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Entreprise-réseau par excellence, Schneider Electric est exigeant avec ses sous-traitants, allant même jusqu’à leur demander de délocaliser une partie de leur production.

 

prise électrique

50 000 fournisseurs travaillent pour Schneider Electric, le géant des équipements de distribution électrique et des automatismes industriels. Le groupe Schneider Electric compte 110 000 employés dans plus de 100 pays. Le groupe achète des matières premières (argent, cuivre, acier, matériaux plastiques), des produits électroniques et des services. Et sur les 10 milliards d’achats annuels, 2 sont réalisés en France.

 

Le directeur des achats Juan Molina pour l’Europe, le Moyen Orient et l’Afrique du Sud, qui s’exprimait lors d’une conférence organisée à Lyon le 23 novembre dernier, concède qu’il ne connait pas « le nombre exact de ses fournisseurs », et qu’il ne place pas de « curseur entre fournisseurs et sous-traitants ». Toutefois, « 80% des achats ne concernent que 2 300 d’entre eux, précise-t-il. Et 90% sont des PME ».

 

C’est le cas de RGR-Groupe Paillet, tôlerie industrielle rhône-alpine importante. 250 salariés travaillent à Bourgoin-Jallieu et Aubenas. Il fait partie des fournisseurs « préférés » de Schneider Electric. C’est la première catégorie des trois avant les « challengers » et les « actifs ». RGR fabrique des armoires électriques, des armoires médicales, des coffres forts et des armoires de climatisation. L’entreprise a 80 clients. 50% de la production va vers les grands groupes comme Schneider et Carrier, 50% vers des PME. « Aujourd’hui, je lutte pour préserver mes 250 employés, raconte en aparté Pascal Hilaire, son PDG. Quand mon client demande une baisse des coûts de 6%, je dois donner satisfaction, même si 50% du coût vient du prix très élevé des matières premières ».

 

Au cours des 20 dernières années, la sous-traitance a explosé chez Schneider. « Nous avons focalisé nos activités sur notre cœur de métier, transformé des coûts fixes en coûts variables, reconnait Juan Molina devant l’assemblée. Ce sont donc les sous-traitants qui gèrent la volatilité de la demande, que ce soit à la baisse ou à la hausse ». Comme la satisfaction des clients dépend de la performance des fournisseurs, Schneider a des exigences sévères.  

 

Un contrat de vente dure en moyenne 3 ans. Les contrats sont « ouverts », ils contiennent les spécifications techniques, mais le prix et la durée de l’engagement peuvent évoluer au cours des mois. La renégociation se fait au moins une fois par an. Schneider veut limiter « le risque de dépendance économique de ses fournisseurs occidentaux en restant toujours en dessous d’une limite de 25% du chiffre d’affaire ».

 

RSE et sous-traitance

La politique RSE du groupe intègre le recours à des entreprises issues du secteur protégé. Sur ce terrain, Schneider a reçu le trophée du meilleur employeur privé décerné par « l’Association des Paralysés de France ». Schneider est ainsi considéré comme l’entreprise privée générant le plus de travail pour les travailleurs handicapés. En 2009, le travail de personnes handicapées représentait plus de 5.50% de l’emploi chez Schneider (2,69% étant réalisé au sein de structures spécialisées ; 2.94% en emploi direct). Le but de Schneider est d’atteindre à terme un taux de 6%, taux par ailleurs fixé par la loi.

 

La RSE est un critère de sélection des sous-traitants. Ils doivent respecter les aspects de santé et sécurité, les droits de l’homme, les normes OIT, et aussi les critères RSE notamment les principes du Pacte Mondial. Il revient à l’éventuel sous-traitant d’évaluer sa capacité à rejoindre le panel Schneider Electric par un outil d’auto-évaluation, le « Supplier Approval Module ». Cependant les audits réalisés ensuite par le groupe, portent exclusivement sur la qualité des produits et la sécurité des approvisionnements et n’incluent pas de vérification des engagements RSE, a pu remarqué Astrees en conduisant une dizaine d’entretiens auprès des sous-traitants de Schneider Electric. Quand Schneider fait des audits chez RGR, « ils ont plus de collaborateurs que nous, mais ils ne vérifient pas ces fameuses normes RSE », confirme Pascal Hilaire.

 

Parmi les objectifs figurent aussi d’« accompagner le contractant dans sa stratégie de globalisation ». Ces louables intentions camouflent une « exigence choquante, selon Pascal Hilaire. En 2005, lors d’une réunion de sous-traitants, Schneider nous a annoncé que tout ceux qui n’ouvraient pas une usine dans un pays à bas coût, ne seraient plus leurs fournisseurs. Soit disant parce qu’il fallait un pourcentage de production en pays low cost, pour des installations de Schneider livrées dans d’autres parties du monde ». RGR a donc ouvert une usine en 2006 au Sud de Sofia en Bulgarie. « Nous avons démarré avec 20 personnes, et tous les ans nous recrutons 5 personnes de plus ». Avant d’honorer chaque demande de transfert de production, Pascal Hilaire demande à Schneider de s’engager à compenser l’activité en France, condition que Schneider a acceptée.

 

Où est donc la RSE quand le donneur d’ordre exige une délocalisation dans un pays low cost avec une protection sociale moins évoluée ? Primo, la croissance mondiale est tirée par les pays émergents, selon Juan Molina. Donc il faut être présent dans les lieux. Il argue que « les acheteurs sont sous pression ». Ils doivent « maintenir la compétitivité  de l’entreprise, en s’appuyant sur la compétitivité des fournisseurs ». Les sous-traitants créent de la valeur ajoutée, et c’est Schneider qui la capte, ce que confirme Juan Molina.

 

Les pouvoirs publics ont soutenu la création d’une charte des relations entre grands donneurs d’ordres et PME, qui a été rédigée avec une association d’acheteurs. La compagnie des Dirigeants et acheteurs de France (CDAF) accompagne l’adhésion d’entreprises à cette charte entre grands donneurs d’ordre et PME. Elles sont rédigées en collaboration avec le Médiateur Interentreprise. Elle charte laisse Pascal Hilaire sceptique, car « on est à la guerre au quotidien ».

 

« Je n’ai que deux ou trois clients qui voient au-delà de leur carrière et de leur bonus, renchérit-il. Dans le passé, les acheteurs étaient peu formés. Il faut les professionnaliser, les moraliser. Il manque en France un état d’esprit bienveillant, et une certaine forme de protectionnisme. En Allemagne, les Länder n’ont pas peur du protectionnisme industriel et les entreprises sont beaucoup plus solidaires ». RGR cherche donc à travailler avec davantage de PME, et dans un secteur qui ne délocalise pas comme le BTP.

 

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