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La formation des futurs cadres et managers bute sur des préjugés tenaces. Un moindre mal, vu la tendance générale qui imprègne l’enseignement de la Gestion des Ressources Humaines (GRH) : une lecture individualisante du travail et des pratiques de gestion décontextualisées.
Rachel Beaujolin, enseignant-chercheur à la Reims management School, fait le point sur cette sous-éducation générale

 

beaujolin

Quel est l’état de l’enseignement des relations sociales en France dans les écoles de commerce ?
En France, les business schools sont rattachées aux Chambres de Commerce et non à l’Université, comme ailleurs. Bourdieu avait décortiqué ce lien originel avec le monde des affaires. Elles répondent bien aux critères internationaux des business schools et elles se sont même converties à la recherche, notamment dans le domaine des RH. Mais, le monde des affaires aujourd’hui est moins préoccupé par les relations sociales que dans les années 70-80. Aussi cela impact leur enseignement qui est marginal. Entre 5 et 10% d’étudiants s’orientent vers la fonction ressources humaines ou les métiers du conseil qui y sont liés. Les grandes majeures restent le marketing, la finance, l’audit.

 

Certains de ces cours contiennent une initiation à la gestion, à l’analyse des organisations, au management du changement, au management d’équipes. Mais dans une perspective qui est en miroir de l’état des pratiques RH, où la lecture dominante est plutôt individualisante. Elle vise la gestion des carrières, le recrutement avec parfois de la négociation collective.


Quelle est la demande des étudiants ? Savent-il ce qu’est un comité d’entreprise ? Le rôle d’un syndicaliste ?

Pour caricaturer, leur représentation est biaisée par leur environnement idéologique. Les deux réactions sont soit la politique de l’autruche, soit le rejet, car ils pensent qu’un représentant syndical empêche de bien manager. Il faut donc justifier la notion de contre-pouvoir. Tout réinstaller pour décrire le système de relations professionnelles, leur histoire, la pluralité de contexte. Bref, travailler d’abord leur imaginaire, car leur culture est très faible, pour cheminer progressivement vers des pratiques de dialogue social.

 

Ponctuellement, ils ont l’occasion de rencontrer des praticiens, mais ce sont en général des managers. Faire venir un membre de comité d’entreprise, ou un syndicaliste, reste original. Cela donne un supplément d’âme.

 

Faites-vous le même constat dans les Business Schools hors de France ?
Le mouvement dominant en GRH se concentre sur l’individu, le salarié. De plus, l’approche est universalisante, les pratiques de gestions sont décontextualisées. Les politiques de rémunérations de groupes sont les mêmes partout, elles occultent la culture et le contexte professionnel du pays, du secteur.

Les cours qui traitent des relations professionnelles sont des enseignements de niche, qui restent optionnels et dont il faut convaincre de l’intérêt chaque année. Ce volet est en général traité par des sociologues en université. En France, il est vraiment traité dans les masters spécialisés.

Cela veut dire qu’il existe une sous-éducation générale des managers en la matière. Les DRH remarquent que ces derniers ont une connaissance très faible, doivent les former dans l’action au fait syndical. C’est tout à fait contradictoire avec les discours tenus sur les enjeux du management qui veulent que le manager dirige un système multi-acteurs dans un contexte général de RSE (Responsabilité Sociale des Entreprise). Le décalage est fort entre ce qu’on pense nécessaire et ce qui est fait.

 

Cela tient-il à la faiblesse des contre-pouvoirs en France ?
Même si les chiffres de la représentativité syndicale sont bas, cela reflète avant tout la tendance générale des pratiques de GRH. Pourtant, l’hypothèse d’un management qui se développe vers les parties prenantes devrait inverser la tendance.

 

Un jeu de société intitulé « Plan Social » fait actuellement des émules en France. Le premier qui licencie tout son personnel a gagné. Comment enseignez-vous les restructurations et organisez-vous des jeux de rôles qui permettraient de valoriser le dialogue social ?

Je pense qu’il ne faut pas se voiler la face : enseigner les pratiques dures, les processus de restructuration, cela fait partie de la vie des organisations. Pour illustrer un cours sur une restructuration, nous faisons venir des experts auprès de comité d’entreprises, des avocats, pour illustrer des cas finement analysés. Je préfère développer l’analyse critique plutôt que de mettre en scène de manière fictive des comportements qui pourraient être stéréotypés. Nous avons d’ailleurs introduit un cours obligatoire sur les conditions de travail et les relations au travail, afin que les étudiants puissent comprendre les jeux de pouvoir dans leur pluralité.

Dans l’absolu, est-il possible de former au management sans que les étudiants aient véritablement d’expérience ? se demandait déjà Henry Mintzberg. Il existe depuis les années 80 un mouvement critique de « critical Management Studies » qui est né au Royaume-Uni. Quand Margareth Thatcher a asphyxié le financement de la recherche à cette époque, de nombreux sociologues se sont fait embauchés dans des business schools. Ils étaient adeptes de Bourdieu et de Derrida ! Leur pédagogie consistait à déconstruire, dénaturaliser les clichés et les affirmations comme celles qu’une entreprise doit obligatoirement avoir un taux de productivité supérieur à 5%. Ce courant est encore minoritaire, mais il est présent dans chaque école.

 

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