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par Thomas Schnee

Entretien avec le professeur Thomas Lobinger, titulaire de la chaire de droit du travail, droit civil et droit commercial à l’université de Heidelberg.


Début août, le Tribunal du travail de Nüremberg a rendu une ordonnance de référé interdisant au GDL de faire grève. Etait-ce justifié ?

Mes collègues et moi-même sommes tous d’accord sur le fait que cette décision n’était pas justifiée. Le Tribunal s’est appuyé sur une clause du droit de grève qui estime que la grève peut être déclarée illégale si les dommages, internes et externes, causés par celle-ci ne sont pas en rapport avec ses objectifs. L’utilisation de cet argument est problématique. En effet, une grève est toujours préjudiciable à un tiers. C’est dans sa nature même. Lorsqu’un conflit survient chez un constructeur automobile, les sous-traitants sont aussi touchés. Seule une grève qui mettrait en danger la survie de l’entreprise pourrait être interdite. Mais je n’ai pas un tel exemple en mémoire. Dans le cas de la Deutsche Bahn et du syndicat GDL, le droit de grève a été respecté et la justification du tribunal était tirée par les cheveux.

Le Tribunal est finalement revenu sur sa décision….

Pas tout à fait. Dans la procédure de référé, il n’y a pas d’audition des parties. Cette dernière n’intervient qu’après l’ordonnance. C’est ce qui a eu lieu et a débouché sur un compromis entre la Deutsche Bahn et le GDL. L’ordonnance a donc été annulée comme le prévoit la loi. Il est cependant probable que le tribunal se soit réjouit de se voir « libéré » d’une décision extrêmement discutable.

Les recours aux tribunaux pour bloquer une grève ont-ils augmenté ces dernières années ?

Nous n’avons pas de statistiques sur le sujet mais ces recours sont fréquents. Ce qui est plus rare, c’est qu’un tribunal interdise une grève. D’où la médiatisation de cette décision.

Il n’y a donc pas de pression pour limiter le droit de grève en Allemagne ?

Non. L’Allemagne n’a pas une culture de la grève comme la France. On discute parfois de limitations possibles, dans le domaine des services publics, du ramassage des ordures par exemple, où encore de l’introduction d’une médiation forcée comme c’est possible en Suisse. Mais tout cela reste au stade de la discussion.

Que pensez-vous de la nouvelle loi française sur le service minimum ?

Je n’ai pas encore eu la possibilité d’en étudier les implications. Je note simplement qu’en Allemagne, il est interdit de lancer une grève politique, pour protester contre le vote d’une loi par exemple. Et que le mélange entre protestation politique et grève est inconcevable. Ici, dresser des barricades, bloquer des routes ou brûler des cargaisons, ce n’est pas faire la grève.

Le GDL demande de négocier son propre accord collectif. Est-ce légal ?

Tout à fait. A partir du moment où un syndicat est représentatif dans un secteur, ce qui est le cas du GDL, il a parfaitement le droit d’exiger son propre accord collectif, et de se mettre en grève pour l’obtenir. Actuellement, la crise des grandes organisations syndicales, où les membres de telle ou telle profession ne se sentent plus représentés, débouche sur l’apparition de petits syndicats sectoriels qui revendiquent, comme les pilotes dans l’aviation ou les médecins hospitaliers, des accords spécifiques. De ce fait, il est possible qu’à l’avenir, il y ait plus de grèves en Allemagne.

Propos recueillis par Thomas Schnee

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