7 minutes de lecture

par Clotilde de Gastines, Claude Emmanuel Triomphe

Dans la nouvelle gouvernance économique et sociale qui se profile, les partenaires sociaux doivent jouer un rôle crucial. Sont-ils prêts ? Philippe Pochet nous reçoit dans les bureaux de l’Institut syndical Européen (ETUI) à Bruxelles, qu’il dirige depuis 2008

  

pochet 2

Quel est l’état de santé général du syndicalisme au niveau national et européen ?

L’état du syndicalisme national est divers. Mais toutes les centrales sont frappées par la perte de membres et la perte de moyens. Faut-il réfléchir l’appartenance et à la représentativité syndicale d’une autre façon ? Les jeunes expriment autrement leur appartenance qu’en ayant une carte de membre. Comme les ressources s’étiolent au niveau national, il faut que les syndicats fassent des choix stratégiques pour articuler national et européen.

 

Au niveau européen, la légitimité de la Confédération Européenne des Syndicats a été renforcée par la crise. Elle a montré sa capacité à être un interlocuteur dans le débat autour d’une série de mesures. C’est le seul acteur structuré qui proteste sur ce qu’il se passe avec un discours cohérent et suivi. Ce que ne font pas les socialistes européens par exemple.

 

Avant, la CES accompagnait le processus européen « parce qu’elle était européenne », aujourd’hui elle veut être un acteur du pouvoir. Elle veut pouvoir dire non, un non positif pour une autre Union. La CES peut jouer un rôle-clé dans cette nouvelle gouvernance économique et sociale. Le risque est que le biais idéologique soit si fort au sein des institutions, qu’elle ne parvienne pas à influencer les politiques.

 

  

Quelles leçons les syndicats ont-il tiré de la crise ? Sont-ils plus unis ?

Les pays qui s’en sortent le mieux sont ceux où les partenaires sociaux étaient forts : l’Allemagne, la Belgique, la Hollande, les pays scandinaves. Ils ont pris des mesures de flexibilité du temps de travail, pour éviter la montée le chômage. Alors que les gouvernements européens encensaient ces amortisseurs sociaux pendant la crise, ils s’orientent aujourd’hui vers la désinstitutionalisation de tout ce qui est collectif avec le Pacte Euro-plus.

 

La tendance qui se dessine est celle de la privatisation de la protection sociale : sur les retraites ou les soins de santé, les règles d’accès et de remboursement changent. Cette contradiction entre les discours d’hier et les décisions d’aujourd’hui débouche sur une forte résistance dans de nombreux États membres. La CES ne pensait pas que les mesures d’austérité arriveraient aussi rapidement et de façon aussi radicale. Aujourd’hui, les mouvements de protestation s’articulent. Des semaines de protestation se succèdent à Londres, Paris, Berlin, Budapest.

 

Depuis trois ans, les syndicats des nouveaux pays membres prennent réellement part au débat. Un renouveau syndical accompagne des mouvements notamment dans le secteur automobile (Dacia en Roumanie). Ils veulent réguler le plus grand espace possible, malgré des avis et des intérêts parfois différents : comme la libre circulation entre Polonais et les Allemands, ou encore les emplois verts, qui sont plutôt une préoccupation de la Suède que de la Bulgarie.

 

 

Quel rôle peuvent-ils jouer dans la nouvelle gouvernance économique européenne ?

La crise de l’euro  pose la question de l’européanisation des politiques de gouvernance économique. L’ETUI observe que certaines décisions stratégiques ne seront plus aux mains des États membres. C’est un changement net de dimension.

Les syndicats les plus progressistes réclamaient depuis longtemps une vraie gouvernance économique et sociale de l’euro. Le fait que cela s’européanise de cette façon, est inquiétant. Car la solidarité entre États est extrêmement limitée.

 

Les gouvernements veulent casser les institutions collectives au niveau national sans en créer de nouvelles au niveau européen. C’est donc aux syndicats de monter au niveau européen, car c’est là où vont se décider les affaires sociales à présent. La gouvernance économique de l’Union est encore assez confuse.

 

Ce qui est certain, c’est que nous entrons dans un dispositif institutionnel contraignant, qui change ou qui peut changer radicalement les lieux de pouvoir réel, qui deviendront le Conseil et la DG Ecofin. Les budgets nationaux vont d’abord être examinés au niveau européen pro ante avant approbation au niveau national. Ainsi, si votre dette représente plus de 60% du PIB, on vous demandera, de réduire votre déficit de 5% par an. C’est intenable, sauf à faire des coupes radicales. Les premières obligations entreront en vigueur en 2014-2015. Tous les gouvernements qui seront au-dessus de ces 60% devront prendre des mesures radicales.

