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Les services financiers, les banques principalement, mais aussi parfois les assurances, sont à la l’origine de la crise économique la plus mondiale que nous ayons connue. En France et en Europe, le secteur financier n’est peut être pas celui qui en souffrira le plus. La crise va précipiter des évolutions déjà à l’œuvre.

 

D’où vient-on ?

Les marchés en croissance forte (l’élargissement de l’Europe n’y est pas pour rien) se sont développés en même temps que le secteur devenait global. Toutes les sociétés d’Europe de l’Ouest se sont implantées dans les nouveaux Etats membres, quel que soit leur statut, d’où une très grande dépendance de ces pays à la santé des entreprises de l’Ouest. Exemple frappant: 85% du secteur bancaire hongrois dépend des groupes européens de l’Ouest, 90% en Slovaquie.

 

Le secteur de l’assurance augmente régulièrement en volume. La moyenne de prime d’assurance par habitant est ainsi passée en Europe de 1100 € en 1996 à 2174 € en 2006 (Comité Européen des Assurances, Rapport Annuel 2007). Le marché des assurances augmente à proportion du désengagement des Etats providence sur la santé, sur les retraites. Il augmente à proportion de nos angoisses : que n’assure-t-on pas aujourd’hui, depuis son téléphone portable, son chat… jusqu’à ses obsèques ! Côté entreprises, de nombreux « nouveaux risques » apparaissent : risques environnementaux, risques professionnels en tout genre…

 

Le secteur financier, sorti des frontières nationales où il avait été longtemps confiné est ouvert sur le monde entier et dérégulé. Les frontières entres les activités d’assurance et les activités bancaires n’existent plus, les entreprises peuvent acheter et vendre des filiales dans tous les pays. Nombre d’entre elles sont devenus des acteurs à l’échelle du monde.

 

Les volumes d’effectifs témoignent de la réalité de ces « global players » : HSBC compte 312 000 salariés dans le monde, dont 57 000 en Grande-Bretagne, 50 000 aux USA, 29 000 au Brésil et 28 000 à Hong-Kong. Un groupe d’origine française, la Société Générale s’est développé en Russie, en République Tchèque, en Roumanie et sur ses 120 000 salariés, la moitié seulement travaillent en France. On pourrait multiplier les exemples.

 

Mais la « globalisation » a aussi pour les services financiers un autre sens.

Tous les groupes sont devenus accros au marché financier mondial : une entreprise du secteur financier gagne de l’argent avec sa marge opérationnelle, mais aussi 24h/24 en jouant au grand casino mondial dans lequel s’échangent des actifs variés : matières premières, taux de change, actions, dettes des uns et des autres, y compris celles des Etats. A ce jeu, les entreprises sont devenues plus riches, mais aussi plus fragiles. Pour donner une idée : le taux de retour sur investissement du private banking était juste avant la crise de l’ordre de 35%, celui de l’investment banking de 25% et celui de la banque de détail de 16% (AT Kearney, 2008).

 

Le secteur s’est beaucoup concentré dans les dernières années, les banques petites et moyennes ont peu à peu disparu, jusqu’à faire penser à de nombreux experts que les grandes banques et les grandes compagnies d’assurance étaient « too big to fail »( trop grosses pour faire faillite). Effectivement, les Etats et les banques centrales les ont sauvées les unes après les autres, à l’exception de Lehman Brothers aux USA lâchée pour faire un exemple… ou pour d’autres raisons moins avouables.

 

Dans le même temps, les nouvelles technologies ont pris un caractère structurant dans un secteur, dont le métier est d’échanger de l’argent (immatériel) donc des informations sur l’argent. Elles ont modifié les relations clients, générant ici ou ailleurs des call centers, elles ont transformé les back office en plates-formes de traitement de flux d’informations dans lesquelles la plupart des opérations sont automatisées. Elles ont rendu possible les fonctionnements 24h/24 du marché financier mondial.

 

Tous les métiers en ont été changés, et la double compétence – connaître les produits et les processus financiers mais aussi connaître parfaitement le fonctionnement des nouvelles technologies – est devenue la règle.

