Une école égalitaire peut s’inscrire dans une société qui l’est peu (Italie) et une école inégalitaire dans une société où ces inégalités sont plus modérées (Allemagne). Partout, mais avec une intensité plus ou moins forte, le diplôme a une forte emprise sur les carrières. C’est ce qui ressort d’une étude menée par des chercheurs français sur une trentaine de pays.
Une école juste ?
Est-ce qu’il existe une façon d’organiser l’éducation pour favoriser la cohésion sociale ? Une école juste produit-elle une société juste, égalitaire et solidaire ? Une société inégalitaire et peu cohésive abrite-t-elle une école désertée par les valeurs de l’égalité et de la confiance ?
L’enquête part d’une « question assez banale finalement, note Marie Duru-Bellat, co-auteure du livre Les Sociétés et leur école avec François Dubet et Antoine Vérétout. De manière générale, plus on éduque, mieux c’est. Pour aller au-delà du niveau général d’éducation, ce qui importe, c’est la manière dont on limite les inégalités sociales d’apprentissage, notamment avec un cursus secondaire commun. En France, le collège unique a un petit impact, mais un impact tout de même ».
Au delà des deux critères principaux appliqués aux sociétés et à leurs écoles : intégration (plutôt objective et mesurable) et cohésion (davantage subjective), « nous avons aussi pris en compte des caractéristiques structurelles pour bâtir nos indicateurs » précise Marie Duru-Bellat.
Dans une société donnée, le degré d’intégration correspond à la mesure des inégalités (revenus, traitement des minorités) et au dynamisme du marché du travail (poids du chômage). La cohésion correspond au capital social, à l’intensité du maillage relationnel et à la confiance envers les institutions, les autres et soi-même.
A l’école, l’intégration prend la forme d’une capacité à scolariser longuement et avec profit les élèves (niveau commun de connaissance élevé et faibles inégalités dans la répartition des diplômes) et la cohésion, celle de l’aptitude du style éducatif à engendrer le sentiment d’appartenance et de confiance en l’institution, les autres et soi-même.
L’absence de corrélation entre éducation et cohésion
Les pays scandinaves sont en quelque sorte « trop parfaits pour nous intéresser, met en garde Marie Duru-Bellat. Ce qui est plus étonnant, c’est le Canada, aussi inégalitaire en terme de revenus que les USA, mais avec une bien meilleure cohésion sociale. Pourquoi ? Cela tient à l’organisation de l’école communautaire, avec notamment des pratiques d’accueil des enfants d’immigrés très avancées ».
Tous les systèmes scolaires sont « injustes à leur manière, remarque le sociologue François Dubet (Université de Bordeaux II). En Allemagne, la sélection scolaire se fait à 11 ans, mais la formation professionnelle n’est pas un dépotoir, leurs ouvriers s’en sortent mieux. En Angleterre l’intégration professionnelle est assez précoce. Au Danemark, ce qui compte, c’est que l’individu s’épanouisse ».
Idem en Italie. Les Italiens croient davantage à la formation professionnelle et aux réseaux sociaux qu’au diplôme. Malgré les inégalités de revenus, « l’école est une communauté bienveillante, où il n’y a pas beaucoup de compétition. La compétition vient à la sortie de l’école » précise Marie Duru-Bellat.
En France, les élèves sont très tôt dans la compétition. Sous couvert d’une égalité des chances initiale, « quand on met l’accent sur le mérite, on est loin d’être juste » critique celle qui a choisi pour un de ses ouvrages le titre provoquant Le mérite, contre la justice. Le principe démocratique du mérite républicain engendre un processus de compétition et donc d’échec et d’humiliation. Est-ce pour autant la faute de l’élève s’il échoue ? « En France, on considère plutôt que c’est le fait de critères socio-culturels (langue, famille). On ne remet pas en question la qualité même de l’enseignement, qui est pourtant très inégale selon les écoles (ségrégation spatiale, socio-culturelle, et les pratiques des enseignants très variées) ».
Schématiquement selon François Dubet : en Europe du Nord, on croit à l’individu, dans le Sud, aux relations sociales, alors qu’en France on fait confiance à l’État. Quant aux pays de l’ancien bloc communiste, la Hongrie a par exemple choisi le type allemand, d’autres ont opté pour le modèle français. Les pays gardent en général de très fortes spécificités et connaissent un véritable décalage entre les principes et leurs résultats.
