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par Véronique Barla

Il n’est pas contestable que le débat qui vient de se conclure entre les représentants du patronat et les confédérations syndicales revêt une importance historique. Si, dans le cadre d’analyses qui ont pu s’avérer différentes, tout le monde partage le constat de la crise du syndicalisme et le souci de restaurer sa légitimité, la position commune des partenaires sociaux constitue indéniablement le pas qu’il fallait franchir pour poursuivre la réflexion à d’autres niveaux et imaginer des solutions adaptées à l’évolution des relations professionnelles et sociales au sein des branches professionnelles et dans les entreprises.

 

leaders syndicaux

Chacun peut déjà trouver dans ces dispositions les premières réponses aux questions posées sur la reconnaissance de la représentativité ou sur les règles de validité des accords collectifs. Ce qui compte maintenant c’est d’essayer de ne pas tomber dans le travers, trop souvent répandu dans nombre de débats politiques ou de société, d’un raisonnement globalisant et égalitariste, et d’éviter les faux questionnements.

 

La première « fausse route » possible est celle qui consiste à vouloir continuer de rêver à un syndicalisme de masse, qui tirerait sa puissance du nombre de ses adhérents. Quelles qu’en soient les raisons, le militantisme, politique ou syndical, des années 60/70 est bien mort et aucune règle, législative ou conventionnelle, ne permettra qu’il renaisse. Et alors ? Aurait-on envie de dire… excepté le regret idéologique que l’on peut en avoir, est-ce si important aujourd’hui ? Qui prétendrait par exemple qu’une armée de métier est moins efficace ou moins au service de son pays qu’une armée de conscription ? L’essentiel n’est-il pas aujourd’hui de rendre plus visible aux yeux des salariés les avantages qu’ils peuvent réellement tirer des résultats de la négociation collective, dès lors que les règles de légitimation des accords collectifs sont acceptées de tous ? Or de ce point de vue, les résultats des élections professionnelles, dès lors qu’existe un fort taux de participation des salariés, comme c’est le cas dans plusieurs grandes entreprises sont un facteur de légitimation des OS bien plus important que le nombre de leurs adhérents, qu’on ignore d’ailleurs dans la plupart des cas…

 

Ce qui importe, c’est d’établir la sécurité et la transparence juridiques des pratiques de financement

 

Dans le prolongement de ce questionnement se pose ensuite la question du financement des organisations syndicales. La position commune prévoit que les cotisations des adhérents doivent représenter « la partie principale de leurs ressources ». On peut naturellement comprendre les raisons d’un tel choix, notamment en regard de la garantie d’indépendance qu’une telle situation procure à toute organisation. Mais en continuant de se poser des questions à propos du financement des organisations syndicales qu’on ne se pose plus depuis longtemps à propos des partis politiques, on risque fort de re-faire semblant tôt ou tard de découvrir qu’il existe encore des pratiques occultes de financement du syndicalisme. Dans nombre de grandes entreprises aujourd’hui, la dotation en moyens conventionnels (connus ou amiables…) des organisations syndicales est un usage établi et revêt de multiples aspects (crédits d’heures, mises à disposition de personnel, aide au paiement de locaux…). Il n’y a que les observateurs mal avertis pour croire qu’il s’agit de combines ou de tentatives d’asservissement des organisations syndicales. Ce qui importe aujourd’hui c’est bien d’établir la sécurité et la transparence juridiques de ces pratiques, en particulier sur la question des mises à disposition de personnel au bénéfice des organisations syndicales. Espérons que les pouvoirs publics reprendront rapidement à leur compte ce souhait justement exprimé par les partenaires sociaux dans leur position commune.