 

Que change la crise ?

crise banques

Face aux difficultés (effondrement du crédit interbancaire et donc difficultés quotidiennes à se refinancer, mauvais résultats, dépréciation des actifs…), il y a d’abord un énorme besoin de capitaux. De plus, le développement euphorique des années précédentes s’est fait en grande partie aux détriments des ratios de solvabilité (par exemple c’est en 2004 qu’aux Etats-Unis, on a supprimé l’obligation de couvrir tout nouveau type de prêts ou tout nouveau risque par un surplus de capital). En période critique, seuls les Etats peuvent pourvoir à ce besoin en capital (les multiples sauvetages : Northern Rock et RBS en Grande-Bretagne, AIG aux USA, KBC et ING aux Pays-Bas, Dexia en Belgique et en France, Fortis, HypoReal Estate en Allemagne…). En période un peu moins critique, les entreprises ont pu trouver de l’argent sur les marchés : les recapitalisations de la Société Générale, d’Unicredit en Italie, de Santander en Espagne. Barclays et quelques grandes banques d’affaires américaines se sont fait aider par les fonds souverains des pays pétroliers…

 

Conséquence : la crise induit un besoin de recapitalisation qui mène à des rapprochements, voire à des fusions et acquisitions (cf BNP Paribas rachetant Fortis). On assiste donc à une nouvelle étape de concentration et de consolidation du secteur. Toutes les crises qui se sont succédées – les économistes du secteur en comptent une vingtaine depuis 1973 -, ont conduit à de nouvelles concentrations, par exemple en Suède en 1993 ou au Japon à la fin des années 90 où tous les petits établissements ont disparu. Qui dit concentration, fusion et acquisition, dit économies d’échelle et restructurations : on n’en voit pas encore les effets aujourd’hui, mais ils ne sauraient tarder.

 

Face aux difficultés

Il faut rechercher de nouveaux marchés : ceux-ci peuvent se situer encore en Europe de l’Est où de nombreux habitants demeurent « sous-bancarisés », ou bien n’ont pas de polices d’assurance pour leurs biens, leurs voitures… Il y a encore des marges de croissance de ce côté-là. Les nouveaux marchés se trouvent également dans les pays émergents : c’est pourquoi la plupart des grandes entreprises du secteur investissent en Russie, en Ukraine, en Chine, en Inde (bien que le marché financier y soit encore très encadré par des fonctionnements administratifs traditionnels), en Amérique du Sud. La crise ne devrait donc pas conduire à moins de globalisation, mais au contraire à une nouvelle étape dans la globalisation.

 

Les entreprises du secteur ont également besoin de restaurer leurs marges, donc de faire des économies et de diminuer les coûts de production des services. D’ailleurs, si les banques tardent à prêter à nouveau, c’est parce qu’elles utilisent d’abord l’argent public, qu’elles ont reçu à cette restauration de leurs marges et de leurs ratios de solvabilité. C’est pourquoi il eût fallu leur prêter de manière contractuelle avec des engagements précis portant sur les volumes de crédits à engager, tant pour les particuliers que pour les entreprises. Un seul pays européen l’a fait sérieusement, les Pays-Bas. Faire des économies consiste à réduire les coûts de fonctionnement, automatiser tout ce qui peut l’être, en particulier dans les back office, réduire les effectifs, soit en licenciant, soit le plus souvent en ne remplaçant pas les départs à la retraite, très nombreux dès maintenant et dans les années à venir. Ainsi en France et en Allemagne, environ 30% des effectifs vont partir d’ici 2015.

 

Mais l’impact majeur de la crise est peut-être à rechercher du côté de la confiance

Quelque chose s’est brisé dans la confiance entre les clients et les services financiers (banques en particulier). C’est là que va se jouer la principale contradiction : faut-il aller vers des services financiers plus proches du consommateur, dans une relation de conseil à son endroit ou faut-il poursuivre un mouvement déjà engagé d’évolution vers des services à coût réduit appuyés sur des produits standardisés, vendus comme n’importe quel autre type de produits/services ?


Repères

Les services financiers en Europe :
– Les banques, de détail et de dépôts, mais aussi de financement et d’investissement (business banking) : se sont des sociétés privées, mais aussi des mutuelles, parfois des Caisses d’épargne avec participation des autorités régionales comme en Allemagne
– Les sociétés d’assurances, ce sont des compagnies privées mais aussi des mutuelles
– Les intermédiaires – courtiers et agents d’assurance – : un monde de PME et d’indépendants

L’emploi dans les services financiers en Europe :
– 5, 6 millions de salariés, pour l’essentiel en CDI et à temps plein dont 65% dans les banques (essentiellement dans les activités de banque de détail), 20% dans les assurances et 15% d’intermédiaires
– C’est 2,7% de la population active européenne, mais 8% environ du PIB
– C’est un secteur plus qualifié que la moyenne de l’économie et dont les exigences de niveau de formation initiale continuent d’augmenter.

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.