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Système de soins engorgé, professionnels de la santé épuisés. Les défis sont colossaux, explique William Dab, titulaire de la chaire d’Hygiène et sécurité du travail du Conservatoire national des Arts et Métiers (CNAM)


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Le secteur de la santé est en pleine réorganisation. Quels sont les grands enjeux, comment percevez-vous les blocages ?

La manière habituelle d’entrer dans les enjeux sanitaires est de mettre en avant les problèmes de financement des soins, le fameux « trou » de la sécurité sociale. Ils se posent avec une grande acuité, sans aucun doute, mais pour les résoudre, il faut à mon sens réfléchir avant tout en termes organisationnels : comment répondre aux besoins au vu des moyens et des connaissances disponibles. Sous cet angle, je distingue trois grands enjeux.

 

Le vieillissement de la population conduit tout d’abord à devoir gérer de plus en plus des pathologies chroniques qui requièrent idéalement l’intervention coordonnée de nombreux spécialistes. Or, notre système de soins n’a pas été construit selon ce type de paradigme, mais sur un modèle que j’appelle celui du garagiste : une panne, une réparation et la voiture remarche. 70% des dépenses concernent 12% les malades qui souffrent d’affection de longues durées. Organiser des interventions pluridisciplinaires dans la durée en faisant bénéficier les patients d’un véritable contrôle de la qualité des soins est un but difficile à atteindre tout en respectant un mode pratique libéral auquel les médecins et la population sont attachés. Il faut espérer que les agences régionales de santé pourront expérimenter des modèles qui permettront de mettre à la disposition des patients les connaissances éprouvées les plus actuelles au meilleur coût. Tout indique qu’actuellement, le modèle de pratique qui prévaut génère un niveau important de risque iatrogénique (d’infection due à l’intervention d’un médecin), une inefficacité tant sanitaire qu’économique.

 

Un second défi assez proche est celui posé par l’explosion des technologies médicales qui induit une multiplication des sur-spécialités. Il fait naître d’une part, une menace de déshumanisation et d’autre part, une difficulté accrue pour offrir aux patients une vision globale de ses problèmes et des solutions disponibles.

 

Enfin, la troisième grande problématique est de basculer dans une nouvelle ère : celle des risques. La médecine des risques est une médecine qui travaillera sur ce qui n’est pas encore réalisé, mais qui pourrait survenir. Il existe toute une nouvelle sémiologie à inventer et à mettre en oeuvre couplant la génétique, l’environnement et les comportements.

 

Comment envisagez-vous les transformations des emplois et du travail dans la santé ?
Je m’attends à deux évolutions majeures. D’une part, de nouveaux métiers vont émerger : qualiticien, gestionnaire d’équipements technologiques, manager de soins, évaluateur de risques, manager des connaissances scientifiques, gestionnaire de programmes de prévention, etc. D’autre part, il va falloir trouver une organisation qui concilie le travail pluridisciplinaire et l’indépendance médicale. Un effort est nécessaire pour trouver un mode de rémunération qui respecte ces buts.

 

Qu’en est-il des conditions de travail dans ce secteur ?
La réponse est facile et justifiée : je n’en sais rien ! Les conditions de travail des soignants sont beaucoup moins étudiées que celles des emplois industriels. C’est évident pour ceux qui pratiquent en libéral, mais c’est aussi vrai pour l’hôpital. Nous ne disposons d’aucune vision globale des conditions de travail des professionnels de la santé. Tout se passe encore comme si le dévouement devait tout résoudre. Qu’on ait pu faire une réforme aussi forte que le passage aux 35 heures hebdomadaires de travail, sans qu’ait été mise en place une évaluation de son impact sur les conditions de travail (et de sécurité) montre à quel point ce sujet n’est pas pris au sérieux.

 

Y a-t-il dans le secteur de la santé des risques psychosociaux majeurs et sont-ils bien appréhendés ?
Des risques majeurs : sans aucun doute du fait de la nature même du travail qui est de soulager la souffrance et l’inquiétude. C’est très exigeant au plan humain, il faut trouver un équilibre délicat entre compassion et empathie et ses propres angoisses et valeurs. Il existe peu d’endroits où ces questions sont mises sur la table pour faire l’objet d’un travail collectif. Car le plus souvent, chacun est seul face à sa conscience et c’est une source de tension évidente. On n’est pas sorti d’une idéologie « héroïque » dans laquelle chacun est censé donner le meilleur de soi même au service d’autrui. A la longue, cela est épuisant et usant. Le burn-out et la démotivation devraient être surveillés de façon continue, ce qui n’est pas le cas. Cette situation fonctionne comme un non-dit et l’évoquer est considéré comme un aveu de faiblesse dans bien des institutions.

 

De surcroît, les évolutions décrites précédemment mettent en jeu le sens de l’acte de soigner. A force de parcelliser les tâches, on perd de vue les notions de sens et d’humanité et de nombreux témoignages de révolte s’expriment à ce sujet tant chez les soignés que les soignants. Le management des équipes soignantes devrait mettre ces questions au cœur des pratiques au lieu de se focaliser sur les problèmes économiques avec d’ailleurs une inefficacité patente.

 

Comment voyez-vous le dialogue social dans ce secteur ?
Le dialogue social est encadré par le code du travail qui est désormais décliné pour la fonction publique hospitalière. Pour les soins de ville, c’est une notion vide de sens actuellement. Mais pour moi, le plus important est l’organisation d’une véritable fonction managériale dans le domaine de la santé. Rien n’est plus complexe à gérer que les risques professionnels des organisations sanitaires. Je n’hésite pas à dire que la gestion du secteur nucléaire est à coté, d’une grande simplicité.

 

Or, accoler les notions de management et de santé est encore mal perçu. Quand on parle de management, de nombreux acteurs entendent : rationalisation et contrôle. De fait, la bureaucratie hospitalière s’est considérablement alourdie pour un bénéfice qui reste à démontrer. Nous n’avons pas une ligne managériale qui soit porteuse à la fois de sens, de responsabilité et d’efficacité. Ce déficit de sens partagé se traduit par une place vide qu’occupent les corporatismes qui dominent la vie du secteur de la santé.

 

Seule une alliance entre les professionnels, les directions, les syndicats et les associations de patients permettront de changer structurellement cette situation à condition aussi que l’on se donne les moyens d’observer la santé des travailleurs de la santé.

 

William Dab est titulaire de la chaire d’Hygiène et sécurité du travail du CNAM et directeur de l’Institut d’hygiène industrielle et de l’environnement / sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (IHIE-SSET)

 

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