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par Greg Thomson, UNISON

Paradoxalement, la grève de Lindsey s’avère très européenne et ses rebondissements sont plus complexes et nuancés qu’il n’y parait

Greve Total Lindsey

Les images de grévistes devant la raffinerie Total de Lindsey réclamant « Des emplois britanniques pour les travailleurs britanniques » ont immanquablement attiré l’intérêt des médias à travers l’Europe. La grève contre le recours à des travailleurs italiens n’est-elle qu’un énième exemple de l’absence de conscience européenne des Britanniques ?
 
Dans toute l’Europe, les travailleurs ont manifesté pour l’emploi, en France, comme en Bulgarie, en Lettonie ou en Grèce. Selon l’OIT, la récession mondiale menacerait jusqu’à 50 millions d’emplois dans le monde cette année. Normal donc que les salariés soient préoccupés par la sécurité de l’emploi. Il leur est déjà plus difficile de formuler des revendications pour atténuer les conséquences de la récession. Les gouvernements ont réagi à la crise financière en déversant des milliards d’euros aux banques. Beaucoup ont le sentiment que leur gouvernement renfloue les personnes responsables de la crise. C’est peut-être une étape nécessaire pour faire face à la crise financière, mais ce n’est pas suffisant. Les gouvernements doivent faire davantage pour répondre aux questions que se posent les gens ordinaires sur la façon dont la récession va les affecter. Les manifestations ont mis en avant l’insuffisance des pouvoirs publics face à la crise. Ironie du sort, l’auteur du slogan « Des emplois britanniques pour les travailleurs britanniques » est le Premier ministre Gordon Brown en personne ! Son adoption par les grévistes britanniques fait écho à une critique similaire scandée par des manifestants dans toute l’Europe. 
 
Tout ça, me direz-vous, est un différend qui porte sur l’occupation de postes britanniques par des travailleurs étrangers ? C’est ici, que les choses se compliquent. Selon les grévistes, les travailleurs italiens détachés d’Italie par leur employeur, perçoivent un salaire inférieur aux barèmes en vigueur. Total, propriétaire de la raffinerie rejette cette accusation. Mais en vertu de la directive sur les travailleurs détachés, il est parfaitement possible de faire appel à des travailleurs d’un autre pays sans se soumettre aux barèmes et aux conditions de travail. C’est la raison pour laquelle les syndicats européens exigent que la directive soit modifiée afin de s’assurer que cela ne conduise pas à ce que l’on appelle au Royaume-Uni « une course vers le bas ».

Xénophobie ou dumping social ?

En fait, les Britanniques n’ont pas vraiment raison de se plaindre de cette directive. S’il est vrai qu’il y a 15.000 Européens détachés au Royaume-Uni, 47 000 Britanniques sont détachés dans d’autres Etats européens. Pour la plupart des travailleurs britanniques, la directive est un mystère, ils connaissent l’utilisation généralisée de la sous-traitance et l’absence de taux de rémunération conventionnés. Dans le monde anglo-saxon, le modèle économique offre à l’employeur la liberté de payer un montant inférieur à ce taux pour créer plus d’emplois. Maintenant que la récession s’installe, les promesses de créations d’emplois sonnent creux. Alors pourquoi les travailleurs devraient-ils continuer à accepter ce système ?  
 
Ce triptyque illustre l’histoire de la raffinerie de Lindsey : le mécontentement envers le gouvernement, les préoccupations autour de la directive sur les travailleurs détachés et l’opposition au dumping social. Pourtant ce que l’on retient du conflit, c’est le slogan « Des emplois britanniques pour les Britanniques ». Malgré toutes les analogies que peut avoir cette grève avec les autres manifestations européennes, le conflit a de légers relents de xénophobie. Après tout, le différend n’a été réglé que lorsque Total a recruté des Britanniques supplémentaires. 
 
Au cours des dix dernières années, l’immigration est devenue l’enjeu politique le plus important. Plus de 40% de la population britannique estime que c’est la préoccupation numéro un, selon un rapport de la Chambre des Lords publié en avril 2008. Les immigrés représentent environ 12% de la main-d’œuvre au Royaume-Uni. Les responsables politiques sont de plus en plus réticents à promouvoir l’immigration alors que les travailleurs britanniques perdent  leur emploi. La presse a vite fait de publier des récits alarmistes du genre : « Ils vont voler nos emplois! ». Dès lors, le conflit de Lindsey a été perçu comme le baromètre manifeste de l’antipathie  de la classe ouvrière pour les travailleurs migrants. De fait, ce baromètre n’est pas fiable, car les migrants qui travaillent dans les raffineries et les centrales électriques où les actions ont eu lieu sont peu nombreux. Le TUC britannique et les syndicats britanniques ont été très clairs sur cette question. Selon eux, les travailleurs étrangers ne sont pas la cible, l’objectif est de garantir l’accès à l’emploi et une rémunération équitable pour tous les travailleurs. 

Des arguments pour extrémistes

Lors d’une récession, il est toujours plus facile de blâmer l’étranger, que de chercher les véritables raisons qui sont à la fois plus complexes et moins tangibles. Après tout, c’est ce que Hitler et Mussolini ont fait dans les années 1930. Les partis d’extrême droite, comme le British National Party BNP, cherchent déjà à faire leur beurre sur ce conflit. Le gouvernement ne doit pas fournir d’arguments aux fanatiques et aux xénophobes. De fait, les migrants contribuent de manière vitale à l’économie britannique et aux services publics. Si l’économie redevient florissante, le Royaume-Uni aura besoin de l’effort conjoint des entreprises et des compétences des migrants. Ce problème ne se limite pas à la Grande-Bretagne, il s’agit de la libre circulation des travailleurs à travers toute l’Europe.  
 
Pour les gouvernements européens et ceux d’entre nous qui veulent éviter les erreurs du passé, il faut s’attaquer aux vraies questions soulevées par ce litige. Le sentiment d’impuissance des travailleurs qui sont confrontés à une récession mondiale. Les gouvernements doivent se positionner aux côtés de l’homme de la rue et non se contenter de sauver les banquiers. Mettre fin à l’iniquité de la directive sur les travailleurs détachés serait un pas dans la bonne direction. Lutter contre les inégalités du système des contrats de travail, de sorte qu’il ne se réduise pas à un exercice de style pour réduire les salaires, serait une autre étape importante. Il faut de plus agir au niveau national et européen afin de réduire les conséquences des restructurations sur la santé. En l’absence d’une action significative des gouvernements et de l’Europe, le chant des  sirènes serait trop content de combler le silence pour semer la discorde et la haine entre les travailleurs de différents pays.  

La morale de l’histoire de Total, montre l’urgence de répondre aux préoccupations des travailleurs, car cette période de récession sans commune mesure depuis la grande dépression pourrait laisser place à tous ceux qui souhaitent instiller les ferments de haine raciale dans la société.

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