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AlainRarement en France un débat n’a autant été marqué, d’emblée, par son environnement européen. Il est vrai que la nécessité de mettre fin aux préretraites, et plus généralement, de rompre avec ce que le vingtième siècle a considéré comme un progrès, à savoir travailler moins, s’est imposé en même temps à tous. Les motifs sont connus. L’allongement de l’espérance de vie et la faible natalité, et pas seulement les départs en retraite des baby boomers, risquent d’entraîner un renversement du rapport entre population active et population totale. Ce renversement modifie totalement les termes de l’équilibre financier des régimes de retraites par répartition. Il est également très inquiétant pour l’activité économique. La perspective d’une baisse de la population et de possibles pénuries de main d’œuvre ne peut nous laisser sans réaction. Les marges de manœuvre liées à une augmentation de l’emploi féminin sont aujourd’hui très faibles, même dans les pays latins ou les nouveaux membres de l’Union européenne, le recours à une nouvelle immigration est globalement redouté (pour de bonnes et de mauvaises raisons sans doute). L’augmentation de la productivité, dans une économie de l’innovation et des services, n’est pas possible à l’infini. Il ne reste alors qu’une solution : convaincre les salariés comme les employeurs qu’il faut travailler plus longtemps. Mais sur ce point, la France est un bien mauvais élève. Le taux d’emploi des 55/64 ans est de l’ordre de 36% alors que l’objectif européen est de 50%.

De l’amélioration des conditions de travail à la personnalisation des fins de carrière

Dès lors, la France s’est mise en quête de modèles extérieurs et de ses « bonnes pratiques ». L’Europe du Nord est particulièrement enviée. Les rapports et publications, mettant en lumière une grande variété de pratiques, fleurissent. Ces politiques peuvent être regroupées en deux grands ensembles : celles qui s’attaquent à l’amélioration des conditions de travail et celles qui visent à organiser la personnalisation des fins de carrière. Dans la première catégorie, on trouve des pratiques classiques, comme l’adaptation ergonomique des postes de travail, l’aménagement des horaires et des rythmes, l’évitement du travail de nuit ou d’emploi à fort potentiel de stress par exemple. Apparaissent aussi des expériences plus innovantes et plus volontaristes. Celles-ci rencontrent peu d’écho en France. Le temps partiel, très développé dans des pays comme la Finlande ou la Suède, un nombre croissant de jours de repos, la constitution d’équipes composées exclusivement de seniors mises en place chez Volvo, ou les politiques en faveur du maintien des capacités de travail (sport, remise en forme, hygiène de vie -aide des entreprises à ceux qui arrêtent de fumer, se remettent au sport, partent en thalassothérapie- …) conservent leur exotisme.

Du côté de la personnalisation des fins de carrière, on trouve les mesures financières qui permettent de choisir l’âge auquel on part en retraite, ou en retraite progressive, sans incidence négative sur le niveau de la retraite à venir. En Finlande, le départ à la retraite peut s’effectuer entre 62 et 68 ans avec de fortes incitations financières pour travailler le plus longtemps possible (la pension est majorée de 4,5% par an après 63 ans). On trouve également des mesures pour maintenir l’intérêt du travail en fin carrière : maintien des possibilités de formation, des mobilités, ascendantes ou non, mobilisation de l’expertise pour le tutorat ou au sein de projets transversaux, pour le conseil interne ou externe grâce aux pratiques de skill pooling (mise à disposition des compétences) en Belgique notamment, qui ont l’avantage de mettre les PME dans le coup.

