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par Pierre Tartakowsky

Le Forum social sert-il à quelque chose ? Oui, indéniablement. Peut-on savoir à quoi ? Pas de façon évidente. Telle est l’asymptote qui accompagne la marche des Forums depuis sa première édition à Porto Alegre en 2001.

 

Sur le Forum 2011 de Dakar : lire Altermondialisme, paradoxes des Forums sociaux

 

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Essayons ici de cerner les termes d’une réponse la moins elliptique possible. Ce qu’il est convenu d’appeler de façon significative « le processus des Forums » se subdivise de fait – et quasi à l’infini – en de multiples volets. On s’attachera ici à distinguer trois dimensions majeures.

 

La première est géographique. Au fil de ses pérégrinations, le Forum mondial a, bon an mal an, enraciné sa présence et ses thématiques, dans les réalités continentales de la mondialisation. Il s’est ainsi nourri de la complexité de situations certes « mondialisées » mais qui conservent une forte autonomie culturelle et/ou politique : budget participatif de Porto Alegre, Dalits d’Inde, développement continental Africain au Kenya, conditions de survie de l’espèce à Belém. Ce n’est qu’à ce prix qu’a pu se développer ce nouveau récit des origines porté par ce mot d’ordre à la fois pragmatique et utopique : « un autre monde est possible ».

 

De l’anti à l’altermondialisme

 

La géographique ayant des liens étroits avec l’histoire, la seconde dimension se nourrit de la première. L’errance géographique a nourri un contenu et des évolutions fortes dans les préoccupations affichées. Le premier Forum n’avait d’autre objectif que de simplement exister. Le second était convoqué au banc d’essai de l’opinion publique par l’attentat perpétré contre les Twin Towers. Attentat que le mouvement altermondialiste condamna fermement et sans la moindre hésitation, précipitant une évolution forte lors du troisième Forum : l’intégration soudaine de la question des droits à ses thématiques. C’est là, concrètement, que s’opère réellement le passage de l’anti à l’altermondialisme.

Le quatrième Forum inaugurait l’itinérance et démontrait la capacité de ce mouvement à absorber les contradictions du monde, au-delà des analyses classiques portant sur les inégalités économiques et sociales. Dans ce cadre, on peut considérer que la dernière édition tenue à Belém a joué une double fonction. D’une part, en revenant au Brésil (mais un tout autre Brésil que celui de Porto Alegre), le Forum a repris des forces, un peu à la façon dont Antée tirait puissance de son lien à la terre mère. D’autre part, le fait qu’il se tienne à l’embouchure de l’Amazone lui a permis d’intégrer comme un enjeu les conditions de la perpétuation de l’espèce humaine. L »Appel des Peuples Indigènes au FSM de Belém face à la « crise de civilisation » formule ainsi des pistes alternatives à la marchandisation de la vie en lui opposant des droits collectifs, un « vivre bien » sans lien avec la seule augmentation de la consommation matérielle et une démocratie à la fois plus directe au plan local et plus horizontale au plan mondial. De ce fait, le Forum atteint véritablement une dimension anthropologique.

 

La mutation démocratique

 

La troisième dimension est fille naturelle des voyages et échanges. Nous l’appellerons métissage. De fait, le brassage des acteurs et des thématiques ne conduit ni à la construction d’une sorte de super comité central révolutionnaire mondial (ce qui est heureux), ni totalement à ce que le langage politique classique qualifie de convergences, ou d’alliances. Le phénomène est à la fois moins déclaratif, plus subtil, moins ancré dans les stratégies que dans les évidences. Mais il n’en et pas moins réel. Face au succès quantitatif de la chose, sa durée et ses évolutions, le sceptique est bien contraint de se souvenir que « la preuve du pudding, c’est qu’on le mange ».

Bien évidemment, ces dimensions ne sont pas exclusives. On pourrait ici longuement discuter du rapport au politique dans un continent en mutation démocratique, de la place respective des associations et des églises, du rôle de plus en plus affirmé de la Confédération syndicale internationale, de la place qu’a tenue la crise dans les débats de Belém. L’essentiel restant pourtant d’essayer de cerner les raisons qui font que ce huitième Forum social mondial confirmé son rôle de « bourse aux alternatives et aux coopérations ».

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