 

Des effets radicalement différents dans les PME et dans les grandes entreprises

 

Un autre travers dans lequel il conviendrait de ne pas tomber est celui de l’édiction de normes aux effets contre productifs aux objectifs poursuivis, du fait d’une approche trop indifférenciée de la diversité des entreprises. La situation du syndicalisme dans les petites entreprises est sans analogie avec celle des grands groupes. Or certaines mesures propres à combattre le désert syndical dans les Pme-pmi peuvent, appliquées dans les grandes entreprises, conduire à un émiettement syndical dont elles n’ont nul besoin aujourd’hui. Il en est probablement ainsi d’au moins deux des préconisations de la position commune. La première prévoit que toute organisation syndicale normalement constituée depuis au moins deux ans et remplissant les conditions d’indépendance et de respect des valeurs républicaines sera habilitée à présenter des candidats aux élections des représentants du personnel. La seconde prévoit que les organisations syndicales répondant à ces mêmes conditions pourront constituer une section syndicale d’entreprise, dotée des mêmes prérogatives qu’actuellement et, dans les entreprises de plus de 50 salariés, pouvant désigner un délégué syndical, salarié protégé, sans pouvoir de négociation. On peut imaginer que, sur le terrain de l’expérimentation, de telles mesures peuvent permettre l’émergence d’une vie syndicale et l’avènement progressif de relations sociales dans nombre de petites ou moyennes entreprises qui en sont actuellement dépourvues. Mais leur application dans les grandes entreprises peut à l’inverse conduire à accentuer le pluralisme syndical, notamment par la création de syndicats corporatistes, ou plus fréquemment par l’opportunité ainsi offerte à des organisations actuellement non représentatives d’asseoir leur implantation. Il deviendrait alors pour le moins paradoxal que l’introduction de seuils de résultats aux élections professionnelles, principalement destinée à conforter la représentativité des organisations syndicales majoritaires et à favoriser les rassemblements ou alliances des minoritaires, soit contrebalancée par une multiplicité accrue des organisations syndicales, à des niveaux plus décentralisés. Il est certain qu’il y aurait là matière à un contresens désastreux pour quelques grandes entreprises, dans lesquelles les questions de la représentativité des OS ne se posent pas, et pour lesquelles le dialogue social aurait beaucoup à perdre avec l’arrivée de nouveaux « petits » acteurs.

 

De possibles aberrations

 

Il importe enfin que le débat engagé, d’abord entre partenaires sociaux, puis demain avec les pouvoirs publics, permette d’en finir avec quelques contraintes juridiques dont on peut comprendre qu’elles sont le résultat d’une volonté protectrice des salariés, mais dont la mise en œuvre conduit parfois à de véritables aberrations. Se faisant indirectement l’écho de l’une d’entre elles, la position commune recommande d’aborder la question des salariés prestataires élus dans une entreprise qui n’est pas la leur. Au delà des lourdes contraintes techniques que la législation relative à l’intégration des personnels des entreprises extérieures dans le corps électoral d’une entreprise impose, il se trouve que la présence d’élus « prestataires » dans les IRP d’une entreprise soulève aujourd’hui des questions non résolues. Par exemple : que devient le mandat du prestataire élu dans une entreprise qui n’est pas la sienne, dans l’hypothèse d’une rupture de contrat entre celle-ci et l’entreprise prestataire dont il relève ? Comment répercuter les coûts inhérents à l’exercice de son mandat par un salarié prestataire et dédommager l’entreprise dont il relève du temps qu’il passe à l’exercer ? Comment s’assurer de la confidentialité des documents transmis au salarié prestataire titulaire d’un mandat électif ? et enfin comment obtenir les données relatives à la masse salariale d’une entreprise externe, à inclure dans le calcul de la subvention de fonctionnement du comité d’établissement, sans risque pour les futurs appels d’offres et le renouvellement des contrats ?

 

Le débat sur l’ensemble de ces questions est loin d’être clos. Les partenaires sociaux ont le mérite de les avoir enfin posées, et pour certaines d’entre elles, d’avoir d’ores et déjà suggéré d’importantes évolutions. Il est désormais essentiel que ce débat se poursuive et aboutisse, dans le cadre d’une loi, pour que le syndicalisme reste un syndicalisme… vivant.

 

Véronique Barla
Responsable du pôle Dialogue social France d’EDF-SA

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