministère Fédéral du Travail. Plus récemment, en 2002 (Schröder 2), il est scindé : l’emploi est intégré au portefeuille de l’Economie au travers d’un Ministère Fédéral de l’Economie et du Travail, la politique sociale relève elle du Ministère Fédéral de la Santé et de la Sécurité Sociale. Le Ministère est recréé en 2005 par le cabinet Merkel sous le nom de Ministère Fédéral du Travail et des Affaires Sociales (Bundesministerium fur Arbeit und Soziales).
En Espagne, le Ministère du Travail créé en 1920, est renommé en 1922 Ministère du Travail, du Commerce et de l’Industrie. Plusieurs dénominations suivront pour en revenir à celle de Ministère du Travail en 1939. Il s’agit aujourd’hui du Ministère du Travail et des Affaires sociales (Ministerio de Trabajo y Asuntas Sociales).
En Finlande ce Ministère trouve ses origines dans l’histoire sociale de la Finlande depuis son indépendance. En 1970 est créé un Ministère de la Force de Travail, suivi en 1989 d’un Ministère du Travail (Työministeriö). En 1997, les compétences en matière de santé sécurité sont transférées au Ministère des affaires sociales et de la santé. Les évolutions du périmètre des institutions centrales intéressées aux problématiques du travail révèlent une difficulté à tracer la ligne de démarcation entre Ministère du Travail et Ministère des Affaires sociales.
En République Tchèque, le Ministère du Travail et des Affaires sociales est créé en 1990 et est responsable de la politique sociale (handicap, politiques de la famille), de la sécurité sociale, de l’emploi, de la législation du travail et de la santé sécurité.
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