Le paradoxe du diplôme
Les auteurs mettent en lumière l’emprise du diplôme « importante dans un sous-ensemble de pays de l’OCDE (Portugal, Italie, Royaume-Uni, USA). Les pays où le diplôme est très utile sont ceux où il existe moins de mobilité entre les générations, où il détermine la position sociale. Le diplôme peut avoir un effet négatif, pas au niveau individuel, mais global » décrypte Marie Duru-Bellat. Certes, pour les personnes, le diplôme permet de mieux s’insérer (voir le cadrage ci-dessous), mais au niveau de la société, quand on considère que le diplôme doit déterminer strictement la position sociale, la lutte pour son obtention pèse sur le jeu scolaire, au détriment de sa dimension éducative et culturelle, et débouche au total sur une moindre cohésion.
L’emprise du diplôme est moins forte dans des pays comme les pays de l’Europe du Nord ou l’Australie. « Il est rentable pour les individus, mais au niveau de la société, plus de diplômés ne produit pas nécessairement un avantage économique, au-delà d’un certain seuil. C’est une erreur de croire que si tous les jeunes ont une licence ou un doctorat, le chômage ou les emplois mal rémunérés vont disparaître » ajoute-t-elle. C’est ce que le livre désigne sous le terme de « paradoxe écologique » : en principe dans un pays, les gens les plus instruits votent le plus. Mais cela ne veut pas dire qu’on vote davantage dans les pays qui sont en moyenne plus instruits. Il en est de même pour la criminalité. Le niveau d’instruction théorique est plus élevé aux USA, pourtant le taux de criminalité est plus élevé.
« Notre conclusion est double, précise François Dubet. Il est absurde d’imaginer que l’école résout à la fois les inégalités sociales et développe le niveau culture. Il faudrait que l’école ait moins d’ambitions et s’attache à mieux les réaliser ».
Le Café Pédagogique, une plateforme de réflexion sur l’éducation commente ainsi : On attend tout de l’école et on lui en veut d’échouer là où elle ne peut pas grand-chose. Il serait temps de chercher ailleurs qu’à l’école les moyens de former une société plus juste.
– Cadrage – Un diplôme du supérieur garantit-il un emploi ?
Le niveau de qualification, de même que l’âge, est un facteur déterminant de l’accès à l’emploi dans l’Union européenne estime le rapport Eurydice 2009 sur Les Chiffres clés de l’éducation en Europe. Le taux d’emploi des personnes diplômées de l’enseignement supérieur est beaucoup plus élevé que pour celles n’ayant qu’un niveau de qualification élémentaire. De fait, le taux d’emploi des diplômés de l’enseignement supérieur âgés de 25 à 39 ans est supérieur de 20 points par rapport à ceux de la même classe d’âge ayant atteint seulement le niveau élémentaire. Cette relation positive entre taux d’emploi et niveau de qualification est caractéristique de l’ensemble de l’EU-27 et a un impact plus direct sur la population des 40-64 ans que sur les jeunes.
À l’analyse, il apparaît que plus de 85 % des diplômés de l’enseignement supérieur de moins de 40 ans ont un emploi dans presque tous les pays de l’EU-27. Ce taux est même supérieur à 91 % en Lituanie, à Malte, aux Pays-Bas, en Roumanie, en Slovénie ou en Norvège. Dans la majorité des pays, les 25-39 ans diplômés de l’enseignement supérieur bénéficient plus fréquemment d’un emploi que la catégorie des 40-64 ans. En 2007, cette différence est de plus de 11 points pour la Belgique et Malte et atteint même 17 points en Turquie. Toutefois, dans deux pays, à savoir la République tchèque et l’Italie, les diplômés de l’enseignement supérieur de plus de 40 ans détiennent un emploi dans une proportion plus importante.
En 2007, dans l’Union européenne, les diplômés de l’enseignement secondaire supérieur constituent un groupe intermédiaire avec un taux d’emploi de 80 % pour la population âgée de 25-39 ans et 10 points de moins pour la catégorie des 40-64 ans. Cependant, pays par pays, on constate que les écarts en matière de taux d’emploi selon les classes d’âges varient beaucoup plus que pour les diplômés de l’enseignement supérieur. Par exemple au Royaume-Uni, il n’y a pas de différences entre les personnes ayant un emploi et titulaires d’un diplôme de l’enseignement secondaire supérieur pour les deux groupes d’âges analysés.
Lire aussi
François Dubet, Marie Duru-Bellat, Antoine Vérétout, Les sociétés et leur école, Editions du Seuil, 2010
François Dubet est professeur à l’université de Bordeaux 2 et à l’EHESS. Dernier ouvrage paru : Les Places et les Chances (Seuil/La République des idées, 2010).
Marie Duru-Bellat est professeure à Sciences Po et chercheuse à l’Observatoire sociologique du changement. Dernier ouvrage paru : Le Mérite contre la justice (Presses de Sciences Po. 2009)
Antoine Vérétout est ingénieur d’études Centre Emile Durkheim-université de Bordeaux 2. Ses travaux portent sur les questions de travail et d’emploi.
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