par Clés du Social
La question des organisations du travail ne fait pas l’objet d’enquêtes suffisamment approfondies au niveau européen et néglige souvent la question des ré-organisations. Pour autant, la Fondation de Dublin innovait dans sa dernière enquête sur les conditions de travail, menée en 2006, dont le site Les Clés du Social publie d’instructifs extraits.
Ces 15 dernières années ont été marquées par la progression des formes d’emploi non traditionnelles (travail à temps partiel et travail temporaire), ainsi que par l’augmentation du nombre de femmes sur le marché de l’emploi. Dans l’ensemble, l’enquête montre qu’il n’y a pas d’automatisme entre croissance économique et amélioration des conditions de travail. Les conditions de travail restent plutôt stables malgré des modifications dans la composition sectorielle de la force d’emploi qui pourraient faire penser à des changements qualitatifs. Une analyse des tendances depuis le début des années 1990 met en évidence que l’utilisation des nouvelles technologies est de plus en plus répandue, la durée moyenne du travail continue de diminuer, la flexibilisation des horaires augmente, le travail continue de s’intensifier, l’organisation du travail est devenue plus marchande, l’information sur la santé et sécurité au travail est un peu meilleure, l’exposition aux risques physiques et à la violence ne change pas beaucoup. La ségrégation du marché du travail réalise quelques progrès, mais l’accès à la formation n’a pas augmenté. Enfin, certains groupes restent très exposés au risque d’une exclusion prématurée du marché du travail.
Intensification du travail
L’enquête montre que l’intensification du travail en Europe continue d’augmenter ainsi que le nombre de contraintes de rythme. De plus en plus de personnes travaillent à des cadences élevées et suivant des délais stricts. En 2005, 26 % des travailleurs de l’UE-27 déclaraient devoir travailler à des cadences très élevées tout le temps ou presque et 12 % indiquaient n’avoir que rarement ou jamais le temps de finir leur travail. Les facteurs déterminants du rythme de travail dans l’UE traduisent la prédominance du secteur des services et des organisations marchandes. Pour environ 70 % des travailleurs, le rythme de travail est directement déterminé par les demandes des directions, clients, patients, utilisateurs, etc., tandis que la vitesse automatique d’une machine détermine le rythme de travail de 20 % de la population active.
Le rythme de travail déterminé par les collègues ou le recours aux objectifs de performance semble aussi s’accroître. L’autonomie et le soutien dans l’environnement de travail ne sont pas toujours des compensations à cette intensification du travail. Les cols blancs, hautement qualifiés, sont les plus autonomes dans leur travail, tandis que les cols bleus, faiblement qualifiés, le sont le moins. Le niveau d’éducation détermine le degré de contrôle sur les modalités d’exécution des tâches professionnelles. Autrement dit, environ la moitié seulement des travailleurs ayant cessé leur formation à l’issue de l’enseignement primaire sont capables de choisir leurs méthodes de travail, contre 80 % des travailleurs diplômés du troisième cycle.
Face à cette intensification du travail, les travailleurs ne peuvent pas toujours compter sur le soutien de la part de leurs collègues et supérieurs hiérarchiques. Environ 67 % des travailleurs européens peuvent recevoir l’aide de collègues s’ils le demandent et 56 % peuvent obtenir de l’aide de leur supérieur hiérarchique. Cette intensification du travail a clairement un impact négatif sur la santé professionnelle. Bien que l’horaire de travail hebdomadaire se réduise, le rythme de travail continue de s’intensifier. Environ la moitié des travailleurs interrogés disent que leur travail implique des positions douloureuses ou fatigantes, tandis que plus de la moitié travaillent à des cadences élevées (60 %) et selon des délais très stricts et très courts (62 %). Le niveau de stress dans l’UE-27 est considérablement élevé (22 %).
Les horaires de travail : diminution et contraintes
Depuis 1991, on observe une diminution continue de la durée hebdomadaire du temps de travail au sein de l’UE. Cette réduction est due à un ensemble de facteurs (par exemple, la hausse du temps partiel). L’horaire de travail standard reste la norme pour la plupart des travailleurs : 58 % des travailleurs travaillent le même nombre d’heures chaque jour, 74 % le même nombre de jours chaque semaine, 61 % ont des heures fixes d’entrée et de sortie du travail. L’horaire de travail est fixé par l’employeur dans la plupart des cas : 56 % des travailleurs disent que leur horaire de travail est fixé par leur organisation sans possibilité de changement. Seulement 24 % des salariés peuvent adapter leur temps de travail à leurs besoins, dans certains cas dans des limites établies. Par ailleurs, les travailleurs ayant des horaires de travail réguliers, environ 40 heures par semaine, travaillant le même nombre de jours par semaine et d’heures par jour, et commençant et finissant leur travail à heures fixes, rapportent les degrés de satisfaction les plus élevés. Toutefois, un nombre considérable de travailleurs (15 %) en Europe ont encore des horaires de travail lourds – 48 heures ou plus de travail par semaine.
