De la Scandinavie à la Méditerranée comme à l’Est, le conflit social est toujours et un échec de la parole et un moment privilégié de sa libération, pour peu qu’au-delà de la Direction et des organisations syndicales, on sache écouter ce qu’en dit le personnel.
En France, 30 ans d’analyse des conflits dans le public, le privé et l’administration, conduites en impliquant direction, syndicats et personnel m’ont toujours donné à voir deux faits très significatifs. Les causes du conflit vues par la direction et les organisations syndicales se recoupent largement. Le personnel a en revanche une perception fort différente.
Cette double cécité hiérarchique et syndicale est au nœud des difficultés de nos rapports sociaux. Et les syndicalistes ne sont pas les seuls à éprouver les plus grandes difficultés à combler leurs carences.
Dans la plupart de nos entreprises, et plus encore dans nos entreprises publiques et nos administrations, le mal tient au fait que syndicats et hiérarchies sont imprégnés d’une culture managériale qui appartient au passé, une époque où le travail faisait l’objet de prescriptions détaillées qu’il suffisait d’appliquer. Ainsi en France, les structures et l’organisation sont des instruments conçus à un instant T pour coordonner le collectif de travail. De fait, elles s’éternisent en permanence comme telles et deviennent quasiment des fins en soi auxquelles hiérarchie et militants syndicaux s’identifient. Ainsi, la moindre réforme d’organisation peut être prise pour une atteinte à la identité du responsable hiérarchique ou du syndicaliste.
On est d’abord conducteur avant d’être RATP, SNCF ou syndicaliste
L’analyse des conflits révèle la différence de perceptions entre d’un côté le personnel et de l’autre, direction et organisations syndicales. L’analyse informe de l’existence d’une rupture d’avec les réalités du terrain, dans le lien hiérarchique comme dans le lien syndical. En résulte une maîtrise défaillante de la Direction vis-à-vis des cadres, des agents de maîtrise et des employés qui n’a d’équivalent que celle des directions syndicales vis à vis des syndicats du terrain.
Le bon vieux cloisonnement organisationnel, qui rend la prise en compte de l’intérêt général très difficile, se double d’un exercice de la transversalité devenu de plus en plus délicat. De cette situation naissent les corporatismes managériaux et syndicaux. Par exemple, on est d’abord conducteur avant d’être RATP ou SNCF et plus revendicatif de sa communauté de métier que de l’intérêt général. Syndicalement, même encarté, on est peu sensible à l’attachement confédéral.
En France, un accord collectif est toujours à durée indéterminée. On est incapable de penser des accords temporaires, « renégociables » en fonction de l’évolution des nécessités. Le contrôle des accords n’est souvent qu’un suivi de la conformité aux procédures qu’ils ont définies. Ce n’est quasiment jamais un suivi de l’opérationnalité des termes de l’accord aux évolutions effectives des contenus du travail, de la relation de travail et de l’efficacité du travail. Et tout cela est loin d’être exhaustif de ce qui fait la vulnérabilité managériale et sociale de l’entreprise, vulnérabilité encore accrue dans nos administrations.
C’est là que résident les sources de la conflictualité rentrée, la plus dangereuse, comme celles de la conflictualité manifeste.
C’est là également que se trouve la clef des nuisances qui affectent la qualité de la relation de travail et donc la compétitivité, dans le privé comme dans le public.
En quoi la mise en place d’un service minimum, quand bien même serait-il matériellement possible, s’attache-t-il à traiter cette question ?
Henri Vacquin
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