À l’heure du pacte fiscal européen, les politiques fiscales doivent relever des défis immenses : accompagner la relance de la croissance économique et assainir les finances publiques. Difficile d’y voir clair dans la jungle des fiscalités des pays de l’Union Européenne, pour identifier quelles sont les charges qui pèsent vraiment sur le travail.
Les États se financent traditionnellement par trois prélèvements principaux sur : la consommation, le travail et le capital. Plus de 50% des revenus des États de l’OCDE proviennent des taxes sur le travail. Avec des différences majeures, selon le mode de prélèvement, l’assiette et le choix de l’affectation, et enfin les exonérations éventuelles. L’insee vient de publier une étude comparative européenne à ce sujet (Le coût de la main-d’œuvre : comparaison européenne 1996-2008).
Si l’on regarde ce premier graphique OCDE sur le coût du travail. Les bras en tombent. La part des prélèvements (impôt sur le revenu, cotisation salariale, cotisation patronale) dépasse les 50% en Belgique ! La France et l’Allemagne suivent dans une proportion légèrement moindre dans le peloton de tête. Il faut noter, qu’il s’agit de l’imposition d’un célibataire sans enfant qui touche le salaire médian. Peu de surprise : l’Irlande et la Grande-Bretagne sont en queue de peloton.
Mais, plus étonnant encore, c’est le cas du Danemark, en 14ème position. Les employeurs danois ne paient aucune cotisation patronale. L’impôt sur le revenu est retenu à la source par l’employeur qui le reverse à Told-og Skat (la Direction des Douanes et des Impôts danoise). Nous y revenons dans un article spécifique.
L’OCDE est lucide sur le manque de nuance de ce tableau. En France par exemple, il existe des dispositifs d’abaissement des charges importants depuis 1993, leur amplification a été une des conditions d’application des 35h, stabilisé en 2005 pour les salaires jusqu’à 1,6 fois le SMIC, puis étendu en 2009 aux heures supplémentaires. Au total, 21 milliards d’euros d’allègement pour les entreprises et 4 milliards pour les heures sup. Un expert de l’OCDE déplore néanmoins sous couvert d’anonymat que le système de taxation français prévoie trop d’exonération pour les professionnels, comme pour les particuliers.
La bonne nuance
Pour les comparaisons européennes, la commission des comptes de la Sécurité sociale française recommande de mettre l’analyse du coût du travail au regard du niveau de couverture de la protection sociale et de la structure de son financement. Dans une excellente fiche de juin 2011, les chercheurs proposent une analyse comparative du coût salarial horaire en France et dans cinq autres pays européens (Allemagne, Italie, Espagne, Pays-Bas et Suède) sur la période 1995-2009, pour l’ensemble des secteurs concurrentiels et pour le secteur de l’industrie, hors construction.
Il est délicat de regarder le coût global du travail. Le document tire une première leçon. Au regard de la croissance du coût salarial horaire depuis 1995, la France se trouve dans une position médiane en Europe.
En 2009, le coût salarial horaire en France s’élevait en moyenne à 29,5 € dans les secteurs concurrentiels et à 31,6 € dans le secteur de l’industrie. Pour l’ensemble des secteurs concurrentiels, le coût salarial horaire en France se situe au même niveau que celui des Pays-Bas, près de 10% au-dessus du coût salarial horaire allemand et environ 20% au- dessus du coût salarial horaire de la zone euro à 12. Pour le secteur de l’industrie, le coût salarial horaire français est inférieur de près de 10% au coût salarial horaire allemand et supérieur de 13,4% au coût salarial horaire de la zone euro à 12.
Sur la période 1995-2009, le coût salarial horaire en France a augmenté de 2,7% en moyenne chaque année dans les secteurs concurrentiels. Il a ainsi progressé à un rythme plus faible que dans la plupart des autres pays européens dont les Pays-Bas, l’Espagne, l’Italie et la Suède. Seule l’Allemagne enregistre un taux de progression particulièrement modéré (+1,6% en moyenne chaque année). Cette hausse limitée du coût salarial horaire en Allemagne correspond à un ajustement après la période qui a suivi la réunification. En effet, entre 1991 et 1995, le coût salarial horaire en Allemagne avait augmenté de 7,9% en moyenne chaque année. Cette hiérarchie des évolutions est également valable pour le secteur de l’industrie, pour chacun des pays étudiés.
