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 En Allemagne, les petites ou des moyennes entreprises (PME) familiales sont les piliers de l’économie sociale de marché et les fers de lance de l’innovation. Le capitalisme rhénan a traversé l’épreuve de la crise grâce à ces PME. Concurrentielles et vertueuses, ces communautés de destin connaissent de surcroît une belle stabilité financière. Entretien avec Isabelle Bourgeois, rédactrice en chef de la revue « Regards sur l’économie allemande » (CIRAC).

 

Allemagne fachkraftoffensive

Comment se décline la structure productive en Allemagne ? Comment les entreprises se financent-elle ?
99,7% des entreprises allemandes sont des PME. Elles sont de tailles variables, et sont presque toutes des entreprises familiales. Le capital est aux mains de la famille qui détient des parts. Ces parts sont parfois regroupées au sein d’une fondation. Il existe aussi des actions non cotées pour la famille et les salariés. Même certains grands groupes industriels (BMW, Bosch), de la grande distribution (Aldi) ou des médias (Bertelsmann) conservent une partie de leur capital sous ces formes. En comparaison d’autres pays, très peu d’entreprises sont cotées en bourse (30 au DAX – Deutscher Aktienindex, le principal indice boursier allemand).

 

Chez les PME, le degré d’usage de la finance est variable. La cotation en bourse est très peu développée. Pour augmenter le capital de l’entreprise, il est souvent fait appel à l’actionnariat salarié. Cette tendance s’était développée depuis l’adoption, en 1961, de la Loi sur la constitution d’un patrimoine qui favorise l’épargne salariale subventionnée par l’employeur. Dans le modèle du capitalisme rhénan, les bénéfices ne sont que partiellement reversés aux détenteurs de parts. Ils sont presque toujours réinvestis dans l’entreprise.

 

Une entreprise va plutôt chercher à préserver son autonomie en puisant dans ses fonds propres, plutôt que de contracter un crédit à la banque ou des financements extérieurs.
Cela dit, elles ont comme partenaires privilégiés : les caisses d’épargnes et les banques mutualistes et coopératives. Elles représentent un tiers du marché bancaire. Ce système bancaire assure sa fonction de financement de l’économie réelle. Le financement des PME par les banques est donc très stable.

 

Il faut bien faire la différence avec les banques publiques régionales, sortes de holdings au statut hybride. Elles n’ont jamais réellement trouvé leur marché, ce qui les avait amenées à spéculer sur les marchés mondiaux, avec les conséquences que l’on sait.

 

Les entreprises cotées en bourse sont plus comparables dans leur gestion quotidienne au modèle français. Elles ont recours à des produits financiers complexes, soutenus par les grandes banques commerciales allemandes.

Quel est l’équilibre capital/travail dans la structure productive en Allemagne ?
En Allemagne, une entreprise est toujours une communauté de destin. La loi fondamentale garantit la propriété et pose le principe : « propriété oblige » (article 14). Ainsi, lorsqu’un particulier utilise son patrimoine pour créer une entreprise, il contracte avec la collectivité. Il acquiert des droits et des devoirs, notamment d’œuvrer à la prospérité de son entreprise, donc dans son intérêt propre comme celui de ses salariés. Sans capital, pas de travail. Mais sans travail, pas de capital : les salariés œuvrent donc eux aussi à la prospérité de l’entreprise.

 

Cette équité de droit entre le capital et le travail est une des bases du modèle de la co-responsabilité, décliné ensuite sous forme de cogestion (Mitbestimmung). Il n’y a pas de syndicats dans l’entreprise jusqu’à 2000 salariés, mais les droits des salariés sont défendus par un conseil élu (Betriebstrat), une sorte de parlement des salariés de l’entreprise. Le Betriebsrat est coresponsable et co décisionnaire pour toutes les questions relatives à l’organisation de la production, donc aussi en cas de restructuration. Il intervient sur les questions de la formation et d’innovation. Quant aux questions de rémunération et de durée du travail, elles sont réglées par les syndicats au niveau de la branche qui règlent les questions.

 

Il existe donc une solidarité juridique, d’intérêt et de fait, entre les salariés et leur employeur qui est aussi le détenteur du capital. On est loin de l’organisation quasi marxiste des entreprises françaises, où le patron est encore trop souvent considéré comme « l’ennemi ». En Allemagne, les PME vont donc avoir une gestion de bon père de famille, sans pour autant être paternalistes ! Tout le monde s’est serré la ceinture pendant la récession : le patron a puisé dans son patrimoine, les salariés ont accepté d’avoir une activité partielle et de toucher 65% de leurs salaires. Mais dès la reprise, ils ont reçu des primes.

La confiance dans l’économie réelle et dans le modèle de l’économie sociale de marché a-t-elle été entamée par la crise ?

Pour toutes ces raisons, les Allemands n’ont pas perdu confiance dans l’économie réelle, dont la base est industrielle. Ils n’ont pas non plus perdu confiance dans le modèle de l’économie sociale de marché, puisqu’il leur assure à la fois prospérité et solidarité. Mais comme les Français, ils se méfient aujourd’hui de la finance, trop spéculative et court-termiste à leurs yeux. Quant à la crise de la dette, sa principale origine est à leurs yeux que justement, les États de la zone Euro n’ont pas géré leurs finances publiques en bon père de famille. Et, qu’il s’agisse des salariés ou des gouvernements, tous estiment que pour reconquérir la confiance dans l’Europe, sa monnaie et sa capacité à renouer avec la croissance et l’emploi, il n’y a qu’une solution : le retour à la raison en matière de gestion budgétaire. En ce sens, l’approche de l’entreprise (PME) et celle de la politique économique reposent sur les mêmes bases : la liberté individuelle et la responsabilité collective sont les deux faces de la même médaille.

 

Photo : Campagne d’offensive sur la main d’oeuvre 2012 « Une place d’excellence. Donnons ensemble un avenir à l’Allemagne » – Bundesregierung/Eckel tous droits réservés. 

 

Voir aussi ces extraits d’un rapport d’information du Sénat français n° 628 (2011-2012) de M. Daniel RAOUL, Mme Renée NICOUX, M. Gérard LE CAM, Mmes Valérie LÉTARD et Esther SITTLER, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 4 juillet 2012 : L’Allemagne: une réussite économique, à quel prix?

 

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