L’enquête montre que des horaires hebdomadaires lourds et des horaires de travail non standard ont un impact négatif sur la santé professionnelle. Environ 55 % des répondants qui travaillent plus de 48 heures par semaine indiquent que leur travail nuit à leur santé et 45 % disent que leur santé et sécurité sont menacées sur le lieu de travail. Parmi les différents horaires de travail non standard, le travail de nuit (après 22 h 00) semble être davantage associé à des problèmes de santé, particulièrement l’insomnie.
L’exposition aux risques physiques diminue
Au cours des 15 dernières années, on relève un recul du nombre de travailleurs qui estiment que leur santé et leur sécurité sont exposées à des risques dans le cadre de leur travail. Toutefois, bien que la proportion de la main d’oeuvre européenne occupée dans des secteurs traditionnels et physiquement exigeants (par exemple, l’industrie lourde et l’agriculture) soit en baisse, l’enquête révèle que certains risques physiques persistent. Par exemple, environ 46 % des travailleurs déclarent travailler dans des positions pénibles ou fatigantes pendant un quart du temps au moins. Les hommes sont plus exposés que les femmes à certains risques et inversement.
Les hommes déclarent être plus exposés que les femmes aux risques professionnels physiques traditionnels (bruit, vibrations, etc.) tandis que les femmes sont plus exposées à certains risques, notamment dans les secteurs de l’éducation et de la santé (par exemple, un travail qui implique de soulever ou déplacer des personnes).
Les risques ergonomiques (mouvements répétitifs de la main ou du bras, travail impliquant des positions pénibles ou fatigantes, etc.) sont plus équitablement partagés entre les sexes. En termes d’occupation, les cols bleus sont considérablement plus exposés que les cols blancs à la quasi totalité des risques physiques sur le lieu de travail. En ce qui concerne les effets du travail sur la santé, environ 35 % des travailleurs questionnés indiquent que leur travail nuit à leur santé. Les troubles de la santé liés au travail les plus fréquemment signalés sont les maux de dos (25 %) et les douleurs musculaires (23 %) suivis par la fatigue et le stress (22 %). Ces problèmes touchent principalement les travailleurs des secteurs de l’agriculture, de la santé, de l’éducation et de la construction.
Violence, harcèlement et brimades
Les brimades, le harcèlement, les violences et menaces, ainsi que diverses formes de discrimination sont à l’origine de problèmes psychologiques et constituent une source de stress. Environ 5 % des travailleurs déclarent avoir été victimes d’actes de violence, de brimades ou de harcèlement sur leur lieu de travail au cours des douze mois qui ont précédé l’enquête. Les différences d’un pays à l’autre sont quelquefois importantes. Par exemple, entre la Bulgarie et la Finlande, on observe une différence de 1 à 10 (en faveur de la Bulgarie) quant à l’exposition à la violence sur le lieu de travail. Cela est dû a un ensemble de facteurs tels que les différences culturelles, la proéminence de ce thème au coeur du débat publique et politique, le degré de sensibilisation de l’opinion publique au problème, ainsi que la volonté d’en rendre compte.
Les femmes sont plus exposées (6 %) aux brimades et harcèlement que les hommes (4 %), en particulier les jeunes femmes (8 % des femmes âgées de moins de 30 ans). On observe une plus forte incidence de femmes exposées à des sollicitations sexuelles non désirées en République tchèque (10 %), Norvège (7 %), Turquie, Croatie (6 %), Danemark, Suède, Lituanie et Royaume-Uni (5 %). Dans certains pays de l’Europe du sud (Italie, Espagne, Malte et Chypre), l’incidence de ce phénomène est moindre (1 %). Comme déjà dit, ce qui constitue un acte de violence peut varier d’un pays à l’autre en fonction de la sensibilité et de la sensibilisation à la question ; de ce fait ces pourcentages ne reflètent pas forcément l’incidence réelle du phénomène. Un niveau plus élevé de brimades et de harcèlement est signalé dans les grands établissements (comptant plus de 250 travailleurs), dans les secteurs de l’enseignement et de la santé, ainsi que dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration. Il convient de noter aussi que dans les 9 secteurs où l’exposition aux risques physiques est élevée (notamment la construction et l’agriculture), en général le taux de violence et de harcèlement est plus bas, bien que le contraire soit aussi vrai.
Les personnes qui subissent des violences ou sont victimes de harcèlement sur le lieu de travail ont plus de problèmes de santé d’origine professionnelle que celles qui n’en subissent pas. Elles sont quatre fois plus nombreuses à faire état de problèmes psychologiques, troubles du sommeil, anxiété et irritabilité notamment, et de troubles physiques, maux d’estomac en particulier. Les personnes exposées à des brimades et harcèlement sont plus nombreuses que la moyenne à s’absenter de leur travail pour des problèmes de santé d’origine professionnelle (23 % contre 7 %) et ont, également, tendance à prendre des congés de maladie plus longs.
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