Depuis 1995, la progression du coût salarial horaire en France est allée de pair avec le dynamisme des salaires bruts moyens par tête (+ 2,6% en moyenne chaque année sur la période 1995-2008 dans les secteurs concurrentiels et + 2% dans l’industrie). Parallèlement, le volume global d’heures travaillées par salarié a reculé de 0,4% en moyenne chaque année dans les secteurs concurrentiels et de 1,2% dans l’industrie. La hausse du salaire moyen par tête a été de moindre ampleur en Allemagne (+ 1% dans les secteurs concurrentiels et + 1,2% dans l’industrie), en Espagne et aux Pays dans les secteurs concurrentiels (+ 2,1% et + 2,5% respectivement). Le volume horaire travaillé par salarié a plus reculé en Allemagne et en Espagne qu’en France dans les secteurs concurrentiels. Dans l’industrie, il a moins reculé qu’en France en Allemagne et en Espagne mais aussi en Italie et aux Pays-Bas.
Les exonérations
A contrario, les exonérations de cotisations patronales de sécurité sociale ont joué un rôle modérateur sur l’évolution du coût du travail en France, le coût du travail progressant moins rapidement que les salaires et traitements bruts. Par ailleurs, l’évolution des cotisations patronales est restée modérée sur la période 1995-2009 : le taux de cotisations patronales de sécurité sociale est passé de 30,28% à 30,38% du salaire brut (suite aux exonérations citées plus haut). Les taux de cotisations patronales hors sécurité sociale ont progressé de 2,5 points, passant de 13,8% à 16,3%.
En Allemagne, la croissance du coût salarial horaire a également été modérée par des choix réglementaires : baisse des taux de cotisations chômage consécutive à l’introduction d’une TVA sociale en janvier 2007 et relative stabilité des autres taux de cotisation grâce aux réformes introduites au cours des années 2000 notamment sur le marché du travail (hors baisses temporaires des cotisations patronales maladie et chômage en 2009 et 2010 dans le cadre du plan de relance). En revanche, les exonérations de cotisations sociales en Allemagne sont très peu développées. Elles ne concernent que les salaires inférieurs à 800 € mensuels (mini jobs et midi jobs). Il s’agit d’allégements de cotisations salariales partiellement compensés par des hausses de cotisations patronales.
La France se distingue des autres pays européens par un poids plus important des contributions et cotisations sociales, qu’elles soient patronales ou salariales. En 2009, les cotisations et contributions sociales à charge des employeurs représentaient 29,7% du coût du travail dans le cas d’un célibataire sans enfant rémunéré au niveau du salaire moyen, CSG et CRDS comprises. Ces mêmes cotisations et contributions représentaient entre 23 et 24% du coût du travail en Italie, en Suède et en Espagne, 16,3% en Allemagne et 9,1% aux Pays-Bas. Charges salariales comprises, le poids global des cotisations sociales dans le coût du travail (coin social) s’élevait à 44,5% en France en 2009, loin devant les autres pays européens où le coin social ne dépasse pas 34%. A l’inverse, ces autres pays ont un coin fiscal (impôt sur le revenu rapporté au coût du travail) beaucoup plus élevé que celui de la France (4,7% pour la France contre plus de 10% pour les autres pays).
Le coin social (patronal et salarial) est supérieur de 2,4 points de PIB en France / Allemagne. Pour les salaires compris entre 400 et 1600 €, les taux de cotisations sont inférieurs en France. Pour les salaires compris entre 1700 et 300 € les cotisations, les taux de cotisations sont supérieurs jusqu’à 15 points à celles de l’Allemagne.
