Des membres de l’encadrement régional et départemental du ministère du travail et de l’emploi dressent l’état des lieux des réformes (RGPP) qui ont débuté en décembre 2007. Ils témoignent de l’incertitude et du trouble des cadres et fonctionnaires.
Si la France était une auto et l’Etat son garagiste, la RGPP (révision générale des politiques publiques) ferait office de contrôle technique (révision, vidange et entretien) afin de rendre le meilleur service public au moindre coût.
Sur les chapeaux de roue
L’Etat mène sur les chapeaux de roue sa propre réforme structurelle. La RGPP touche autant aux structures de l’Etat déconcentré qu’à celles de l’Etat central. « Cette réforme de l’Etat est éminemment nécessaire, mais elle comporte un risque. Il se peut qu’elle ne s’accroche pas sur une réforme des collectivités territoriales en redistribuant correctement les compétences, dans ce cas elle ne servirait pas à grand chose. »
Dans le discours officiel (www.rgpp.modernisation.gouv.fr), il s’agit de rendre l’Etat plus visible, plus facile à piloter, plus compétitif. « C’est la conséquence logique de 30 ans de décentralisation. Il faut réduire la dispersion des services de l’Etat, puisque c’est au niveau régional qu’est concentré le pouvoir des collectivités locales, il faut donc au niveau régional construire un état fort et concentré ».
La démarche vise non seulement à réduire le nombre de fonctionnaires (1/4 pourra d’ailleurs faire valoir ses droits à la retraite d’ici 5 ans), mais aussi à simplifier les prises de décisions, mieux gérer les finances publiques à l’aide d’outils fonctionnels. Pour exemple, d’ici quelques années, le logiciel Chorus permettra de connaître les dépenses heure par heure de tous les ministères. Cette traçabilité des frais jouera pour une réattribution rapide des crédits. Autre exemple d’investissement fonctionnel, un opérateur national de paiement va centraliser le paiement des 4 millions de fonctionnaires français.
Changer la mécanique
« Aujourd’hui, les dispositifs d’intervention publique sont multiples, c’est pourquoi il faut réinventer un Etat efficace. Dès qu’il faut s’asseoir à une table pour prendre une décision au niveau territorial, peuvent siéger l’Etat, le conseil régional, le conseil général, la communauté de commune, voire la grosse commune, en raison de la superposition voir de la concurrence des compétences. L’Etat doit faire le ménage, identifier les priorités de chacun dans la veine du rapport Balladur. Le faux débat : c’est le mille-feuille administratif. Le vrai débat : c’est la spécialisation par compétences entre l’état et les collectivités locales pour mobiliser l’argent public de façon efficace. »
La RGPP renforce cet impératif de clarification des compétences. « On assiste à une amorce de spécialisation, le département dans l’action sociale, la région dans le développement économique, une partie de la formation. En termes de nombre de fonctionnaires, si l’état réduit le nombre de ses fonctionnaires alors que dans les collectivités locales on constate une augmentation, ce n’est pas crédible ni acceptable pour le contribuable qui le paie. D’autant qu’on a des collectivités locales jeunes (l’intercommunalité date des années 80-90). C’est compliqué de vouloir réformer des collectivités qui n’ont pas toujours fait la preuve de leur pertinence. »
« Ça patine »
Contrairement aux méthodes de Rocard, Delors ou Copé, la nouvelle méthode de réforme conjugue rapidité, verticalité et secret. « La RGPP s’est construite autour du secret, sur l’idée que si l’on veut réformer l’Etat en profondeur, il ne faut surtout pas s’appuyer sur son encadrement supérieur. C’est revendiqué comme tel. L’Etat a fait appel aux grands cabinets d’audit anglo-saxons (« big 4 »), qui ont planché sur les structures publiques. Ils se sont beaucoup méfiés des directeurs ». Annoncée à l’été 2007, la RGPP a été amorcée en décembre 2007 avec pas moins de 374 mesures, et avec un calendrier très resserré !
La réalisation prend de fait plus de temps, d’autant plus que « comme c’est imposé, ça a du mal à se concrétiser. L’administration est abattue, certains s’en vont ou se mettent en retrait. La rapidité était un gage d’éventuelle réussite, mais comme elle s’étire en longueur, ça patine. »
Généralement les préfets étaient les porteurs des réformes. Ce n’est pas le cas ici. Le corps préfectoral (surtout départemental) est très touché dans ses compétences et dans l’organisation même des préfectures, c’est inédit. « Il n’est pas certain qu’on puisse faire autrement. Toutes les autres réformes se sont épuisées soit sur les fonctionnaires, soit sur l’encadrement. Le principe de réforme est positif, mais aujourd’hui la situation est très difficile. »
« On perçoit un phénomène de souffrance qui touche autant l’encadrement que les autres agents. Dans les régions, les départements, l’attente est trop longue, les personnes sont en perte de sens. La RGPP apparaît davantage comme une menace, que comme une opportunité. Alors le creux de génération qui prépare son départ à la retraite se pose des questions existentielles.»
Donner du sens
Pour les services déconcentrés du ministère du travail et de l’emploi (directions régionales et départementales), c’est une petite révolution. Le niveau régional devient le niveau d’intervention de droit commun. « La force de frappe des services déconcentrés du ministère restera au niveau départemental (80% des effectifs), or le pilotage, la décision et l’orientation stratégique seront fortement remontés au niveau régional. A ce stade le niveau départemental les unités territoriales, reste du niveau de l’impensé ». Comment articuler orientations stratégiques au niveau régional et services de proximité au niveau local ?
Les 35 directions régionales vont être concentrées en 8 « super directions régionales » pour traiter ensemble des relations socio-économiques. La DIRECCTE va regrouper les anciens services : entreprises (DRIRE), concurrence, artisanat, commerce extérieur, travail et emploi, tourisme, intelligence économique. La désignation des chefs et des sous-chefs par les ministères du Travail et des Finances annoncée pour juin, a été repoussée plusieurs fois. « Or, on est à 3 à 9 mois de la concrétisation. Rien n’est écrit, tout est à stabiliser. Comment va-t-on assurer un service territorial de proximité, si les liens organiques n’existent pas ? On manque de lisibilité sur tout, ce qui rend délicat pour l’encadrement, le « portage » de cette réforme auprès des agents ».
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