 

 

Qu’implique cette nouvelle gouvernance pour les syndicats ?

Les syndicats vont devoir acquérir une capacité d’action beaucoup plus forte. Jouer avec d’autres acteurs politiques : partis politiques et Parlement européen. Sinon, une nouvelle crise de l’euro est certaine.

 

La crise a montré que les fondamentaux de Maastricht n’étaient pas respectés, et qu’il fallait y remédier de façon structurelle. Lors de la création de l’Union économique monétaire (UEM) en 1994-1995, les économistes Stefan Collignon et Paul de Grauwe expliquait qu’il fallait fonctionner avec plus de solidarité, plus de coopération sinon on allait à la catastrophe. On a vécu la catastrophe.

 

Nous allons de facto, vers un renforcement de l’UE. Comment la CES décidera de l’accompagner ? Il ne s’agit pas de discuter sur une directive ou sur une autre, il faut poser une question fondamentale, établir un diagnostic syndical. C’est la phase nécessaire pour coordonner les mouvements nationaux, car ça ne vient pas naturellement d’être européen. Il faut franchir des étapes dans les coordinations, les campagnes de mobilisation, permettre des convergences, si ce n’est des harmonisations.

 

 

Quelles sont les orientations sociales européennes aujourd’hui dans le projet UE2020 ?

La Commission insiste sur le fait qu’il ne faut plus dire UE2020, mais Europe 2020. Pourquoi cette nuance? Parce que l’on peut être contre une certaine construction de l’UE, mais pas contre l’Europe… Subtil. La nouvelle DG Emploi n’a pas publié d’Agenda Social, elle renvoie à Europe 2020, or il n’y a rien de social dedans. On trouve à la limite, des informations dans l’Agenda « for new skills & jobs », un document obscur, qui a bien le nom d’agenda, mais qui est plutôt destiné à la formation, donc personne ne l’a lu. Un mot, une ligne, peut éventuellement permettre de justifier une ligne budgétaire. Idem pour la plateforme sur la pauvreté qui dit un mot sur les retraites et les soins de santé. Sans agenda claire, il n’y a pas de débat possible.

 

 

Quel bilan tirez-vous du dialogue social européen ?

Selon l’observatoire social européen, le dialogue social interprofessionnel se restreint, le support des accords autonomes se réduit à peau de chagrin. La question est de savoir si on se limite à des accords ponctuels, ou est-ce qu’on discute des salaires. Malgré cela l’ensemble des syndicats soutient le principe d’un dialogue social européen.

 

Sur le sectoriel, c’est un peu différent, le dialogue s’intensifie. Le ciment, le bois et bâtiment n’ont pas les mêmes intérêts que la sidérurgie. En 5 ans, les partenaires sociaux ont signé un accord contraignant par an. La dynamique est prometteuse, surtout que 40 comités de dialogue sectoriel sont à l’œuvre.

 

Le problème classique du dialogue social, c’est d’impliquer les employeurs. Ce qui peut les inciter, c’est la nécessité d’innover face au changement climatique et la concurrence chinoise. Fédérations d’employeurs et de travailleurs ont des intérêts communs. L’Europe peut jouer sur certains paramètres techniques (commerce, concurrence). De nouveaux champs de négociation sectorielle s’ouvrent justement autour de la nouvelle politique industrielle.

 

Pour le moment, l’agenda vert a disparu. Comme tout le monde discute de la crise, certains vont même jusqu’à nier les enjeux du changement climatique. On perd beaucoup de temps sur les investissements d’infrastructure qui pourraient accompagner la transition verte (électrique, rail, transport intermodal). Les seuls qui vont pouvoir remettre l’agenda vert à l’ordre du jour, ce sont les entreprises elles-mêmes. Elles vont se plaindre du manque d’investissement et du fait qu’elles perdent leur avantage technologique au détriment de la Chine. La Chine gagnent déjà des marchés à l’exportation et va rapidement faire un bond technologique. Elle est déjà le premier producteur de panneaux solaires et d’éoliennes au monde. Pour commercer avec la Chine, tout le monde a intérêt à jouer européen, car le commercial ne se règle pas au niveau national. Si les partenaires sociaux tiennent un langage commun, ils pourront faire pression sur la Commission pour obtenir des accords sur la formation toute au long de la vie qu’implique la transition verte.

 

 

Print Friendly, PDF & Email
+ posts