À prélèvements sociaux différents, stratégies de financement de la protection sociale disctintes
La structure et le niveau des prélèvements obligatoires qui pèsent sur le coût du travail diffèrent selon les économies. Ils reflètent des niveaux de protection sociale et des stratégies de financement sous-jacentes distinctes. il faut également identifier le niveau de couverture publique de la protection sociale.
La France a opté pour un système qui s’appuie essentiellement sur les cotisations et contributions sociales sur les salaires, en conséquence de la logique plutôt assurantielle de son système de protection sociale. En revanche, dans d’autres pays comme la Suède, l’Italie ou l’Allemagne, le financement de la protection sociale est davantage fiscalisé qu’en France. A titre d’exemple, en Allemagne, la branche famille est entièrement financée par l’impôt. En Suède, les dépenses de santé sont très majoritairement financées par l’impôt sur le revenu.
Selon les données SESPROS diffusées par Eurostat, le champ de la protection sociale est plus large et les prestations plus généreuses en France que dans les autres pays européens, notamment pour les risques vieillesse et maladie. En 2008, les dépenses publiques de protection sociale dépassaient les 30% du PIB en France. En termes de dépenses liées à la vieillesse, la France se place au 2ème rang européen derrière l’Italie. A ce titre, le niveau de vie des retraités est plus élevé en France que dans les autres pays européens. Le revenu des 65 ans et plus représente en moyenne 96% du revenu des moins de 65 ans contre 88% en Italie, 87% en Allemagne, 78% en Espagne et 75% en Suède. Pour les dépenses maladie, la France est au 3ème rang derrière la Suède et les Pays-Bas.
Par ailleurs, les prélèvements obligatoires ne rendent pas compte du poids effectif des charges sur les entreprises et/ou les salariés. En effet, dans certaines économies, les régimes privés occupent un poids relativement important. Or, les prélèvements relatifs à ces régimes privés, même lorsqu’ils sont obligatoires, ne sont pas pris en compte dans les statistiques de Taxing wages (OCDE) du premier graphique.
Ainsi, aux Pays-Bas, la prise en compte des cotisations relatives aux régimes privés pour la santé et la retraite (cotisations essentiellement patronales) conduit à une forte hausse du coin social (de 12,3% à 35,2% pour un célibataire sans enfant rémunéré au niveau du salaire moyen). En Italie, la prise en compte des cotisations employeurs au titre de la TFR (Trattamento di fine rapporto45) se traduit par une hausse du coin social de 31,5% à 34,3%. Enfin, en Allemagne et en Espagne, les employeurs sont tenus d’assurer leurs salariés contre les accidents du travail et les maladies professionnelles auprès d’une compagnie d’assurance privée. Ces prélèvements obligatoires ne sont pas pris en compte dans les statistiques de l’OCDE relatives aux coins socio-fiscaux. Pour ce qui est des régimes privés facultatifs, en Allemagne, un régime privé optionnel d’assurance maladie coexiste avec le régime légal. Ce régime est ouvert aux salariés, fonctionnaires et indépendants les plus aisés (salaire mensuel brut supérieur à 4050 €). Ce système permet à 10% des salariés les plus aisés de se désaffilier du régime légal, soit 8,8 millions d’assurés en 2009. Si l’on permettait en France aux 10% des assurés les plus favorisés de s’assurer librement, cela priverait l’assurance maladie d’au moins 20% de ses recettes, tandis que les dépenses ne seraient réduites que de 8%, soit un déficit accru d’environ 20 milliards d’euros.
Ainsi, la prise en compte du financement privé de la protection sociale, qui pèse fortement dans certains pays sur les charges effectives des entreprises, relativise la position de la France en termes de poids des prélèvements obligatoires et de la dépense sociale.
À lire
Commission des comptes de la Sécurité sociale, Prélèvements sociaux, coût du travail et compétitivité
INSEE, Le coût de la main-d’œuvre : comparaison européenne 1996-2008 par Bertrand Marc, Laurence Rioux
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