Des politiques globales et cohérentes

L’objet ici n’est pas de développer plus avant ces exemples, mais de se demander pourquoi ces « bonnes pratiques » connues en France, analysées et racontées dans de multiples cercles et colloques (Développement et Emploi a animé un groupe d’entreprises sur ce sujet en 2004-2005), n’ont finalement pas, ou très peu, nourri le débat et influencé les pratiques en France. Deux hypothèses peuvent être formulées. A y regarder de plus près, des éléments objectifs sont différents, en particulier le poids de l’industrie n’est pas le même (on vieillit plus facilement dans la banque ou le commerce) et la perspective d’une proche difficulté à recruter n’est pas aussi forte d’un pays à l’autre (le taux de chômage n’est pas le même…). Cette appréhension influence fortement la volonté des employeurs à favoriser le maintien dans l’emploi en fin de carrière. Mais le plus important réside sans doute dans la cohérence des politiques publiques dans lesquelles ces pratiques des acteurs économiques s’inscrivent. Pour faire reculer de 58 à 59,6 ans l’âge moyen de départ en retraite, la Finlande a mis en place de 1999 à 2002 un premier programme national pour les travailleurs âgés, suivi d’un second programme de 2003 à 2007. Ces programmes très globaux traitant les aspects financiers, les politiques de prévention, la promotion des bons comportements des employeurs et des employés, ont fait l’objet d’un accord des partenaires sociaux et d’une très forte communication, autour de « l’expérience est une richesse nationale ». Le Royaume Uni dans un contexte politique et syndical différent, a valorisé avec le « New Deal 50+ », la richesse de la diversité des âges et plutôt placé le maintien dans l’emploi ou l’embauche des seniors dans le registre de la lutte contre les discriminations. La communication a porté sur les entreprises « vertueuses ». C’est ainsi que Margaret, livreuse de pizza de 54 ans a été élue salariée de l’année chez Dominos pizza, et s’est déclarée heureuse à son âge de faire ce métier…

Et en France ?

En France ? Le Conseil d’orientation des retraites fait un excellent travail, mais orienté vers la question, et la réforme, des retraites. Il n’a pas vocation à influencer les pratiques des employeurs, privés et publics. La réforme de la formation professionnelle continue se fixe comme objectif de donner accès aux « oubliés de la formation » que sont la plupart des salariés de plus de 45 ans. Un CDD « senior » a fait l’objet de négociations entre les partenaires sociaux. Une campagne de communication cherche à nous convaincre « qu’après 50 ans on est encore en pleine possession de ses moyens physiques et intellectuels », avec tellement d’emphase qu’elle ne peut que semer le doute. Et pendant ce temps les départs anticipés en retraite, en cas de licenciements collectifs, pour les éviter ou pour des motifs personnels, se poursuivent en faisant l’objet d’une quasi unanimité….

Deux erreurs peuvent expliquer que cette bonne idée, « aller voir en Europe pour être plus imaginatif et plus intelligent », n’a pratiquement rien produit (à part un peu de mauvaise conscience peut-être !). La première, connue, est qu’il n’est pas possible d’isoler une pratique, fût-elle bonne, de l’ensemble dans lequel elle se développe. C’est particulièrement vrai dans ce cas. Les pratiques d’entreprises, de restructuration, de gestion des carrières ou d’animation des relations sociales, y sont étroitement liées aux politiques publiques et aux systèmes de protection sociale. La deuxième raison est liée à notre capacité à organiser ce type de débat. Les expériences menées dans d’autres pays ont suscité, non pas un surcroît de réflexion, d’imagination ou d’initiatives, mais une série d’injonctions. Les employeurs, les salariés, et un peu moins les pouvoirs publics, ont été sommés d’imiter les « bonnes pratiques » (encore elles!) ou de « rattraper leur retard ». Nous avons confondu la recherche de solutions à partir d’expériences et autour d’arguments qui en soient issus, avec la production d’arguments d’autorité et de discours normatifs. Fussent-ils prononcés au nom d’une improbable conformité européenne, ils avaient peu de chance de faire avancer cette recherche de solutions concrètes et concertées à un vrai problème. Celui d’un nouveau pacte, à construire, entre générations.

Jean-Marie Bergère

– « L’âge de l’emploi. Les sociétés à l’épreuve du vieillissement », Anne-Marie Guillemard (2003)

– « L’emploi des salariés de plus de 55 ans en Europe du Nord », Dominique Redor et Violaine Delteil, DARES ( 2003)

– « Age et conditions de travail dans l’Union Européenne » , Anne-Françoise Molinié, CREAPT et le Fondation de Dublin (2003)

– « La Finlande, un pays où les salariés vieillissent bien », Emmanuelle Pirat, CFDT magazine (2004).

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Directeur d’une Agence régionale de développement économique de 1994 à 2001, puis de l’Association Développement et Emploi, devenue ASTREES, de 2002 à 2011. A la Fondation de France, Président du Comité Emploi de 2012 à 2018 et du Comité Acteurs clés de changement-Inventer demain, depuis 2020. Membre du Conseil Scientifique de l’Observatoire des cadres et du management. Consultant et formateur indépendant. Philosophe de formation, cinéphile depuis toujours, curieux de tout et raisonnablement éclectique.