Entretien avec Rebekah Smith, responsable des questions de santé et de sécurité au travail de Businesseurope et Jürgen Rønnest, directeur du comité des affaires sociales de Bussinesseurope.
Toutes les trois minutes et demie, quelqu’un meurt au sein de l’UE de causes liées au travail. Plus de 150 000 décès sont dus à des accidents liés au travail ou à des maladies professionnelles. Peut-on penser que les conditions de travail se dégradent ?
Rebekah Smith: Les conditions de travail ne se dégradent pas. Toutefois, il existe des nouveaux défis que le monde du travail connaît avec une attention accrue sur les risques psychosociaux.
Quels sont ces risques ?
R.S. : C’est un problème très complexe qui a des conséquences diverses pour les travailleurs individuels, en particulier parce que les risques sont basés sur plusieurs facteurs. Ils dépendent du secteur de travail, du type de travail ainsi que d’autres critères beaucoup plus subjectifs. Par exemple, comment une personne gère-t-elle le stress, les conflits, la violence, le harcèlement ? C’est important d’observer ces problématiques d’un point de vue scientifique en se demandant quel est l’impact sur la santé d’un individu, plutôt que de choisir un point de vue purement subjectif.
Comment prévenir cette charge psychosociale ?
R.S. : Le défi des employeurs est d’aborder les risques psychosociaux par la prévention sur le terrain et une gestion des risques appropriés. Il existe déjà un cadre législatif considérable qui protège la santé et la sécurité des travailleurs. Il comprend des obligations générales de la part de l’employeur, ainsi que des obligations plus spécifiques pour prévenir les risques liés aux Troubles Musculo-Squelettiques (TMS), par exemple en ce qui concerne les postes de travail ou la manutention manuelle de charges, ou encore des exigences ergonomiques pour les équipements de protection individuelle. Si on respecte la législation existante sur la santé et la sécurité, et si l’on suit le guide de bonnes pratiques, on peut facilement prévenir bon nombre de problèmes, ou tout du moins les réduire.
Metis : Quels progrès peut-on envisager ?
R.S. : S’il fallait procéder à d’éventuelles améliorations, ce serait par l’application et la simplification des règles existantes. La priorité maintenant c’est d’élaborer des guides par secteurs et par lieu de travail, dont l’ambition soit d’analyser le manque de savoir-faire et de permettre aux compagnies de développer des solutions adaptées à leurs besoins.
BusinessEurope a pris part à la signature de deux accords-cadre sur le Stress (en 2004) et la violence au travail (en 2007) conjointement avec d’autres partenaires sociaux européens. Pourquoi ?
Jürgen Rønnest : Le dialogue entre les partenaires sociaux européens, c’est-à-dire entre les syndicats et les employeurs, a connu une montée en puissance depuis le milieu des années 80. Il a même acquis un certain pouvoir d’impulsion législative depuis 2003. Les accords-cadre Stress et Violence sont qualifiés d’autonomes, car ils sont mis en œuvre directement par les partenaires sociaux. A l’inverse, les accords précédents comme le congé parental, étaient mis en œuvre au niveau national par la voie d’une directive européenne adoptée par le Conseil des Ministres. Cette catégorie d’accords promeut l’autonomie des partenaires sociaux. C’est une démarche bénéfique qui découle d’une forte volonté de travailler ensemble. Ces accords seront ensuite appliqués en fonction des traditions nationales.
Quelles sont vos attentes concernant leur mise en œuvre ?
J.R. : Il s’agit à présent de passer à la mise en œuvre au niveau national. Celle de l’accord Stress est bien avancée. Les partenaires sociaux ont la responsabilité de transposer l’accord en droit national. Certains le font par la voie législative, d’autres rédigent des accords collectifs. Cette flexibilité de moyens de transposition permet la bonne prise en compte des différentes cultures présentes en Europe. Le suivi de la mise en œuvre incombe aux partenaires sociaux de bout en bout. Un rapport final relatant les diverses transpositions au niveau national de l’accord Stress va d’ailleurs être adopté dans le courant de l’année. La mise en œuvre de l’accord similaire sur la violence et le harcèlement au travail n’est pas encore très avancée car il est encore récent.
En France, l’accord est en cours de négociation pour être intégré dans un projet sur la pénibilité du travail. Au Portugal, les initiatives sont plutôt le fait de compagnies. Le stress est le problème de santé le plus répandu dans le monde du travail, il affecte 22 % des travailleurs de l’UE, d’après l’agence européenne pour la sécurité et la santé au travail, Quelle est l’utilité de ces accords ?
J.R. : Ces accords-cadre sont utiles, car leur existence permet d’attirer l’attention des gouvernements sur des problèmes communs aux pays de l’UE. Ils permettent aux différents pays de l’Union Européenne d’adopter une approche commune pour répondre efficacement aux risques générés par le stress (dépression, maladie cardio-vasculaires, suicide). Jusqu’ici, les résultats s’avèrent plutôt positifs, même si le stress ne va pas disparaître pour autant. Chaque Etat suit son rythme. Parmi les 29 pays (la Norvège et l’Islande sont parties prenantes), certains possèdent déjà un arsenal de gestion du stress conséquent, d’autres notamment les pays ex-communistes ont dû inventer un système de toutes pièces.
Pourquoi ces accords s’avèrent-ils nécessaires ? Les conditions de travail se dégradent-elles ?
J.R. : Non, loin de constater une quelconque dégradation ces accords sont justement le signe que les conditions de travail en Europe s’améliorent. En proportion, les maladies professionnelles sont moins fréquentes qu’auparavant. Les personnes travaillent dans de meilleures conditions et gagnent mieux leur vie. Le fait est qu’on se penche à présent sur le stress et la violence au travail, alors que ceux-ci étaient considérés comme des problèmes mineurs auparavant. D’ailleurs tous les Etats membres se sentent concernés par ces avancées.
Propos recueillis par Clotilde de Gastines
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