par Bruno Vever
L’année 2011 aura été calamiteuse pour l’Europe qui a vu se succéder perturbations et mauvaises nouvelles. Après un été meurtrier pour les places financières, la crise cyclonique de l’euro – ou plus précisément la crise redoublée d’adaptation des Etats aux exigences de l’euro – a forcé à Cannes les portes du G20, avant de couler à Athènes, Rome puis Madrid trois gouvernements à la dérive. A qui le tour ?
Car cet hiver de toutes les rigueurs et de tous les dangers menace plus d’un Etat endetté de devenir un sans abri ruiné. Le cauchemar qui hantait hier les pays périphériques aborde aujourd’hui l’hexagone, avec une notation AAA qui s’évapore et un « trend » des taux d’emprunt qui a déjà creusé l’écart avec le voisin allemand. L’appel d’air qui nourrit pareil frimas s’alimente d’un triple déficit.
Le déficit des budgets publics campe sur des sommets depuis la crise de 2008. Son financement de plus en plus coûteux est à la merci de créanciers de plus en plus méfiants, que la récente décote de la dette grecque n’incite guère à s’embarquer à la légère vers d’autres déconvenues.
Le déficit de croissance se confirme et s’aggrave, avec des prévisions sans cesse révisées à la baisse. On parlait d’un ralentissement passager, et on découvre une récession bien installée. L’obligation de renforcer constamment les mesures de rigueur accentue à son tour la spirale du cycle dépressif et des déficits eux-mêmes.
Mais le pire déficit, qui entretient et transcende les deux autres, est un déficit collectif de vision, d’anticipation et de synergie des dirigeants des pays de la zone euro. L’accord de Bruxelles du 9 décembre, avec son contenu aussi rétréci que dramatisé, est exemplaire de cette situation.
Les termes de l’initiative Merkel-Sarkozy qui a façonné cet accord sont ceux d’une cohabitation intergouvernementale autosurveillée pour des raisons de survie. On chercherait en vain l’esprit d’équipe et les projets communs d’une ambition collective. Tandis que l’une assure le Bundestag de sa fidélité à une lecture aussi notariale que maastrichienne de l’Europe, l’autre fait vibrer les militants UMP avec les promesses d’une Europe intergouvernementale dégagée des interférences de la Cour de Justice. Cherchons l’erreur ! Quant à Mario Monti, recrue tardive du directoire, il ne perd pas une occasion d’exprimer sa foi dans les mérites irremplaçables de la méthode communautaire et de ses institutions supranationales ! Cherchons l’accord !
Le retrait britannique, aussi surjoué qu’immérité, aura eu le mérite de donner un semblant de caution aux réformes convenues à Bruxelles par les 17 – et paisiblement avalisées par tous les autres ! Les Britanniques ont d’ailleurs vite précisé qu’ils « consentent » à ce que leurs partenaires « utilisent » les institutions communautaires pour faire fonctionner leur nouveau traité. Les portes ont claqué ? Embrassons-nous Folleville !
Et maintenant ? Les points d’accord issus du psychodrame ne sont pas insignifiants, et auraient même été parfaits il y a dix ans : renforcement des disciplines de Maastricht, sanctions automatiques sauf majorité qualifiée contraire, mise en place accélérée d’un mécanisme européen de stabilité doté d’au moins 500 milliards d’euros – auquel s’ajoute un surprenant bon à tirer de 200 milliards d’euros transitant par le FMI -, réunions régulières des dirigeants de la zone euro au-delà de leurs ministres des finances. Mais ils peinent aujourd’hui à faire oublier l’irresponsabilité de longue date des signataires : ils ressemblent un peu trop à un serment d’alcooliques, même si la clé de la cave est désormais confiée au commissariat.
Par contre l’inventaire dégrisé de ce qui n’y figure pas reste impressionnant. On relèvera entre autres absents à l’appel : la perspective d’euro-obligations permettant, moyennant la rigueur accrue, de mutualiser une part significative des dettes – et donc de faire lâcher prise à la spéculation contre tel ou tel -, une mise en synergie affichée de convergences budgétaires et fiscales, une relance programmée de l’intégration économique, un plan concret pour ranimer la croissance. Cette liste des disparus au champ de bataille de Bruxelles fait douter des capacités à éviter que l’abstinence affichée de nos signataires ne se transforme en dépression collective, aggravant encore leur situation et la nôtre.
Les marchés ne s’y sont pas trompés : ils ont donc continué, après l’accord du 9 décembre comme avant, à sanctionner l’irréalisme de ce « ni-ni » de dirigeants qui, après avoir renoncé aux souverainismes monétaires d’antan, continuent de récuser avec la même constance la mise en place d’un eurofédéralisme cohérent.
Il y a donc bien peu de chances de voir la crise européenne terrassée par la signature et la ratification prochaines de ce « nouveau traité » – un traité forcément « mini » qui eut davantage mérité le qualificatif d’un « protocole additionnel » initialement suggéré par Van Rompuy, Barroso et Juncker -. L’invitation faite au Parlement européen de participer à sa mise en forme – mais non de modifier le périmètre de l’accord – ne changera rien à l’affaire.
Comme toujours avec l’Europe, qui en a vu d’autres et en verra d’autres encore, un espoir subsiste. Il s’agit du rappel, au demeurant si souvent évoqué, d’un « pilier économique solide s’appuyant sur une gouvernance renforcée ». Le faire-part d’une naissance moins virtuelle de cette Arlésienne de Bruxelles suivra peut-être un jour la décision désormais prise d’organiser des réunions au moins semestrielles des plus hauts dirigeants des pays de l’euro – bien que le rythme mensuel de crise prévu par l’accord franco-allemand ait été oublié -.
S’ajouteront à ces 17 parrains la pression d’invités sans doute décisifs, à savoir les contraintes inchangées de la crise et les contraintes nouvelles de règles majoritaires, fussent-elles « inversées ».
On rappellera aussi, pour faire bonne mesure, le potentiel totalement sous-exploité d’économies d’échelleque permettrait la mise en commun de nombreuses dépenses aujourd’hui nationales : il mériterait un début d’intérêt de nos dirigeants pour assurer que nos services publics comme notre croissance, notre compétitivité et nos emplois durables survivent aux cures d’amaigrissement à venir, même s’il faut à cette fin les adapter en profondeur aux mutations qui s’imposent. Une rigueur bien ordonnée remet d’actualité toutes les incohérences de la « non Europe » !
Les ingrédients sont donc là. Mais il leur manque l’essentiel : des pionniers à l’image d’un Monnet, d’un Schuman ou d’un Adenauer, et l’esprit qui prévalait en leur sein pour inventer l’Europe à reconstruire de ces années là. Mais 2012 aussi est une autre année. Souhaitons-nous d’y voir émerger de tels pionniers et un tel esprit pour réussir cette Nouvelle Europe qui reste encore à inventer !
Bruno Vever est secrétaire général d’Europe et Entreprises
Cet article a d’abord été publié dans la lettre d’Europe et Entreprises
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